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La Momie des glaces.
A l’occasion de cette nouvelle année, je voulais vous offrir un de mes « Contes de ma cabane »…
Un conte qui a un rapport avec la saison actuelle, l’hiver, dans notre pays, la Countèa de Nissa, « La momie des glaces » qui se déroule dans une de nos vallées..
Je me suis rappelé de cette histoire parce que ce matin en aidant un collègue à mener les moutons de Villars à l’entrée de Beuil, je suis passé devant…….
Il faut savoir que par chez nous, jusqu’à la période au alentour de la guerre de 14, il n’y avait pas de route par les vallées. Tous les chemins dit « muletier » empruntait des parcours de col à col, les flancs de montagnes, ce que nous appelons les plateaux, voire les lignes de crêtes, pour aller de Beuil à Nice, il fallait compter 4 bons jours. Le grand père Emeric (20 ans à la guerre de 14) de St Etienne de Tinée, nous raconta une histoire qu’il tenait de son oncle . Les conscrits mobilisés pour la guerre de 1870, mirent plus de 12 jours pour aller à Nice en passant par le Val d’Entraunes car une partie de la Tinée était encore Italienne (donc peu sûre). Lorsqu’ils arrivèrent la guerre était finie.
En fait le traçage des routes actuelles commence avec l’invention de la poudre sans fumée et de la dynamite soit aux alentours de 1886. Et si toutes ces routes qui montent dans nos montagnes passent par des gorges et des clues, c’est que cela correspondait à l’époque à une notion stratégique: on pouvait avec quelques ouvrages et quelques hommes empêcher l’ennemi d’arriver à Nice ( Tinée, Vésubie) et de passer le Var (ancienne frontière de la France jusqu’en 1860).
Bref, à l’époque de laquelle je vous parle, la route des gorges du Cians, de Pra d’Astier au Moulin de Beuil n’avait rien avoir avec le « ruban bitumé » que vous empruntez aujourd’hui pour vous rendre à Valberg. Se croisaient péniblement entre les deux clues (la petite et la grande) une charrette et deux ânes en faisant attention de ne pas regarder du côté du ravin.
La route d’ailleurs était encore en chantier, et la partie des étroits tunnels, dont seulement deux sont encore visibles aujourd’hui et qui était destiné à une sorte de tramway, n’existait pas.
Les périodes de grand chantier apportaient la richesse dans nos petits villages, en effet tous les travaux de la route se faisaient à la force du sang, qu’il soit humain ou animal. Les nombreux ouvriers qui travaillaient à la route , vivaient sur place, et dépensaient sur place l’argent de la semaine et l’économat de ces entreprises de « travaux publics » achetait aussi vivre et bois d’œuvre. Il y avait aussi les manœuvres d’été des bataillons de chasseurs alpins dont l’intendance faisait vivre le pays.
Chaque année, il y avait une vive concurrence entre les cabaretiers itinérants qui se précipitait au printemps pour occuper les meilleurs emplacements avant la réouverture des chantiers. Un chantier durant plusieurs années, et le confort de l’établissement étant un argumentaire commercial de poids, peu à peu les structures de toiles se transformèrent en baraquement de bois. Cependant, à l’arrivée des premières neiges, le chantier s’arrêtait et tout le monde redescendait vers le littoral.
Et au printemps suivant, les commerçants avaient parfois de mauvaises surprises, le baracoun * avait soit été aplati par la neige, soit été détruit par un malheureux incendie. Tout était à refaire et parfois un concurrent moins scrupuleux avait pris la place. Aussi un jour Barbaniera * décida de passer l’hiver dans son baracoun * afin d’être prêt le premier à la prochaine saison de chantier.
Le dit Barbaniera était une force de la nature au teint très mat et pourvu d’une grande barbe noire et de quelques cicatrices sur le visage et d’un couteau de type « navarrais » passé à sa touiòla *.
Malgré un sourire commercial permanent, il inspirait le respect, ce qui était une qualité essentielle lorsqu’il fallait rétablir l’ordre, dans et autour de son établissement. Il faut dire que lorsqu’une bande de bûcherons piémontais se castagnaient avec une bande de tailleurs de pierre de Toulon, tous anciens bagnards, il ne fallait pas être taillé comme un présentateur de télévision pour ramener le calme.
Quand on parle de cabaretier, je ne suis pas sûr que vous compreniez. Le cabaretier à l’époque fournissait de l’alcool sous formes d’apéritif fabriqué maison, des remèdes (les mêmes apéritifs mais avec des plantes amères ¤) , du tabac de contrebande, du vin, et l’assistance affective de quelques « demoiselles » qui faisait aussi le service en salle. Le merchan * tenait aussi quelques articles de mercerie (bouton, fils et aiguilles) et quelques article de droguerie (savon à barbe, lame de rasoir, eau parfumée de Grasse, petite coutellerie, piège à souris etc…)
Donc le brave Barbaniera passa l’ hiver dans son baracoun * entouré de ses aides de cuisine, un frère et une sœur, bancal de corps et de cervelles.
Mais, il fallait être le premier à ouvrir et à être bien achalandé…. Et vous savez que l’hiver est fou par chez nous. Vous pouvez passer du mois de Décembre au mois de Février sans voir la neige et le froid et à entendre les pignes des pins sylvestres craquer de chaud et tout à coup fin Mars début avril, un mètre de neige et du gel à fendre pierre.
C’est ce qui se passa cette année-là. Mais Barbaniera devait s’approvisionner en tabac, en alcool et en vin et pour cela descendre jusqu’à Nice.
Malgré le mauvais temps, il attela le mulet à la charrette, mit à la longe deux ânes et partit. Pourtant les gens du coin, l’avait prévenu….
– « Si tu pars trop tôt, entre les deux clues tout est gelé, il y a de grosses plaques de glace sur le chemin et toi et ton équipage risquez de finir au fond du Cians » .
– « Oui, mais si tu pars trop tard, avec le dégel, tu risque les chutes de pierres et toi et ton équipage risquez de finir ratatiné sous les blocs… ». « Attends quelques jours avant de partir ». Mais Barbaniera ne dormait plus, il pensait que les gens du coin avaient passé un pacte avec l’un de ces concurrents et qu’ils lui disaient tout ça pour l’empêcher d’être le premier à ouvrir. Il décida donc de partir, ni trop tard, ni trop tôt.
Ainsi disparurent Barbaniéra et son équipage…. On ne retrouva aucune trace, ni de lui, ni des bêtes, ni de la charrette. Il faut dire qu’il y eut comme souvent de grosse pluie au printemps et que si quelque chose était tombé au fond du Cians, il aurait été entraîné au moins jusqu’à St Martin du Var. Certains dirent, qu’il était partit s’installer ailleurs après avoir engrossé une fille du pays, d’autres qu’il était partit à cause de dette, d’autres qu’il avait été victime d’une embuscade dont le motif était le vol. Et puis en dehors des veillées, on oublia…..
En 1923, la route était presque finie, et une fin d’hiver un habitant de Pra d’Astier, Martin, décida de monter chercher du foin vers Beuil car il pensait qu’il allait en manquer.
Il attela donc la charrette, et s’en monta planplanin * . Passé trois kilomètres après la petite clue, il s’inquiéta des quelques congères de glace aux travers de la route ainsi que des quelques pierres descendues la veille.
Mais malgré le froid vif du lieu, il était subjugué par le spectacle du mur et des stalactites de glace scintillante qui pendaient de la paroi. La mule s’arrêta et ne voulut plus avancer, il n’y avait pourtant rien sur la route…
Il avait beau tout faire et tout essayer, la bête ne voulait ni avancer, ni reculer. Il lui sembla alors entendre une voix, comme une plainte…
Mais, entre le courant d’air qui règne à cet endroit, le bruit de l’eau dégoulinant de la paroi et l’écho du grondement du torrent , il lui était impossible d’en comprendre la voix.
Pourtant la voix semblait parvenir d’un peu plus haut, de derrière un ouvrage fait d’une colonne de glace appuyé à la paroi de la route. Maîtrisant sa peur, il s’avança, et, entre une grosse dalle verticale rouge recouverte d’une coulée de glace et la paroi, il y avait un cercueil de glace transparent. Et dans ce cercueil transparent il y avait deux grosses orbites vides qui le regardaient…
Une tête de mort pourvue d’une grande barbe noire, le crâne ouvert et fendu comme d’un coup de hache. La peur fit faire à Martin un bon d’au moins quatre mètres en arrière sans que les clous de ses chaussures ne touchent le sol… il entendit alors un sifflement suivit d’un choc bref. Une stalactite de glace, s’était détachée du haut de la paroi et tel une lance était venue se ficher verticalement dans le sol de la route, à l’endroit où il se trouvait précédemment.
Barbaniera l’avait prévenu du danger qui avait sans doute causé sa mort.
Car on identifia bien les restes de Barbaniera notamment grâce à son couteau et sa bourse.
Si vous montez faire du ski, à Valberg, l’hiver, et malgré la nouvelle route qui a tué l’ancienne, vous apercevrez encore quelques murs de glace et des stalactites pas loin du lieu où l’on retrouva Barbaniera . Un conseil, ne vous y arrêtez pas, ni trop tôt, ni trop tard !
Vous me prenez pour un blagaire *, détrompez vous, si l’on se rencontre un de ces jours, je vous montrerai le couteau de Barbaniera , j’en ai hérité.
Jean-Marc FONSECA, dit Barbajohan . (Hiver 2005)