Istoria d’aqui

Il est de ces histoires de notre pays qui font remonter les souvenirs d’enfance.

 

Et, dans notre pays niçois, la lessive est une de ces cérémonies incontournables.

LA BUGADA *

Petit garçon, j’ai souvent enfoui mon visage dans une pile de linge frais, rangée dans l’armoire de la chambre de mes parents. Les yeux fermés, toute une vague d’herbes des prés et de lavande m’enivrait de bonheur.

A cette époque, nous avions les habits de la semaine et les habits du dimanche. Le lavage du linge se faisait exclusivement à la main. Il fallait tout laver, même les chiffons qui servaient à épousseter les meubles.

C’était en 1955, un matin de printemps je crois. Ma mère s’apprêtait à faire la lessive. C’était le jour des draps. Le linge était tout d’abord trié et puis entreposé dans un petit cabanon, à l’abri, au fond du jardin. Le blanc avec le blanc, les couleurs avec les couleurs, les draps avec les draps.

La lessiveuse en tôle galvanisée était posée dans un coin du jardin, sur un trépied de fonte noire. Des boules de papier journal étouffaient sous des brindilles de bois sec sur lesquelles étaient posées de petites bûches de chênes. La lessiveuse était remplie d’une eau qu’il avait fallu charrier seau par seau depuis la fontaine.

Au fond, on avait jeté, des copeaux de savon de Marseille mélangés avec une grosse poignée de cristaux de soude. Les draps étaient disposés tout autour du champignon de tôle. L’immense couvercle était alors posé sur le dessus. Ma mère craquait une ou deux allumettes pour allumer les boules de papier journal. Parfois ça ne marchait pas du premier coup, et de la fumée âcre montait dans le ciel.

Et puis, le feu « partait »…

Après, on ne savait pas trop quand, elle allait se mettre en activité et bouillir pendant des heures. Les jets bouillants et savonneux qui sortaient du champignon central de la lessiveuse, éclaboussaient de billes d’eau la fonte brulante du trépied. L’odeur de lessive, enveloppante, délicate, fine encensait le paysage.

Le lendemain matin, ma grand-mère et ma mère empoignaient la lessiveuse et l’emportaient à petits pas prudents et sans s’arrêter, pour ne pas salir de suie collante les tomettes rouges de la cuisine.

Les voisines savaient qu’une lessiveuse pleine, demande de l’aide pour descendre les quelques marches qui mènent au niveau du lavoir. En ciment blanc, le lavoir était simple. Il était rempli en permanence d’une eau limpide qui venait de Sainte Thècle.

Les draps de l’époque étaient fabriqués dans une grosse toile rêche que l’on appelait « gratte cul ». De plus, les draps étaient très longs, très larges et très lourds. Sur la margelle du bassin, la brosse de chiendent passait et repassait agilement pour bien extraire toute la lessive des fibres.

Au rinçage, je la revois encore, lancer le drap, comme un filet de pêcheur, et le reprendre et le relancer. Les draps plongés dans l’eau faisaient naître des tourbillons d’écume. L’énorme vrille de toile se dévissait. Le drap était rattrapé, secoué en son milieu pour en délier les fibres.

Mais, ma mère, qui devait en rentrant, s’occuper des autres tâches ménagères, servir le repas préparé tôt le matin, avait-elle le temps de sentir en rêvant son beau linge odorant ? Bien sûr que non ! Mais tout de même, elle était fière de sa blancheur, car cette lessive qui se laisse admirer en dansant sur son fil, était la fierté de toutes les femmes.

* La lessive.

Ségurano Dé Nissa

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