Une histoire de résistants niçois: les « Barbets »
Ecrit par Jean-Marc FONSECA le 20 sept, 2023 dans la rubrique Textes / Test | 0 commentaires
Il y a eu de tout temps, dans le Pays Niçois, des Partisans quand notre territoire était occupé.
J’ai voulu construire cet article dans une perspective historique, la plus objective possible en me basant sur des sources sûres afin de faire remonter notre histoire, si souvent méconnue, à la surface. Celà ne plaiera pas à certains mais satisfera un grand nombre attaché à la liberté.
Les Barbets par Jean-Marc Fonseca d’aprés l’ouvrage de Michel-André IAFELICE
L’objet de notre étude porte sur les formes prises par la contre-révolution dans l’ancien comté de Nice pendant près d’un quart de siècle, de la conquête révolutionnaire opérée d’ailleurs pour prévenir la contre-révolution jusqu’à la restauration sarde. Un quart de siècle où les résistances à l’intégration du pays niçois dans le cadre de la Grande Nation puis de l’Empire napoléonien, ne se sont jamais vraiment tues. Le pays niçois apparaît ainsi comme une zone de ratage de la révolution à la manière de la Vendée ou de la Calabre, pour ne parler que des régions les plus spécifiquement gagnées par le phénomène contre-révolutionnaire. Des historiens, pour essayer d’expliquer cette situation, ont évoqué le déterminisme géographique qui est un élément considérable. Ainsi, les difficultés des communications, une économie à prédominance rurale organisée sous le signe de l’isolement, liées à un relief montagneux et escarpé ont freiné indiscutablement la diffusion des idées nouvelles (1).La contre-révolution est née des conditions géographiques et de la structure économique et sociale de l’ancien comté de Nice, devenu en février 1793 le 85e département français. Nous avons tenté de relever les causes endogènes aux difficultés éprouvées par l’occupation française dans sa politique d’assimilation. Au XVIIIe siècle, le comté de Nice appartient au royaume de Sardaigne qui constitue un royaume plus éclairé que son homologue français. Les réformes royales de 1760 ont rendu caduques les institutions féodales. L’emprise de l’état centralisateur s’avère aussi moins forte que dans la Provence voisine. Les communautés rurales du comté de Nice sont restées moins imposées et ont pu conserver leurs biens communaux et « maintenir des pratiques communautaires liées à la vie pastorale » (2).Le Comté reste ainsi à très forte prédominance rurale. Une seule ville dépasse les 10 000 habitants. Nice, le pôle intellectuel du Comté compte en 1792 25 000 habitants. Une poignée de cités, qui ont une configuration de bourgs ruraux plutôt que de petites villes (à part Sospel), ont plus de 5000habitants. Marquée par la présence d’une petite noblesse, qui, partie cultivée de la population, est gagnée par l’esprit français, cette région connaît également une imposition fiscale relativement faible. Culturellement, le catholicisme s’affirme comme un ensemble de valeurs inébranlables, surtout chez le peuple, empreint d’une incontestable religiosité. Dans la lutte opérée contre l’occupation française, l’exaltation religieuse est certaine. Les contre-révolutionnaires nissards défendent l’église en proie selon eux à « l’athéisme » républicain. L’abbé Bonifacy (3) traduit d’ailleurs remarquablement les sentiments d’une large partie du clergé niçois. Son hostilité à la nation française est totale. Comment ne pas évoquer également, dans cette première tentative d’esquisser les raisons du phénomène contre-révolutionnaire en pays niçois, les frustrations des paysans de l’ancien Comté, meurtris dans leurs espérances lors de la vente des biens nationaux. Ainsi dans le district de Nice (4), sur 140 ventes d’immeubles nationaux qui ont eu lieu sous le régime de la loi de ventôse an IV, quatre cultivateurs seulement ont pu bénéficier de ces ventes face à cent trente-quatre bourgeois. Surtout d’ailleurs les amis de la société des colons marseillais. Dans l’arrière-pays niçois c’est aussi net : sur cent quarante-quatre acquéreurs, quatre cultivateurs là encore (5). Une étroite minorité de bourgeois républicains et d’administrateurs jacobins s’est approprié ainsi la plupart des terres et des immeubles mis en vente. Des causes exogènes expliquent aussi les formes de résistance radicale à l’occupationfrançaise. La contre-révolution n’est-elle pas, comme l’ont souligné la plupart des spécialistes contemporains, le fruit de la conjonction de plusieurs phénomènes.
Dès 1789, des milliers d’émigrés français dont beaucoup de provençaux se sont réfugiés dans le Comte (6). Le consul de France, Leseure en poste à Nice, évalue leur nombre (en avril 1792) à 1500 individus de « tous états, de tous âges et de tous sexes » dont 400 prêtres. Cette présence massive d’émigrés donne le qualificatif de « petit Coblentz » à Nice. Leur haine viscérale de la révolution française s’est sans doute répandue dans des couches relativement larges de la population du Comté. Mais c’est sous le poids des réquisitions (contributions en nature destinées à suppléer les fournitures militaires), de l’arbitraire des administrateurs français, de certaines pratiques déchristianisations que s’est opéré le retournement de l’opinion. Le comportement de certains volontaires nationaux de l’armée française n’a fait qu’accélérer et augmenter les mouvements de résistance à une occupation étrangère à priori tolérée. Le phénomène contrerévolutionnaire est né de l’exaspération populaire pour la réquisition des récoltes et des troupeaux conjuguée aux excès accomplis par l’armée française. « Cette opposition populaire et spontanée des services militaires allait tout naturellement s’allier à l’armée sarde afin de lutter sur le terrain pour chasser l’ennemi français » (7). D’octobre 1792 à mars 1793, le montant des pillages est évalué à 178 310 F (8).Dans certains villages de l’arrière-pays le montant des pillages est bien estimé. Ainsi à Belvédère, les pillages par la troupe de 100 bœufs et vaches de 100 livres, 100 moutons de10 livres, 200 quintaux de foin (4 livres le quintal), 100 sacs de blé à 20 sols, 110 setiers de grainà 9 livres, auxquels s’ajoute un dîner organisé sur la place publique pour les 300 hommes du détachement français coûtent au village la somme de 22 970 F (9).Après cet inventaire, l’auteur a beau jeu de dénoncer le comportement intolérable de cette « phalange marseillaise composée de la populace des Bouches-du-Rhône (sic) » qui « se signalait par son indiscipline, violant les filles, détroussant les particuliers, saccageant tout » (10).A la Roquette Saint-Martin, petite commune de la vallée du Var, le poids des réquisitions militaires est particulièrement lourd (11). A la date du 2 février 1793, le village doit fournir à la troupe : 6quintaux de bois plus 3 autres quintaux pour les bivouacs 8 onces d’huile, 10 livres de paille. A cette quantité de fournitures s’ajoutent le 10 mai 1793, 26 charges de bois pour la troupe stationnée à Levens. Les exigences de l’armée française provoquent la supplication du maire et des officiers municipaux de la Roquette Saint Martin qui proclament qu’ils ne peuvent pas réunir la quantité exigée. A Roquebillière, un ordre de réquisitions dont le montant s’élève à 18 691 F, est donné quand les Français entrent dans la commune le 22 octobre 1792.Une partie des habitants, exaspérés, quittent alors le village et grossissent ainsi les rangs des miliciens (12). Dans une pétition du maire de Nice Pauliani au Directoire du département datée du 16 frimaire an II (6 décembre 1793), il est indiqué que les réquisitions provoquent la colère des montagnards. Le foin, indispensable à la marche des convois muletiers » est payé 40sous le quintal alors que le cours réel est de 3 livres (13).Les excès intolérables de l’armée française n’ont pas échappé aux autorités républicaines qui les ont fréquemment dénoncés à la barre de la Convention. Ainsi le député Goupilleau (14), durant la séance du 18 novembre 1792 : « Les vols, les pillages, les viols, les concussions arbitraires, la violation des droits de l’hospitalité, la bonne foi trahie, la chaumière du pauvre insultée, l’impunité de tous ces crimes qui se continuent, voilà les fléaux qui affligent une région que vous avez rendue à la liberté, et où vous avez voulu que les personnes et les propriétés fussent placées sous l’égide de la République française. L’abbé Grégoire, dans son rapport du 1er juillet 1793 à la Convention au nom des commissaires envoyés par elle pour organiser les départements du Mont Blanc et des Alpes-Maritimes, n’hésite pas à dénoncer âprement les horreurs commises par les armées de la Révolution victorieuses (15) : « La pudeur a été violée ; la majesté des mœurs a été outragée jusque dans la chaumière du pauvre… Ces forfaits commis dans les cabanes des montagnes, dans les malheureuses villes (sic) de Lantosque, Levens, Lucéram et surtout Sospel… Ces horreurs ont conduit au désespoir et provoqué des vengeances : beaucoup de ces malheureux, voyant leurs familles se traîner dans la misère, sont allés dans l’armée ennemie chercher du pain ou la mort ». Pour l’abbé Grégoire, l’instrument de ces excès est clairement reconnu, c’est le général Danselme, un de ces « concussionnaires qui ont dévoré les trésors de l’état… ».Dans sa lettre envoyée au Directoire exécutif du département des Alpes-Maritimes datée du 18 fructidor an VI (5 septembre 1798), le commissaire Bertrand relie la conduite injustifiable des représentants de l’armée française à la naissance du mouvement contrerévolutionnaire dans le pays niçois (16) : « Les Français entrés dans Comté de Nice purent parcourir avec des guides les communes du département, sans trouver aucune résistance. Ils étaient partout bien reçus, mais la conduite qu’ils tinrent à Utelle, Lantosque, la Bollène, Belvédère et Roquebillière fut cause que les habitants de ces communes et autres voisines prirent les armes pour défendre leurs biens, leurs femmes et leurs propriétés, les en chassèrent et les poursuivirent jusqu’à Utelle. Depuis cette époque s’est formée l’armée des « Barbets » qui ont tant inquiété les troupes françaises par leur brigandage… ».Quelles formes a donc pris la contre-révolution dans le département des Alpes-Maritimes ? Quelles couches sociales se sont alors engagées dans ce processus ? Notre regard s’est porté volontairement vers la forme majeure du refus de l’occupation dans l’ex-comté : le mouvement des barbets, du nom des artisans d’une lutte implacable contre les représentants d’un Etat révolutionnaire. L’historiographie traditionnelle est certes très divisée pour cerner la réalité de ces rebelles à l’autorité française. L’historiographie républicaine les considère, depuis longtemps, suivant pour cela le jugement des accusations militaires, comme des brigands, des « monstres sans foi ni loi ». Paul Canestrier dans le même registre, les définit comme « des truands, armes de pieds en cap, abreuvés de sang humain, nourris de vols, de pillages et de carnages ». Une légende noire est née que confirme le portrait que cite Henri Sappia dans son article sur les barbets de nos Alpes au début de notre siècle (17) : « Leur teint fort basané n’est pas embelli par les os saillants de leur figure en triangle ; des sourcils fort épais au bas d’un front large et mont eux rendent hagards les yeux dont les mouvements dans l’orbite sont bien loin d’être uniformes ; leur tête est hérissée de crins que la dent du buis ou du faine n’a jamais divisé ; quelques-uns même laissent croître leur barbe à peu près de la même espèce que leurs cheveux… Le costume… est le même, je crois, depuis l’origine du monde, les peaux de chèvres ou de moutons non préparées en font tous les frais. Sur ces peaux, ils jettent quelquefois une mandrille de joncs non tressés ou tissus, dont le bruissement n’est pas fort agréable ; sans la tête qui domine, on les prendrait pour des bêtes fauves à couvert sous une tanière mobile ; leurs tempes, à l’époque des neiges et des frimas, sont entourées de bandelettes blanches, dépouilles de leurs nombreuses victimes…De leur épaule gauche pend une espèce de bissac ou gibecière dans laquelle se trouvent toujours, avec quelques aliments grossiers, l’image d’un saint et le jeu du « tarroco »… ».Cette physionomie caricaturale ne permet certes pas de donner une image véritable de ces contre-révolutionnaires. « L’école » d’inspiration autonomiste en fait des résistants dignes d’éloge n’échappant pas à la construction du mythe des « bandits d’honneur » auréolés de courage et de bravoure dans leur action héroïque comme Contin de Drap et Fulconis de l’Escarène qui connurent tous deux une fin tragique. Le recours au mythe est particulièrement et dans la manière qu’a eu l’érudition régionale de présenter la mort de ces chefs de bandes. Leur fin macabre contraste avec une existence truffée d’actes héroïques. Ainsi le chef barbet Fulconis dit Lalin (généralement les barbets sont coiffés d’un sobriquet OL nom de guerre), natif de l’Escarène, est tué par un de ses proches compagnons le12 juin 1797 (18). Son cadavre, par mesure d’intimidation pour édifier les populations des dangers de rejoindre les barbets, est accroché à la porte de la maison de sa mère par les membres de la colonne mobile. Le lendemain, son corps est attaché à un mulet et amené à Nice, escorté par un détachement d’éclaireurs places sous les ordres d’un officier français. Là, le cadavre, exhalant une puanteur atroce et dont la figure n’était plus reconnaissable, est promené à travers les rues de la ville sur sa monture, un stylet (arme caractéristique des barbets) attaché à la main et un fusil sur le dos. Cette promenade sinistre engendre l’épouvante chez les Niçois. Pour faire cesser ce triste spectacle, les officiers municipaux de la cité se rendent au-devant du cortège avec leur écharpe et le font stopper. Cette attitude de la municipalité niçoise traduit certainement des luttes d’influence et une opposition radicale entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire dans la commune de Nice car elle mécontente fortement le général Garnier. Pour ce dernier, l’exhibition macabre est justifiée par la nécessité de donner une publicité importante à la mort d’un brigand redoutable. La narration de la fin de l’existence du chef barbet Contin de Drap est encore plus tragique (19). Le brigand légendaire est trompé par la ruse du général Garnier ennemi implacable des barbets qui lui promit de le faire nommer colonel d’un régiment s’il voulait quitter sa vie de barbet. Mais « naturellement », l’officier ne tient pas parole et le « malheureux » est jeté dans une plus étroite et humide prison, enchaîné par le cou, le bras et les pieds liés de manière à le tenir toujours debout ; il était obligé, le malheureux, de faire ses nécessités dans ses culottes ; il est resté dans cette triste position pendant six mois, sans compter que tous les matins et tous les soirs, le vindicatif geôlier lui régalait une trentaine de coups de bâton… Cet infortuné endurera cette cruelle punition pendant six mois, ce malheureux était rempli de plaies et rongé par la vermine… Rien n’est décidément oublié pour agrémenter le calvaire de Contin. La notion de putréfaction apparaît là encore pour amplifier le destin tragique de ces chefs barbets. Le mythe des barbets s’articule d’ailleurs aussi dans le département des Alpes-Maritimes autour du sinistre « Saut des Français » près du village de Duranus, là où les barbets sacrifièrent selon la tradition orale des centaines de soldats républicains. André Compan présente ces contre-révolutionnaires et leur mouvement comme une « guérilla remarquable qui tient en échec l’armée républicaine… des combattants de race exceptionnelle (sic)… (20). Il ne fait là que reprendre les sentiments d’un partisan de la maison de Savoie, Caïs de Pierlas : « Si certains furent des brigands, beaucoup par leur conduite héroïque mériteraient le respect, l’honneur accordé aux chouans de Bretagne » (21). Enfin Compan n’hésite pas à rapprocher de façon anachronique, l’action des barbets à celle des FTP de la seconde guerre mondiale. Nous avons tenté de dépasser cette tendance à créer un mythe autour d’un phénomène spécifique ici au pays niçois et essayé de mener une analyse serrée à partir des sources narratives disséminées dans de nombreux fonds archivistiques. D’où vient d’abord ce nom de barbet ? Il parait remonter aux périodes d’émigration de sectes religieuses, appartenant à l’église évangélique dans le Comté. Ces groupes provenaient en général des Cévennes et du Dauphiné, le barbe est le ministre de ce culte protestant. La première mention des barbets date de 1690, lors de l’invasion du Piémont par les troupes de Louis XIV. Entre 1744 et 1747, autre séquence d’invasion française du Comté, les montagnards des vallées piémontaises en lutte contre les envahisseurs, sont appelés barbets(22).Le cadre d’action des menées des barbets est relativement vaste. Il correspond en premier lieu, à l’est et au nord-est du district de Menton, zone contre-révolutionnaire type du département des Alpes-Maritimes. Sospel, Perinaldo, Briga, Saorge et Tende sont des endroits où de nombreuses actions de barbets ont été repérées. Les principales vallées du département, celle du Paillon avec les communes de Drap, Contes et l’Escarène, celle de la Vésubie avec Lantosque, la Bollène, Roquebillière, Belvédère et surtout Utelle et enfin celle du haut Var avec Villars, Puget-Théniers et Guillaumes sont de véritables réceptacles du barbétisme. Les barbets sont relativement peu nombreux sur le littoral mais les agissements de quelques bandes sont à souligner à Menton, la Turbie, Monaco, Eze, Villefranche et la Californie (ouest de Nice). L’ensemble de ces zones géographiques, par leur topographie (montagnes souvent difficiles d’accès), la quasi-absence de communications, l’hostilité communale généralisée ou presque à l’administration départementale, offrent aux barbets un terrain idéal. Les frontières sont décidément très perméables aux mouvements des barbets qui infestent périodiquement les secteurs d’Entrevaux et de Barcelonnette dans le département des Basses-Alpes. Dans le département voisin du Var, les barbets sont fréquemment signalés à Saint-Martin du Var, sur la rive droite de l’Estéron et dans les districts de Saint Paul et de Grasse. La Ligurie avec le district d’Oneglia ainsi que la région de Cuneo, foyers des barbets piémontais, complètent ce tableau de la présence et de l’activisme barbet. Dans la majeure partie de ces zones, la nature du terrain est particulièrement propice à la guérilla, beaucoup d’endroits étant adaptés à la tactique du guet-apens. Quelles motivations ont donc poussé les barbets à lutter farouchement contre l’occupation française, à refuser l’intégration dans la grande nation ? En fait, la lutte des barbets est le signe d’un refus radical de ce qui bouleverse les structures sociales. Elle est caractéristique de l’opposition entre la tradition et le progrès. L’historien britannique Eric Hobsbawm a remarquablement montré (23) comment des mouvements populaires à l’idéologie réactionnaire s’opposent au progrès social et à l’émancipation civile. Ils projettent non pas un monde nouveau, mais un monde ancestral au sein duquel l’homme est traité avec équité. Voici ce que déclare le chef des barbets d’Utelle, pris au « Saut des Français » à Duranus, au général Masséna : « Je défends mon pays ; vous êtes les plus nombreux et nous multiplions nos forces par la ruse et l’audace. Que nous font vos libertés promises et la gloire d’appartenir à une nation plus grande que la nôtre. Nous leur préférons les franchises (privilèges accordés par les souverains) de nos ancêtres et nos petites tribus montagnardes. Nous n’avons pas été vous attaquer chez vous, c’est vous qui êtes venus nous piller et nous chasser de nos foyers. Faites de moi ce que vous voudrez, le sacrifice de mon existence appartient à mon roi… » (24).En analysant ces mouvements, Hobsbawm y a clairement vu une contradiction au sens marxiste du terme, entre une condition sociale déterminée et des positions idéologiques affirmées. Pour l’historien napolitain Galasso, « le banditisme ou la révolte sociale, populaire ou paysanne, ont une matrice sociale commune : l’impossibilité ou l’incapacité de l’Etat moderne, dans la première phase de sa formation de jouer une fonction médiatrice entre ces parties sociales. » (25).Dans le cas de l’ex-comté de Nice, les classes populaires largement rurales sont restées incontestablement conservatrices et mêmes clientélistes. Elles demeurent à l’écart des idées diffusées par le mouvement des lumières figées dans leur « baroquisme ». L »‘Immacoiata » ne reste-t-elle pas invoquée par 80 % des testateurs à la fin du XVIIIe siècle (26) ? Aussi une nouvelle fois peut-on sensiblement rapprocher le barbétisme niçois du sanfédisme calabrais ou des lazzaroni napolitains dans une haine commune des principes républicains et des symboles du nouveau système : les arbres de la liberté étaient systématiquement coupés ou arrachés par ces contre-révolutionnaires ardents dans leur vandalisme réactionnaire. La ferveur religieuse est évidemment un des principaux facteurs de rébellion contre l’administration française qui cherche à imposer des institutions importées. Elle est un instrument efficace au service de la contre-révolution politique et sociale prénommée ici barbétisme. En l’an VI et en l’an VII, la multiplication des processions publiques, soutenues par certaines administrations municipales, comme à Aspremont, Lucéram ou Sospel, marque le refus radical des tendances déchristianisatrices développées ou encouragées par le directoire du département. Comment ne pas souligner aussi l’influence du curé sur les mentalités populaires (2