Alexandre Louis Andrioli

Il est des hommes remarquables qui sont parfois oubliés par l’Histoire.

 

 

Nous allons parler, ici, d’un personnage atypique du Comté de Nice qui a eu une vie extraordinaire qui le conduira à travers l’Europe d’alors. Il fut un homme de guerre mais aussi un homme de plume de qualité.  Contrairement à bien d’autres il ne reniera jamais sa Patrie Niçoise. Cet homme c’est Alexandre Louis Andrioli qui a toute sa place dans notre panthéon des grands anciens, même s’il est peu cité.

Aujourd’hui, son souvenir n’apparait que sur le nom d’une rue à Nice. La rue Andrioli est une rue qui va de la Promenade des Anglais (niveau n° 52) jusqu’à l’avenue des orangers (niveau n° 13).

Nous voulons, par cet article, effacer cette injustice et faire connaitre aux Niçois ce grand ancêtre.

 

Alexandre Jacques Ulderic Louis Andrioli, va  naitre en 1766, non pas à Nice, comme on l’a écrit souvent, mais à Sospel où son père se trouvait en garnison. Alexandre Jacques Andrioli est bien oublié de nos jours, et pourtant peu de monde sait que cet officier niçois du roi de Sardaigne fut aussi un grand écrivain bilingue (en italien et en nissart).

C’est bien à Nice qu’il va passer toute son enfance. Dans « A Nizza Marittima » il racontera, plus tard (en 1818), ses « fanciulleschi trastulli »  (divertissements enfantins) comme les promenades au bord de mer, sur le cours, à Cimiez, dans les vallées du Paillon et du Var, les parties de pêche au clair de lune au port, dans la Baie des Anges…et il indiquera qu’il a quitté Nice pour entrer dans l’armée avant sa vingtième année. Il vécut dans des périodes troublées de l’histoire, et devra affronter  les évènements militaires, politiques et culturels de son époque.

Ses origines sortent du commun, puisqu’elles unissent, intimement, le Comté de Nice au lointain canton helvétique des Grisons. En effet, son père, Jean Andrioli (Dreoula en romanche) est en effet né à « Sils de l’Engadine ». Il est à noter que ce village de Sils a une autre particularité qui sera d’accueillir de nombreux artistes et écrivain dont le plus célèbre sera Friedrich Nietzsche. Il existe toujours, de nos jours, un  musée Nietzsche à « Sils de l’Engadine ». Le père de notre héros niçois y était capitaine au régiment Suisse-Grison, une unité au service du roi de Sardaigne.

Le 9 janvier 1765, jean va épouser, en l’église Saint-Gaétan de Nice, en secondes noces, Thérèse Malausséna une femme du pays niçois. Celle-ci, est alors âgée de vingt ans et est une pure niçoise. En revanche, son père, lui, est natif d’Utelle et n’a jamais cessé de remonter, régulièrement, au village. C’est d’ailleurs là, à Utelle, qu’il mourra en 1760.

Plusieurs membres de la famille de Thérèse étaient à l’époque employés au Palais Royal, il se peut qu’elle y ait elle-même travaillé, ce qui expliquerait sa rencontre avec le capitaine Andrioli.

Nous savons par les Archives cantonales des Grisons qu’en 1785 Jacques Andrioli entre comme cadet dans le régiment paternel. Le 30 juin de l’année suivante, il est promu sous-lieutenant. Quand en 1792 éclate la guerre entre la France et le Royaume de Sardaigne, il est lieutenant des grenadiers dans le 1er bataillon de son unité. Le hasard veut qu’il reçoive le baptême du feu non loin d’Utelle, le village de ses ancêtres maternels.

Il va se battre, en effet, sur le Férion, dans la vallée de la Vésubie et, au printemps 1793, fait partie du dispositif du duc de Chablais sur l’Authion. Krebs et Moris, dans leur minutieuse reconstitution des Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution, signalent sa présence à la tête des milices établies aux Villettes. A la suite de la bataille du 12 juin, lors de laquelle les Austro-sardes repoussent les Français, il va particulièrement se distinguer. Il sera promu au grade de capitaine-lieutenant le 27 juin puis fait chevalier de l’ordre des saints Maurice et Lazare le 20 août. Jacques Andrioli quitte l’armée à la dissolution de son unité, le 30 juillet 1800. A la différence de Niçois comme les futurs généraux Tordo ou Rusca et le futur maréchal Masséna, qui n’hésitèrent pas à guerroyer contre leurs propres compatriotes dans les rangs de l’envahisseur, Andrioli n’a jamais servi la France. Bien au contraire, il ne cachait pas son hostilité envers un pays qui l’avait blessé, vaincu, et condamné à quatorze années de retraite forcée. Sous le Consulat et l’Empire, installé à Turin, il va se consacrer à la poésie.  Il sera bientôt admis dans une douzaine d’académies italiennes : l’Ordine accademico degli Indefessi, l’Impériale Accademia di Scienze ed arti d’Alexandrie, l’Olimpica de Vicence, la Virgiliana de Mantoue, les Georgofili de Florence, la Subalpina de Turin, la Dipartimentale délia Stura, les lrrequieti de Chien, etc. Mais ce qui nous semble le plus intéressant, c’est son appartenance, dès 1797, au la non moins célèbre « Arcadia » (Arcadie) de Rome, où il prend le nom de plume de Clomiro, puis dans une « filiale » de Y Arcadia, la « Colonia Delia Dora » (la colonie de la Doire) qui fonctionnera à Turin pendant un peu moins de quinze ans. Andrioli participera activement à la vie de cette société , portant cette fois le nom de plume de Filinto et assurant les fonctions de Censore (1800-1801), de Custode (1802-1803) et de Segretario (1803-1804), 1807-1810). Il se plaisait à lire certaines de ses œuvres au cours des réunions publiques. Andrioli publie en 1806 dans les deux tomes de ses « Opère poetiche »  les cinquante-neuf pièces des Poésie varie et le poème épique en six chants intitulé Segurana. La municipalité niçoise présidée par Louis Romey, à qui il a envoyé ces ouvrages, décide le 5 juin 1807 de faire frapper une médaille d’or en son honneur. Cependant, la littérature n’était pas le seul objet des académiciens de la Doire. Il s’agissait aussi de réunions politiques d’opposants à l’occupation française. Effectivement, quoique prudente, l’orientation antifrançaise des œuvres de Merlo et de ses amis, Andrioli compris, est assez sensible. Mais selon Sauli ces textes ne furent pas jugés bien redoutables par la censure qui ne s’opposa pas à leur publication. Après la disparition de la société, Andrioli produit un certain nombre d’œuvres de circonstance et se tourne vers le théâtre. Indice de sa notoriété dans les milieux artistiques, c’est Giuseppe Finco, plus célèbre sous le pseudonyme de Farinelli, qui compose la musique de ses œuvres « Lauso e Lidia »  et de « Scipione in Cartagena ». Notre poète semble alors avoir adouci son hostilité envers la France: les deux premiers livrets sont dédiés « A Sua Altezza Impériale il Principe Camillo Borghese », l’époux de Pauline Bonaparte. Ces dédicaces étaient sans doute indispensables à qui voulait être joué et publié et l’on peut penser qu’Andrioli a obéi à des raisons alimentaires, puisqu’on lit sur le troisième livret, daté du premier carnaval de la Restauration Sarde, que Scipione in Cartagena serait créé en présence des souverains sardes. En ce qui concerne sa vie privée, Andrioli était un violoniste talentueux dont la compagnie était recherchée, il menait « une vie d’artiste » et grâce à ses poésies galantes, il avait beaucoup de succès auprès des femmes. Nous avons découvert qu’il épousa à Turin, le 12 août 1813, une veuve de trente-sept ans, Constance Joséphine Marguerite Varotti. Il ne semble pas que des enfants soient nés de cette union. Andrioli recouvre son rang et voit sa situation s’améliorer nettement à la Restauration. Son régiment est en cours de reconstitution à la fin de 1814, quand, le 22 décembre, il entre à nouveau dans l’armée régulière. Il gravit ensuite assez rapidement les échelons. En 1816, il est capitaine à l’Etat-major de la division de Savoie à Chambéry. Le 5 mars 1816, il est fait chevalier de l’Ordre Royal Militaire de Savoie. En février 1818, avec le grade de major d’infanterie, il est sous-adjudant général. Toujours affecté à Chambéry, il accède au grade de lieutenant-colonel le 20 décembre 1819. Le 17 février 1821, il est muté à la division d’Alexandrie et s’y trouve au moment de la tentative de révolution qui secoue le Piémont. La citadelle, gagnée aux idées libérales, se soulève le 10 mars. Dans La Primavera nicese dell’anno 1821, Andrioli proclame son loyalisme envers Victor-Emmanuel 1er et juge sévèrement cette sédition, parlant de « corrata schiera »  (troupe corrompue) pour désigner les insurgés et « d’atroce tradimento »  (atroce trahison) à propos d’une tentative qui à son origine avait la sympathie du prince Charles- Albert.

Le 18 avril 1821, Andrioli est nommé adjudant général, commandant par intérim de la ville et de la province de Verceil. Sans doute cette affectation entre-t-elle dans le  cadre de l’épuration qui suit la renonciation de Charles-Albert à la régence le 23 mars 1821 et précède la prise de pouvoir par Charles-Félix. Andrioli est visiblement considéré par ses supérieurs comme un élément sûr, qui participe au rétablissement de l’ordre. Il passe à l’Etat-major de la division de Gênes le 2 septembre 1823, puis dirige provisoirement la place d’Ivrée à compter du 29 octobre suivant, est enfin mis à la disposition du ministère de la Guerre le 22 décembre de la même année en tant que lieutenant-colonel adjudant général. Enfin, il est nommé colonel et prend le commandement du 1er Bataillon de Garnison le janvier 1825. Ce sera sa dernière affectation : il est admis dans le cadre de réserve le 19 octobre 1830. Andrioli n’a pas renoncé à ses travaux littéraires en reprenant du service. Il produit alors surtout des œuvres de circonstance, épithalames, poésies encomiastiques exprimant toutes une fidélité absolue à la Maison de Savoie. Il traduit en 1826 un ouvrage d’histoire dont on lui attribue souvent et à tort la paternité, les « Annali militari dei Reali di Savoya, dal 1000 sino al 1800 » que leur auteur, le Chevalier Carlo Vittorio Franco di Quata, avait écrit en français. En 1827, il publie une nouvelle version de Segurana , illustrée du seul portrait de lui que nous connaissions, une lithographie de Gonino réalisée d’après un dessin de Casella qui le représente en uniforme. Ce sont là ses dernières œuvres en italien. Désormais en effet, Andrioli n’écrira plus qu’en langue locale. On aura ainsi la troisième version de sa Segurana , sous le titre « Segurano . Poemo italian (…) parafrasat en nissart », et une série de « Poesio nissardei ». Ces textes sont restés inédits. Andrioli  attachait beaucoup  d’importance à la médaille d’or que la Ville de Nice lui avait offerte pour sa « Segurana », puisqu’il demande, dans son testament, que l’objet soit renvoyé à Nice « pour être conservé dans les Archives de la Cité », ce qui fut fait. Le 8 novembre 1838, Andrioli succombe à une fièvre catarrhale à son domicile de Turin, maison Del Pozzo, paroisse San Francesco di Paola (c’est-à-dire dans le quartier du Palais Royal). On procède à l’ouverture judiciaire de son testament le surlendemain à l’Hôtel de Ville. Ainsi se terminera la vie très riche de cet homme qui aura été le lien entre les Grisons, le Comté de Nice et le Royaume de Piémont-Sardaigne.

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