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De la beauté des anges
Notre ami, Patrice Barbajohan, vient de nous livrer le dernier de ses « Contes de ma cabane », un nouveau Conte de Noël.
Lou pastre qui nous régale lors des soirées des « Veillées dans nos vallées » (Vèiada en lou nouòstri valada) par ses histoires extraordinaires qui se déroulent dans nos vallées, vient de nous offrir un beau cadeau per lou temp de Calèna.
Contes de ma cabane.
« De la beauté des anges ».
C’était un de ces pays de montagne, adossé à mi- pente, au fin fond d’une vallée, sur une terre ingrate, une sorte d’ilot au milieu d’éboulis secs et de de roubines noires. Un petit hameau, auquel aucun Saint n’avait donné son nom, on en avait gardé le nom du lieu dit : « Despera » (*1)
Personne n’osait trop s’aventurer vers là haut, on disait que les habitants étaient méchants comme la teigne et laids comme des boucs.
On disait que l’hiver, il y gelait à pierre fendre. Que la terre y était trop dure pour y creuser le sol et que quand quelqu’un y mourrait, on le hissait en haut d’un arbre, parce que congelé, ni les corbeaux, ni les renards n’iraient en emporter des bouts.
On disait qu’ils ne ressortaient de leurs tannes, fin avril sentant le rance et l’urine, le visage noir de suie, les ongles comme des griffes, et qu’ils se livraient alors à un rite particulier, ils se lavaient tous les uns avec les autres dans le lavoir et ensuite dansaient mi- nu autour d’un feu dans lequel ils brûlaient leurs vêtements et leurs paillasses pleines de vermine.
On disait aussi, qu’ils étaient plus ou moins tous cousins consanguins par là-haut, à force de dormir l’hiver sur la même paillasse et sous les mêmes peaux de mouton
Et on disait…Et on disait…
Et on disait, le soir, autour du feu pour se donner le frison de la peur.
Il y avait une chapelle à Despera, mais le curé du canton n’y montait plus sinon pour la messe des morts, et relever le registre des naissances et des mariages « civils », souvent raturé que tenait un « Desperadois » qui savait tout juste écrire.
Pour cela, ce brave curé, se tapait quatre heures de marche par un mauvais chemin.
Il se faisait escorter par le bedeau et son frère armé d’un solide gourdin, car la fois où il était monté tout seul, il avait trouvé, des cochons et des poules dans l’église. Voulant mettre dehors tout ce petit monde et en trouver les propriétaires pour leur faire nettoyer les lieux, il fut violemment conspué.
Bref, des sauvages et des barbares dégénérés, que l’on évitait soigneusement.
Il se passa, néanmoins, un heureux évènement cette année là, en Novembre, madame Ginola pour l’état civil, mit au monde son onzième enfant. C’était une fille, avait dit la mère Gobi, qui faisait office de sage-femme et d’accoucheuse pour les vaches. Elle l’empaqueta dans des linges plutôt propres et la remit à sa mère. Celle ci la regarda , et fut rapidement séduite par les grands yeux déjà ouverts et l’esquisse d’un sourire ; le père arriva un peu plus tard, et y jeta un coup d’œil discret, il faut dire qu’ayant sacrément arrosé le temps de la couvade (*2) , il s’affala saoul sur l’autre moitié de la paillasse et se mit à ronfler.
C’est le lendemain en démaillotant la petite, qu’on se rendit compte. Elle était bossue, n’avait qu’une moitié d’oreille velue et pointue, une main à quatre doigt, une grosse bosse sur l’arrière du crane, un bras plus court que l’autre et un pied bot.
La femme appela son mari pour lui montrer la chose : « T’as vu ce qui m’est sortie, qu’est ce qu’on va en faire, ce sera une bouche inutile . Elle rapportera jamais rien, il va falloir faire comme avec les autres. »
Le soir, le père, prit le bébé, et monta au fenil, là où sont accroché les jambons et les poitrines salées, là ou souffle le courant d’air froid qui raffermit les salaisons. Il y déposa l’enfant.
– « Va que si elle survit au froid, un coup de mal de poitrine, l’emportera bien dans les jours qui viennent. » Et il repartit…
Quel ange dans la nuit à la lueur d’une lanterne à bougie, donna un peu de lait d’ânesse à l’enfant, la recouvrit de flanelle, et posa un crucifix sur sa couche, nul ne le saura jamais.
Le lendemain matin, le père remonta, le bébé était toujours vivant et semblait en forme. Il écouta sa respiration, non elle était normale. Il ramassa le paquet et le redescendit à la mère.
– « Je ne comprend pas, ce qui s’est passé. Elle n’aurait pas du… »
– « La mère lui répondit, forcément tu l’a emmailloté dans de la flanelle, imbécile, il va falloir tout recommencer… »
Elle défit la flanelle et le crucifix tomba, elle se signa et dit au mari : « Prend un vieux bout de drap , trempe le dans l’eau, emmaillote là dedans et va la remettre là haut, s’il gèle, elle y passera. »
– Non ! Non ! j’ai vu le crucifix tomber, si quelqu’un l’a baptisée durant la nuit, je finirai aux enfers. C’est un signe de Dieu, il ne faut plus la tuer, il faut la garder, maintenant. »
Ainsi la peur de l’enfer, sauva l’enfant, mais il existe aussi des enfers sur terre….
Car la pauvre « Chouaspouneta » (*3) comme on l’appela, aurait peut être, en fin de compte, préféré le paradis des âmes innocentes à la vie au milieu des habitants de Despera.
Elle fut l’objet des moqueries et de la méchanceté des gens, on la faisait dormir l’été dans la niche du chien et l’hiver à côté de l’auge aux cochons, pour la nourrir, on mettait dans une auge par terre ce qu’avait laissé le chien ou le cochon, voire les poules. Ceux qui passaient le soir ou avant que le jour ne se lève, entendaient les longs sanglots de sa détresse dans sa solitude.
Mais chez ces gens-là ! On a de l’honneur, m’sieur dame, on ne se mêle pas des affaires des autres.
Le pire pour « Chouaspouneta« , était que les autres enfants la fuyaient, elle n’avait pas d’amis, la seule fois où heureuse, elle avait recueilli un loir qu’elle avait apprivoisé, elle eut le tort de le montrer à d’autres enfants. Ils lui arrachèrent le loir et le massacrèrent à coup de pied et à coup de pierre.
Un jour, un habitant du village, « Smountaco« , descendit vendre quelques peaux de renard, de lapin et de chèvre qu’il avait tanné, à la foire du canton.
Il en remonta avec un bouc , cinq chevrette et un petit garçon.
– « Aloura, mestre s’en reven de la fièra ? « (*4)
– « Ahi, ma sieu pas ségur, d’avé fach un bouon negoci « (*5)
Et il s’expliqua, bon il avait bien vendu ses peaux, et ça faisait un moment qu’il lorgnait pour s’acheter un nouveau bouc. Là-dessus, il était tombé sur un maquignon un peu gitan, qui lui avait dit : « Tapons là sur le prix du bouc, et je te fais cadeau des chèvres, si tu me débarrasse du gosse. »
Il avait bu plus qu’un coup , le prix du bouc était intéressant , les chèvres aussi mais qu’allait il faire du gosse.
« Tu pourra justement, t’en servir pour garder les chèvres et faire des brandes pour l’hiver. »
Lui répondit le maquignon.
C’est le long du chemin, que « Smountaco« , s’aperçu de la démarche du gosse, il boitait, marchait de guingois , et avait une bosse, un bras plus court que l’autre prolongé d’une main à trois doigt seulement. Bon, se dit-il, il sera toujours bon à garder les chèvres.
– « Aloura , pitchoun, couma ti souna ? » (*6)
Le gamin, le regarda tristement en secouant la tête de droite à gauche et en haussant les épaule.
– « Oh, accapes pas? seríes pas balourt o mut, tu ? » (*7)
– « Ma noun, audi e parli, ma sabi pas coume mi souna , moussu » (*8)
– « Aloura, te sounarai « Sabi pas« . (*9)
L’arrivée de « Sabi Pas« , changea la vie de « Chouaspouneta« , comme un boqueteau d’herbe dans le noir des roubines qui aurait donné naissance à un bouquet de violettes.
Moqués, chassés, martyrisés parfois par les autres enfants du village, ils forgèrent une solide amitié, une complicité qui leur permit de survivre.
« Sabi Pas » avait quatre année de plus que « Chouaspouneta« , et ce qui devait arriver arriva, l’amour se mit à voleter tout autour d’eux.
Lors d’une rare messe pour les morts que tint le curé, ils vinrent le voir.
– Mon père, nous voudrions nous marier.
– Mais vous êtes chrétiens et catholique au moins ?
« Chouaspouneta« , lui montra un petit crucifix : « C’est un ange qui me la donné, au moment ou la mort venait me prendre, je l’ai toujours gardé. »
Quant à « Sabi Pas« , il sorti du col de son tricot accroché à une chaine un médaillons figurant une madone : « C’est ma mère qui l’a passé autour de mon cou, avant de me jeter par la fenêtre, quand les gens ont mis le feu à notre roulotte. »
Le prêtre réfléchit: après tout recueillir au sein de la paroisse des âmes pures et innocentes faisait partie de son sacerdoce et du message du christ.
– « Je vais vous donner ma bénédiction mes enfants, mais je ne veux pas que cet acte reste clandestin, je veux que les gens le sache. Et vos parents sont-ils consentant ? »
Il regarda la tristesse de leur regard et dit : « Ai accapit, alors on se passera de leur consentement. Bon, vous n’avez pas d’anneau, on prendra de la ficelle, et pour les témoins les anges seront là, ce seront sans doutes les mêmes que la providence vous avait envoyé . »
Ainsi, le prêtre fit sonner les cloches, et les mariât.
Il fit résonner les cloches, lorsqu’ils ressortirent de l’église bras dessus, bras dessous.
Les gens peut habitués à une telle activité carillonnante, en curieux s’étaient massé au bas des marches de l’église. Dés qu’ils les aperçurent, ils se moquèrent, leurs jetèrent des épluchures.
– Oh que si vous faites des petits gardez moi en on les mettras dans une cage au cirque.
– Venez voir le mariage des monstres.
– La nuit de noce va être difficile, faudra un treuil pour les séparer. Tant qu’ils sont mal foutu.
– Les bosses vont s’entre choquer.
Ainsi sous les moqueries et les projectiles, « Sabi Pas » et « Chouaspouneta« , fuirent en courant vers la montagne et on ne les revit plus.
……..
Que dire ? tout ce que j’aime : de l’authenticité, des mots justes et bien choisis, des émotions qui passent, notre langue nissart – le talent de l’écriture et de l’imagination – un grand merci et chapeau bas.
Corinne,je vous remercie pour votre appréciation, un trés beau cadeau de fin d’année.