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Istoria d’aqui
Encore de belles histoires de notre Comté.
Notre ami, Segurano de Nissa, nous offre une belle histoire qui va réveiller des souvenirs chez certains d’entre-vous.
LA TRAVERSEE DU PAILLON
L’enfant libre a une âme de contrebandier, de braconnier, de maraudeur, de vagabond et de rebelle aussi. Aujourd’hui, l’avancée technologique a brisé leurs rêves. Nous taillons les broussailles et la soi-disant mauvaise herbe. Pire, nous habillons leurs rêves avec un style triste et aseptisé.
Connaissent-ils les champs, les bois, l’odeur de l’herbe tendre, les ruisseaux et les rigoles quand on dévie le courant ?
Je me souviens des escalades dans les cerisiers, des redescentes hasardeuses, le pantalon râpé les genoux en sang. De ces escapades au fond du jardin où j’entraînais ma petite sœur, lui promettant que nous allions découvrir un trésor rempli de perles brunes. Le jeudi, nous allions pêcher des poissons tropicaux dans les eaux du Paillon et chasser au lance-pierre, des oiseaux multicolores venus des îles lointaines. Mais, nous ramenions que des lézards gris qui faisaient peur aux filles. On faisait germer dans une soucoupe des haricots posés sur du coton.
Nos tendres bêtises continuaient à l’école avec les hannetons qui s’échappaient des boîtes d’allumettes où ils étaient emprisonnés, moments de désordre et de détente, … et, leçon interrompue.
Chaque recoin de la grange cachait une histoire. Pendant que les grandes personnes parlaient au coin du feu, je rêvais des sept boules de cristal et de l’île au trésor. Mon enfance fut entourée de personnages fantastiques.
Fifine, ma mère, avait travaillé chez tante Valentine, ma marraine, vieille fille et pas très sainte femme. Elle avait appris l’art de la couture et d’innombrables contes qui nous enchantaient. Sountina, ma grand-mère avait vu le loup, étant jeune bergère dans les campagnes toscanes, et elle gardait toujours, à quatre-vingts ans, au coin du feu, les brebis et les abeilles.
En tricotant une maille à l’endroit, une maille à l’envers, des bouts de laine qui allaient devenir un tricot bien trop grand, elles parlaient du temps d’avant. De l’homme qui était tombé dans l’eau avec son âne en traversant le Paillon. Bruno, mon père, retournant le soir, sur sa Moto Bécane verte dans la lumière du soleil couchant, apportait dans une cagette de bois blanc, des fruits, des légumes et des histoires de la ville.
Tonton Bastian, de La Trinité Victor, charmeur d’enfants, respecté sans avoir besoin de gronder, fabriquait des bateaux dans l’écorce des pins avec un petit opinel. Le mat était une allumette. L’enfance espiègle était un paradis…
Aujourd’hui, regarder briller les yeux des enfants nous montrerait la réelle valeur de leurs rêves, de leurs histoires, de leur mystère et de leur magie…
Peut-être nos petits-enfants continueront nos rêves trop courts et si lointains. Ils attraperont aussi des sauterelles, des grillons, des hannetons et des coccinelles du soleil.
L’enfant libre a aussi une âme d’aventurier. Quand il est un « pitchoun » de la campagne, il connaît bien les champs, les bois, l’odeur de l’herbe humide, les collines, les sentiers, les grottes et bien d’autre sites propices aux aventures les plus exaltantes. Avant d’être cet enfant-là, dans les garrigues turbiasques, j’ai été un enfant de la ville. J’explorais le monde autour de ma maison natale nichée au creux de mon petit quartier niçois, là-bas, à l’orée de la cité, quasiment au terminus du Trolleybus.
Dans les années cinquante, le quartier Florès était un mince îlot qui s’étirait entre le Paillon et le boulevard Pasteur. À l’époque ce dernier descendait de l’hôpital et butait sur le dépôt de chemin de fer où il faisait jonction avec le Chemin de l’Arbre Inférieur. Le majestueux boulevard finissait donc en cul-de-sac. De part et d’autre des villas avec jardinets, pour beaucoup construites sur le même schéma : un entresol surmonté d’un étage. Quelques commerces essentiels occupaient le rez-de-chaussée d’un alignement d’immeubles anciens jouxtant la place Docteur Paschetta : bar-tabac, boulangerie, boucherie-charcuterie. De l’autre côté, sur le quai Lyautey, se trouvait le Bon Lait qui vendait à la louche le produit des dernières fermes de l’Ariane.
Vestige de temps plus anciens, le Chemin de l’Arbre Inférieur faisait le lien entre la place Docteur Paschetta et la place Don Bosco, n’autorisant que la circulation à pied ou à vélo. Nous l’empruntions pour aller à l’école ; la maternelle pour moi. Je me souviens des jujubiers qu’on y rencontrait encore et dont les fruits fongueux nous régalaient malgré leur saveur vineuse.
La maison familiale se situait au N° 110 du boulevard et faisait l’angle avec la rue Curie, elle aussi en cul-de-sac. Dans cet espace borné de tous côtés, peu d’automobiles s’aventuraient. Le boulevard était donc quasiment dénué de circulation et livré tout entier aux jeux des enfants. Nous y jouions au pilou ou au Jokari. Nous y faisions des courses effrénées sur nos cyclorameurs et autos à pédales construites de bonne tôle (l’avancée technologique n’avait pas encore inondé le monde de ses plastiques). Nous dévalions la rue Curie sur nos draisiennes. Nous escaladions la colline Sainte Rosalie au fond de cette même rue pour chaparder des grenades dans les jardins partagés… Oui, l’enfance espiègle était bien un paradis.
Papé, mon grand-père paternel, officier armurier à la retraite au cœur d’or, nous fabriquait des toupies et des rigodons. Bricoleur hors pair et grand amateur de café, il avait confectionné une machine à torréfier les fèves dont nous aimions manœuvrer à tour de rôle la manivelle. Ah, la délicieuse odeur ! Ma madeleine de Proust à moi.
Et puis, le camion du glacier qui, à la belle saison, arpentait le boulevard en s’annonçant avec une trompette à poire. Nous l’entendions de loin et nous préparions à le recevoir. Oh, ce n’était pas le marchand de crèmes glacées. Non. Simplement le vendeur de blocs d’eau gelée destinés à la conservation des denrées périssables dans des glacières en zinc. À grands coup de son pic acéré, il débitait des tronçons à la demande dans de longues barres de section carrée faisant jaillir des gerbes de cristaux blancs que nous venions quémander. Avec un sourire complice, il faisait glisser la glace pilée dans nos gobelets, satisfait d’avoir ainsi illuminé nos pupilles. Ma mère y ajoutait quelques gouttes de sirop pour finaliser de sublimes gratta kéka.
Parfois, passait le rémouleur traînant sa charrette mystérieuse et impressionnante à la fois. Il stationnait au beau milieu du boulevard pour aiguiser les couteaux que les ménagères lui apportaient. Nous étions fascinés par les gerbes d’étincelles s’échappant de sa meule. Parfois c’était le vitrier qui venait interrompre nos jeux de son cri inintelligible mais retentissant. Il portait tout son matériel sur le dos. J’étais impressionné par ces plaques de verre qui me paraissaient immenses. La fête des mai se déroulait aussi au beau milieu du boulevard où un mât décoré de rubans et de fleurs était dressé. Musique chants et danses égayaient le quartier pendant les tièdes soirée du printemps retrouvé…
Pas sûr que nos petits-enfants continueront nos rêves. Ils n’attrapent plus les sauterelles ni les grillons ni les hannetons ni les coccinelles. Ils ne sont plus contrebandiers, braconniers ou maraudeurs. Ils ne vivent tout ça qu’à travers leurs écrans par personnages de jeux vidéo interposés. Leurs rêves sont habillés avec un style aseptisé et bien triste.