Istoria d’Aqui

Une nouvelle rubrique « Istoria d’Aqui » avec Barbajohan

La tante Camille

Quand j’étais petit, c’est-à-dire avant d’aller à l’école primaire, il m’arrivait d’accompagner ma mère rendre visite le dimanche après-midi à la sœur de mon grand-père.
C’était pour moi, une grande expédition, rendez-vous compte, il fallait prendre deux bus.
La Tante Camille habitait dans une petite maison à la campagne, à St Antoine de Ginestière, terrain que je situerais aujourd’hui au -dessus de la Faculté de Lettre Carlone, entouré de vignes, d’arbres fruitiers, de quelques oliviers et d’un potager luxuriant. Elle faisait aussi l’élevage de Lapins, de Pigeons et de Poules.
A côté de sa petite maison, se trouvait une maison plus cossue, qui appartenait à un rebouteux, guérisseur, magnétiseurs, fort connu à Nice à l’époque, mais dont je me souviens plus le nom.
Mon arrière-tante lui fournissait quelques plantes étranges qu’elle cultivait sous une petite serre ou en plein champs.
La tante Camille vivait ou cohabitait avec un homme mystérieux qu’on appelait le père Ancelin, et qui me faisait peur, car pour moi, il représentait l’ogre des Contes. J’avais tout aussi peur des chiens qui gardaient la propriété, deux bergers frisés noir qui aboyaient et grognait méchamment et que la tante enfermait quand nous lui rendions visites.
J’aimais bien aller chez la tante Camille, elle m’offrait souvent d’excellent biscuit, crêpes bretonne pliées et des caramels mou au café.
Et puis un ans après le décès de mon grand-père, la tante Camille vint habiter l’appartement du bas de la maison, avec poules, lapins, pigeons, mais sans les chiens et le père Ancelin.
De ce jours-là, je me régalais de bonne cuisine niçoise, car c’était alors une parfaite cuisinière.
Il faut dire que ma mère travaillant, elle n’avait pas forcément ni le temps, ni l’envie de faire la cuisine. Ma gamelle fut sacrément améliorée, il faut dire que mon père faisait le jardin ; les légumes étaient donc frais et pour la viande, elle était produite sur place.
Je doit dire que je n’ai jamais vu une telle production de légumes et de fruits aussi diversifiée sur une aussi petite surface. Bien sûr, il y avait Fèves, Haricots verts fin et ceux pour la graine, dont une variété qui faisait des graines énormes spéciale Kemia. Et bien sûr toute sorte de Courges de toutes les formes, sans parler des Aubergines et des Poivrons, dont une variété de gros piments longs que mon père appelait des Pébrettes. Il en faisait revenir cinq ou six entières avec un peu d’huile d’olive dans une poêle et en garnissait un sandwich fait d’un bout de baguette de pain.
J’avais essayé d’en manger une un jour, avec du pain, bien sûr, mais le piquant était encore trop fort pour mon jeune palais.
Quand à la tante Camille, elle se levait vers six heures trente du matin, prenait son café en y trempant ses tartines de pain, puis se roulait une cigarette qu’elle fumait en dégustant son petit verre de gnole. Cela fait, elle se mettait en cuisine.
Le seul désavantage que je trouvais à sa présence était que dormant peu, elle écoutait la radio souvent entre deux et trois heures du matin, et qu’occupant la chambre au-dessus de la mienne cela me réveillait. La seule fois où j’avais tapé sur le sol avec le manche d’un balais, elle avait monté le son, donc je mettais du coton dans les oreilles pour me rendormir.
Tant qu’elle fut en gamba, elle prenait le bus une fois par semaine pour aller faire les courses dans le Vieux Nice pour ramener Tripes, Abats , Stockfish avec ses boyaux séchés et de quoi faire une Daube.
Je dois dire que plus jamais je n’ai mangé une aussi bonne estoquaficada, bien sûr elle savait choisir la marchandise, accommoder, mais en plus tout était mitonné sur une grosse cuisinière à bois.
Un hiver où la nuits était tombée, me distrayant de mes devoirs, je m’en vint regarder par la fenêtre de ma chambre, et j’aperçu comme un tas de chiffons noir, par terre dans le chemin qui amenait au poulailler. Cela m’intrigua et dans la semi-obscurité, je découvris la tante Camille couchée par terre.
A son haleine , et à ses propos confus, je compris qu’elle avait bu un coup de trop, mais en plus elle maugréait : « E mau, resta pas aqui couma un pouore en terra, ajuda me a me leva »
(J’ai mal, reste pas ici comme un poireau en terre, aide moi à me lever).
Elle n’étais pas bien grosse, mais je ne savais pas m’y prendre, et je n’y parvenais pas.
Par chance, ma mère et le voisin, rentraient de leur travail et j’appelais à l’aide.
A trois, nous embarquâmes la tantine, et la déposèrent sur son lit.
Ma mère remonta à l’étage pour téléphoner à un docteur, cela faisait juste quelques semaines qu’on nous avait installé le téléphone.
Elle revint et dit : « J’ai trouvé un jeune docteur qui fait un remplacement ; il sera là dans vingt minutes. »
Effectivement, c’était un jeune docteur, il ausculta brièvement la tante Camille, tension, écoute du cœur, la tête pour voir s’il n’y avait pas une trace de chute, et palpa délicatement son bras gauche qui lui faisait mal.
Il pris ma mère à part et lui dit : « Quel âge a-t-elle ? »
– Quatre-vingt-six ans !
– Elle est encore en forme ; toutefois à son âge, on ne sait jamais ! Je vais vous faire une ordonnance pour avoir une ambulance et l’amener à l’hôpital pour ne serait-ce passer une radio.
Et ma mère s’absenta de nouveau, et quand elle revint , elle nous annonça :« J’ai téléphoné aux ambulance de Cimiez, ils nous envoient un véhicule d’ici dix, douze minutes. Ils connaissent la rue, mais je vais quand même enfermer la chienne, ouvrir le portail et éclairer le devant de la maison.
Elle en profita pour ouvrir la fenêtre car il régnait dans la chambre des odeurs d’hygiène négligé et de cuisine, car la chambre était située en face la cuisine.
La tantine avait dû capter quelques bribes de conversation car les effets de l’alcool se dissipant, elle se renfrogna et dit : « Le docteur ne vous a pas interdit de m’amener un verre d’eau, j’ai soif ! »
La dessus , les deux ambulanciers apparurent, ils avaient dépliés une civière roulante, tout étant au rez-de-chaussée et de plain-pied, leur travail serait facilité.
Les ambulanciers en question étaient du gabarit ailier et pilier de Ruby.
Ils arrivèrent le sourire au lèvre : « Allez, Mme Brignoni, on va vous amener à l’hôpital passer une radio et on vous ramènera à la maison, comme ça votre nièce, vous refera le lit. »
– Je n’irais pas à l’hôpital, c’est un endroit où l’on se débarrasse des vieux.
Je sais ce que j’ai, cela arrive souvent aux footballeur, je l’ai lu dans le journal.
Je vais me faire un pansement avec de l’argile et de la sauge et dans quatre jours, ça sera passé ! »
– Allez, madame, il faut être raisonnable, vous pouvez avoir un os fêlé. Ils s’enquerront de cela à la radio, et s’il n’y a rien tout le monde sera tranquille et heureux.
Et pendant que l’un d’entre eux faisait le tour du lit côté fenêtre, l’autre regagna le couloir pour amener le brancard roulant.
C’est alors que la Tante Camille, passa son bras valide sous l’oreiller et en sortit un révolver.
– L’en as lou rabatin, le premier qui tente de me saisir, je le tue !
C’est ainsi que le brancardier sauta par la fenêtre, et que la pièce fut évacuée.
Un comité de crise se réunit dans le couloir, a vue dérobée de la tante Camille.
Les ambulanciers conclurent que leur travail ne consistait pas à désarmer une forcenée armée même âgée et que donc, ils regagnaient le garage de leur entreprise.
Les adultes tinrent conciliabule et il en résulta qu’il était inutile de faire intervenir la police, car cela aurait été un carnage, la tantine disposant vraisemblablement d’un arsenal sous son oreiller, et dans le tiroir de sa table de nuit.
Ceci dit elle continuait à gueuler : « Manques plus qu’acco voules me faira crepa de freih amé la fenestra duberta e de set ! Manigordou de vieh ! ». ( Manque plus que ça, vous voulez me faire crever de froid avec la fenêtre ouverte , et de soif ! Tortionnaires de vieux !)
Finalement, étant le plus jeune, je devais tout juste avoir quatorze ans, et ayant l’air innocent ; je fut chargé lui amener un verre et une carafe d’eau et de fermer la fenêtre.
– Granmacci pitchoun, tu es un boun pitchoun. Viens que je te fasse la baïeta et que je te donne une pièce, ouvre le tiroir de ma table de nuit, prends la boite en fer, ouvre là et prends toi une belle pièce.
Effectivement, dans le tiroir, il y avait encore un pistolet et des cartouches de révolver.
– Tu vas voir ce n’est rien, je serais en gamba, le bras réparé dans peu de temps.
Et d’une voix plus forte : « Tu diras à ces bourreaux de vieux, que je ne veux plus voir leur face de rat et de traitre chez moi au moins pendant une bonne semaine ! »
La tante Camille finit par aller à la Maison de retraite de l’Hôpital de Cimiez, elle y fit une telle révolution qu’elle fut transférée à Tende où elle décéda à l’âge de cent trois ans.

Barbajohan le 06/03/2021

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