1814 : La Libération et le début du divorce

Il y a quelques temps, nous avons publié le texte de la conférence qu’avait donné notre rédacteur en chef, Robert-Marie MERCIER, l’an dernier à l’occasion du bicentenaire de la libération du Comté de Nice et de la Restauration Sarde.

 

Le Palais Royal à Turin

 

Cette première conférence qui portait plutôt sur l’occupation de notre territoire et de la lutte menée pour le libérer s’intitulait « Occupation et Résistance » et était suivie d’une autre conférence dont l’action se déroulait dans la foulée des évènements rapportés dans la première puisqu’elle portait sur la libération du territoire et la Restauration de la souveraineté de la Maison de Savoie qui administrait les Etats du Royaume de Piémont-Sardaigne.

 

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C’est Jean-Marc FONSECA, président du « Mouvement Citoyen du Pays Niçois » qui est l’auteur de ce texte et nous a donné l’autorisation de le reproduire. Ce dont nous le remercions.

Les prémices :

Selon le témoignage de Durante : « Le mémorable 29ème Bulletin des Armées Impériales, qui faisait connaître l’immensité des pertes de la Grande Armée, provoqua partout la consternation et la terreur. A Nice, il n’eut pas d’autre effet que de faire renaître l’espoir dans les cœurs brisés par de longues souffrances. » Il faudra attendre 1943 pour qu’un communiqués similaire, celui de la défaite des armées d’Hitler devant Stalingrad provoque la même espérance chez le peuple de Nice. Le passage du Pape Pie VII fut aussi un moment choisi par les Niçois pour prouver à Napoléon Bonaparte leur haine et leur mépris. Le matin du 9 Février 1814. La population de Nice fit un triomphe au « prisonnier otage » du Dictateur. La « Countéa » commence à nouveau à rentrer en insurrection en cette période, et nous avons là deux témoignages du Général Eberlé au Prince d’Essling, Massena.

« Le général Eberlé au Prince d’Essling. Nice le 28 Février 1814: « Je ne peux vous cacher que l’esprit de révolte et d’insubordination se propage dans presque toutes les communes de la montagne de ce malheureux pays, qu’à l’Escarène, des excès impardonnables ont été commis, qu’on ne paye plus les impôts, que tous les conscrits désertent et que publiquement, sans qu’aucune mesure ne soit prise, on tient les discours les plus infâmes contre l’empereur et tout ce qui appartient à la France« . En effet, la levée de deux cent mille hommes voulu par Napoléon rencontra à Nice et sur tout le territoire de la « Countéa« , la fière et habituelle opposition des populations. Partout des groupes d’insoumis aidés par la population, se réunissaient en bandes armées, empêchaient les conscrits de rejoindre leur corps et faisait une guerre acharnée à la gendarmerie et aux autorités. 10300971_706910576037263_5594593905084362776_n Continuons à prendre connaissance des courriers adressés par le Général Eberlé : – « Nice, le deux mars, Diverse communes sont en plein soulèvement, à Sospel, l’Escarène, Roquebillière, on continue à commettre d’impardonnables excès. Plusieurs citoyens ont été contraints de s’abriter à Nice pour fuir le poignard des assassins. Presque tous les conscrits des communes citées qui étaient partis, sont rentrés dans leur pays. » -« Nice, le 7 mars, A l’Escarène, le percepteur des impôts a été contraint de fuir ; les soldats de la compagnie de réserve postés par lui à la garde des maisons des contribuables en retard, ont été contraints de se retirer et d’abandonner la commune. Les militaires français ont été conspués et l’on a tenu des discours des plus outrageants contre l’empereur et tout ce qu’il y a de Français. »

Ainsi, fin mars début avril, les troupes d’occupation françaises, ne contrôlent plus qu’une infime partie du territoire côtier, ils évacuent leurs effectifs peu à peu vers Antibes entrainant avec eux leurs supplétifs administratifs ainsi qu’une partie des citoyens s’étant compromis ou ayant profité de l’occupation française.

19 mai. Le roi Victor-Emmanuel 1er rentre à Turin. Lorsque qu’après le départ du dernier gouverneur français, Dubouchage, le 21 Mai, dont la bourgeoisie de Nice loua la modération et l’humanité, le Conte Caissoti de Roubion (Maire de Nice) après avoir rédigé le premier discours officiel en italien depuis 21 ans, rejoint à l’Escarène l’avant-garde de l’armée du royaume reconstitué de Victor Emmanuel 1er menée par le Général d’Onasco, celle-ci arrive dans un territoire depuis longtemps libéré par ses habitants. Officiellement, le 21 mai toutes les lois, décrets et règlements édictés par l’autorité française sont abrogés par Victor Emmanuel 1er. Malgré ces faits historiques, certains continuent à faire passer l’épisode du retour du Comté de Nice aux Etats de Savoie comme une simple relève entre deux administrations qui exclue l’insurrection du Pays.

Vous remarquerez sans doute que l’histoire vue du côté du vainqueur continue à nous appeler parti Piémontais, parti Sarde afin de justifier du côté étranger de la chose sans jamais citer les termes Savoie ou Comté de Nice. Puisqu’il s’agit de suggérer la volonté de ces peuples d’avoir toujours souhaiter être Français.

Heureusement pour nous, en 1793 par un document officiel la convention reconnait « Le peuple souverain du Comté de Nice. »
1814 : Le 30 mai, le traité de Paris restitue Nice à Victor-Emmanuel. L’ordre ancien est rétabli, Nice retrouve son Sénat, son Consulat de la Mer. 3 consuls et 18 conseillers gèrent la ville.
Mais les joies de la libération ne vont pas tarder à se dissiper.
– 1818 : Le Comté de Nice est territorialement amputé et perd le marquisat de Dolceaqua et le territoire de Pigna. Il subit de plus un déclassement en devenant simplement «la province de Nice».
Le règne de Charles-Albert constitue une période charnière dans l’histoire de l’Etat savoisien. Entre tradition et modernité, entre la préservation de l’alliance dynastique de pays divers et le rêve italien, cet Etat a hésité et cherché à concilier l’inconciliable.
Au regard de son importance dans la législation gouvernementale, le Pays Niçois occupe une place marginale par rapport aux autres régions du royaume que nous avons pu évaluer à 6,2%. Mais il convient de souligner que pendant les quatre premières années du règne de Charles-Albert, la ville de Nice et son arrière-pays bénéficieront d’un rang quantitativement supérieur à celui de la Ligurie, sans parler de la Savoie et de la Sardaigne.
Voyons quels sont les thèmes qui témoignent de cette attention particulière pour un espace peuplé seulement d’environ 200 000 habitants. Toujours d’après la législation, en octobre 1833 le gouvernement se préoccupa d’améliorer « le bon fonctionnement » des œuvres pieuses hors la ville mais sujettes à la juridiction du sénat de Nice. Par conséquent le roi marquait sa volonté de contrôler directement la gestion des organismes laïcs aux fonctions principalement religieuses dans l’ensemble du Pays Niçois. Etait-ce parce que ces institutions faisaient souvent office de mont de piété ? Auquel cas une telle directive de la part de Turin se comprendrait aussi par l’intention de mieux évaluer les disponibilités monétaires rurales du pays. Une autre disposition prise dans le domaine de l’éducation en septembre 1834 témoigne d’une volonté de consentir le particularisme local plutôt que seulement d’en prendre acte. « La paternelle sollicitude de SSRM en ce qui concerne l’éducation et l’instruction de la jeunesse l’avait persuadé de l’opportunité de prescrire des dispositions spéciales grâce auxquelles on puisse obtenir dans la division de Nice tout le bien qui doit dériver de la pleine observance des dispositions relevant de ce très important objet, et, malgré l’éloignement de cette division de la capitale, nous ne manquons pas de moyens sûr et rapide de découvrir et de faire cesser les abus qui s’y introduiront, Sa Majesté a daigné par les patentes royales du 26 du mois d’août en cours établir dans la ville de Nice un « Consiglio di riforma » et de lui confier la charge d’inspecter tous les collèges et écoles de cette division, comme tout ce qui pourrait être en relation avec le « protomedicato ». La spécificité locale change ici de forme : elle se trouve modernisée ce qui, en ces années du XIXe siècle, revient à dire assimilée par l’Etat, sinon bureaucratisée. Les patentes royales du 30 juin 1835 constituent un événement dans la série des actes sur le Pays Niçois puisqu’elles clôturent la période des faveurs en décidant pour la première fois de réduire les franchises du port. « SM abroge quelques articles de l’édit royal du 12 mars 1749 et ordonne que soit observées au sujet des étrangers de ce Comté les lois en vigueurs dans les autres parties des états royaux ». Certes, il ne faut pas exagérer ce fléchissement puisque les franchises du port perdurant sur la plupart des denrées, la contrebande sur le littoral d’Antibes à Menton tant sur les tissus et le sucre que sur le tabac, continua d’alimenter les profits maritimes les plus conséquent au moins jusqu’en 1840. Le mouvement des courriers était en 1845 quotidien de Nice à Turin par la poste à cheval. Mais la « tournée » des piétons entre Nice et des villages du moyen pays occidental comme Gilette, Roquestéron, Puget-Théniers, Utelle ou Clans n’était plus que bihebdomadaire. Les départs se faisant de la ville tous les lundis et jeudi à cinq heures du soir, et les arrivées les mêmes jours à trois heures de l’après- midi, il fallait donc au mieux trois jours pour informer certaines communautés des nouvelles du chef-lieu, compte tenu des dimanches chômés, et une journée de plus pour qu’elles reçoivent les nouvelles de la capitale. Hors du réseau des grandes villes, à l’échelle de la région, la centralisation perdait nécessairement en efficacité et demeurait finalement encore assez éloignée vers le milieu du siècle.
– 1848 : 10 février. Le roi Charles-Albert accorde une constitution à ses Etats, « le Statuto » ; Nice pavoise. Cette charte dite « Code Albertin » instaure un système représentatif censitaire. Le Sénat de Nice entérine les dispositions de la loi sur les communes qui permet l’élection de chaque conseil (divisionnaire et provincial) plus démocratiquement. La liberté de presse est assurée. Mais cette année voit aussi le déclassement administratif du Sénat de Nice, qui devient Cour d’Appel et le Consulat de la mer supprimé ; ces mesures sont la suite logique de la transformation du Comté en province ; le premier pouvait administrer et censurer les lois par l’intermédiaire de son Sénat ; la seconde devait obéir à l’Etat sarde tout puissant. Il convient cependant de noter que la portée juridique de l’article 4 du Code Albertin est capitale pour juger de la validité des actes importants ultérieurs. Il stipule que « les traités qui emporteront des conséquences sur les Finances ou les modifications de territoires de l’Etat n’auront d’effets qu’après l’approbation des chambres.
Au bout du compte, les initiatives de l’Etat pour animer l’activité montagnarde concourent aux prémices d’une homogénéisation du Pays niçois avec la ville-port et chef-lieu politique (résidence de l’intendant aux charges administratives, du sénat aux compétences judiciaires, et du gouverneur aux responsabilités militaires), pour l’arrière-pays cela constitue une perte d’autonomie difficilement supportable.
1851 : 13 et 14 mai. A l’annonce de la suppression prochaine de la franchise dont jouit le port, de violentes émeutes éclatent à Nice ; la rupture avec le royaume de Sardaigne est envisagée. La proclamation suivante, rédigée à la Chambre d’Agriculture et de Commerce, est affichée à l’Hôtel de Ville Les meneurs des émeutiers comme Avigdor, Carlone et d’autres adressèrent une lettre au roi de Sardaigne signé le 14 mai 1851 défendant les droits et franchises du peuple Niçois issus du « Contrat d’Union de 1388 par lequel le Comté de Nice se donna librement à la Maison de Savoie » contre « tout acte portant atteinte à ses droits et franchises, dont il réclame le rétablissement et la conservation dans toute leur intégrité ». Allant jusqu’à menacer l’Etat Sarde de revendiquer l’indépendance de Nice ! : «Le Peuple de Nice rappelle le Gouvernement Sarde à la foi des traités [..] A défaut: Le Peuple de Nice plaçant le droit au-dessus de la force, serait réduit à considérer le contrat d’annexion comme rompu par le Gouvernement lui-même, et à revendiquer son indépendance » Les meneurs de l’insurrection, Avigdor et Carlone, sont arrêtés ou en fuite. Les Niçois furieux mutilent la statue du pauvre Charles-Félix et plus précisément le doigt qu’elle pointe vers le port. (Cette statue amputée de son doigt est toujours au port de Nice). IMGP8050
4 juillet. La loi de réforme douanière est néanmoins votée à Turin. La franchise dont jouissait le port de Nice est supprimée. La loi entrera en vigueur le 31 décembre 1853. les Niçois se détachent peu à peu de la Maison de Savoie, car Nice a connu en peu de temps de nombreux déclassements administratifs et brimades économiques : le Comté est devenu simple province, le marquisat de Dolceaqua lui a été retiré, le Sénat et le Consulat de la Mer ont été supprimés, l’arsenal a été construit à La Spezia, on a refusé à Nice la ferme des jeux, le monopole de l’importation du sel vers le Piémont a été abolie, le réseau routier est insuffisamment développé… Mais plus encore c’est surtout le fait que l’on veut imposer au Niçois le principe d’un état moderne centralisé dont la capitale est Turin avec son administration, ses fonctionnaires et ses directives. Nice ne s’est jamais considéré comme une province des Etats de Savoie, mais comme le territoire d’une confédération librement associée…
1858 : 20,21 juillet. Cavour rencontre Napoléon III à Plombières, il s’engage à lui céder la Savoie si la France aide Victor-Emmanuel II à chasser les Autrichiens d’Italie. Cela dit, ceci n’empêche pas l’armée française de faire procéder à des missions de reconnaissance topographiques sur le territoire de la « Countéa » dès 1857.
-1859 : 24 janvier. Un traité secret est passé entre le roi de Sardaigne et la France, qui prévoit l’annexion de Nice par l’Empire français en échange de l’aide que celui-ci lui portera contre les Autrichiens en Italie. Ce traité est illégal à deux titres : il est en contradiction formelle avec l’article 4 du Code Albertin de 1851 car il n’a pas été ratifié par les chambres de Turin ; d’autre part, le roi de Sardaigne, en vertu de la charte de dédition et des accords suivants, n’a nullement le droit de disposer de Nice à sa guise.
– 1860 : 14 mars. Nouveau traité secret signé entre Napoléon III et Victor-Emmanuel II. La France consent que l’unité italienne se fasse autour de la Sardaigne qui, en compensation, lui remettra Nice et la Savoie. Ce traité est illégal comme le précédent pour les mêmes raisons. 24 mars : publication officielle de traité de Turin.
– 25 mars : Garibaldi est élu député de Nice. Il tentera de s’opposer à l’annexion par la France.Image 12
– 27 mars : le roi Victor-Emmanuel II signe un manifeste (publié le 1er avril) par lequel il délie officiellement les Niçois et les habitants du Comté de leur serment de fidélité à sa personne et à sa dynastie. A cette date, la charte de 1388 étant caduque, le Pays de Nice retrouve légalement son indépendance en même temps que sa pleine souveraineté. Cet acte qui abroge tout lien de droit entre la maison de Savoie et Nice, et par voie de conséquence tout lien de droit entre cette dernière et la Sardaigne, établit incontestablement l’indépendance de Nice.
15 et 16 avril : le plébiscite se déroule dans des conditions frauduleuses à tous les niveaux, depuis sa préparation, son organisation jusqu’à son déroulement : pressions de l’administration et du clergé sur les électeurs, présence de troupes d’occupation, achats de votes par dons ou promesses d’avantages, subornations, listes électorales falsifiées, non inscription sur ces listes de la plus grande partie des électeurs, inscription frauduleuses de Provençaux, absence d’isoloirs et de bulletins « non », impression d’Aigles, emblème de Nice sur les bulletins « oui », absence de vérificateurs impartiaux etc. 29 mai et 11 juin : Les chambres sardes approuvent le traité d’annexion, acte illégal du fait que le Pays de Nice n’était pas juridiquement une province sarde, mais une entité souveraine liée au seul chef de la Maison de Savoie personnellement, jusqu’au 27 mars 1860, date à laquelle ce dernier avait renoncé à ses droits.
15 et 22 juin: La protestation officielle de Garibaldi au parlement de Turin hypothèque pour toujours le plébiscite truqué de 1860.
Après être intervenus au Parlement avant même le vote sur la ratification du traité du 24 mars 1860 qui cédait Nice et la Savoie à la France, les deux députés de Nice, Garibaldi et Laurenti-Roubaudi avaient adressé leur démission au président de cette assemblée. Le texte de cette lettre est capital puisqu’en droit, il constitue la protestation officielle de la représentation nationale niçoise après le plébiscite frauduleux. En voici la teneur :
« Monsieur le Président. Vu le résultat du vote du Comté de Nice, qui a eu lieu le 15 courant, sans aucune garantie légale, en violation manifeste de la liberté et de la régularité du scrutin et des promesses solennelles stipulées dans le traité de cession du 24 mars ; « Attendu, qu’un tel vote s’est déroulé dans un pays qui nominalement appartenait encore à l’Etat sarde et qui était libre de choisir entre celui-ci et la France, mais qui se trouvait en réalité complètement aux mains de cette dernière puissance, occupé militairement et soumis à toutes les influences de la force matérielle, comme nous le prouvent sans contestation possible les témoignages de la Chambre et du pays ; « Attendu que le présent vote s’est déroulé avec de très graves irrégularités, mais que l’expérience du passé nous refuse toute espérance de voir ordonner une enquête à ce sujet ; « Nous soussignés, croyons de notre devoir de déposer notre mandat de représentants de Nice, en protestant contre l’acte de fraude et de violence perpétré, en attendant que le temps et les circonstances permettent à nous et à nos concitoyens de faire valoir avec une réelle liberté nos droits, qui ne peuvent être amoindris par un pacte illégal et frauduleux » Giuseppe Garibaldi – Laurenti-Roubaudi
La protestation officielle de la représentation nationale niçoise en 1860 est capitale, car juridiquement elle réserve les droits de Nice pour l’avenir. En effet, en d’autres circonstances, la France et la communauté internationale, se basant sur une semblable protestation ont annulé une annexion illégale faites par la force. Après la désastreuse guerre de 1870, initiée par Napoléon III contre la Prusse, l’Empire Allemand fut proclamé à Versailles ; le nouvel empire, comme on le sait, annexa des provinces françaises occupées, et la France vaincue, fut contrainte d’accepter cette perte de territoire lors de la signature de l’armistice. Néanmoins, le 17 février 1871 devant le parlement français réfugié à Bordeaux, M. Emile Keller, au nom des députés du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Meurthe et Moselle, protesta contre l’annexion de l’Alsace et la Lorraine par l’Allemagne afin de préserver les droits de ces populations et de la France. Quarante-sept ans plus tard, à la fin de la guerre de 1914-1918, quelques heures seulement après l’armistice signé le 11 novembre, l’Assemblée nationale française se réunit en séance extraordinaire ; la séance fut ouverte à 14 H 45, et les députés réclamèrent immédiatement à la communauté internationale le retour des provinces perdues lors de la précédente guerre. Il est très intéressant de noter sur quelles bases légales s’est appuyée cette réclamation : on exhuma le procès-verbal de la protestation du député Keller qui dormait dans les archives depuis quarante-sept ans, on le relut en séance, et cet acte suffit à établir juridiquement les droits de la France sur ces territoires.
Après l’annexion, la liberté Niçoise est confisquée, les bâtiments de l’ancien Sénat transformés en prison, la langue Niçoise est bannie, la Cour d’Appel est supprimée, l‘Université également ; l’ancien Pays de Nice est fondu dans le département des Alpes-Maritimes.
Voici un témoignage :
Celui de : – JEAN-BAPTISTE JOSEPH MARIE (1799-1874) dit « JOSEPH », second marquis de La Penne,
Il est inexact de prétendre que Joseph, qui opta pour la nationalité italienne (nous citons), « en voulut à ses anciens sujets de ne pas l’avoir suivi dans ce choix ». On ne peut lui prêter ce sentiment. En effet, la cession du Comté de Nice et de la Savoie à la France fut comme chacun sait, le résultat d’un accord passé entre le roi de Sardaigne et Napoléon III, orchestré par Cavour. C’était le prix que consentait à payer le premier contre une aide militaire du second pour conquérir la péninsule. Ce qui fut fait après que les troupes françaises victorieuses des Autrichiens, eurent rempli leur engagement. Mais ce marchandage alarma nombre de gouvernements européens dont ceux d’Angleterre et de Russie, toujours très sensibilisés aux projets expansionnistes français depuis l’aventure bonapartiste. Pour calmer le jeu un référendum populaire est organisé, le premier du genre à notre connaissance et à cette échelle. Bien entendu, il n’était pas question qu’un résultat « négatif » remette en cause les acquis. Aussi, c’est l’armée française déjà en place sur son nouveau territoire, donc à la fois juge et partie, qui s’en occupa matériellement. Cette parodie de consultation donna le résultat escompté : « un plébiscite à 95% de oui » pour la France ! Le système a fait école depuis sous certains régimes totalitaires…. Donc, nos ancêtres pennois n’ont pas eu le choix. Ce qui ne veut pas dire qu’une liberté effective d’expression eut fait basculer le scrutin en faveur de l’Italie ! Loin de là, mais ceci est une autre histoire (*). Quant à Joseph quels sont les éléments qui motivèrent sa décision de prendre la nouvelle nationalité italienne ? Etait-ce un libre choix ? La réponse est facile et concerne directement le patrimoine pennois :
Les autorités impériales françaises n’avaient pas fait mystère de leur intention, coutumière depuis la Révolution et le Premier Empire, de placer ses nationaux dans la nouvelle administration et aux postes clefs de tout organe de quelque importance (dont le monopole de la presse) en y associant certains locaux ayant déjà fait opportunément allégeance, pour préserver les formes. En bref, la situation et l’avenir de nos élites étaient en péril extrême. Mais Cavour avait tout prévu. Il réservait à ceux qui optaient pour l’Italie nouvelle, un destin des plus fructueux aux plus hauts postes de son administration, de sorte que leurs pertes soient largement compensées,…. y compris celle des biens fonciers. C’est la voie que choisirent nombre de Nissarts et Joseph leur emboîta le pas. Mais qu’advint-il de leurs propriétés qu’ils abandonnaient ? Déclarées biens vacants, des simulacres de ventes aux enchères « publiques » furent organisés au profit pour l’essentiel, des nouveaux administrateurs. Ainsi se développa une bourgeoisie foncière de substitution en grande partie d’origine française. Cependant, ces spoliations liées aux désordres du changement de statut vont se tarir et bientôt cesser. La sécurité des biens appartenant à des étrangers est maintenant assurée ; développement du tourisme et des résidences de villégiature oblige !
Joseph donc, avait fait le choix parfaitement respectable et très compréhensible de privilégier son avenir matériel en adoptant la nationalité italienne. Or au bout de quelques années, il apprit que son domaine pennois avait été « oublié » par la vague de dépossessions qui affecta la plupart de ses compatriotes ex-nissarts. De cela, il en était sans doute redevable aux Pennois ou pour le moins, à leur silence complice. Car une dénonciation aurait vraisemblablement suffit pour que le « bien vacant » change de main, même si le beau-frère Léotardi par son engagement politique était sur place pour veiller au grain ! Donc tranquillisé sur ce point, le marquis revient à La Penne en 1869. En conséquence, et contrairement à ce que prétend la légende, il n’eut pas à « racheter son bien », mais simplement à régulariser sa situation de propriétaire auprès de la nouvelle administration française, en payant peut-être, un arriéré d’impôt.
L’occasion manquée : Louis-Gonzague Arson (1814-1865).

Depuis 1848, l’espérance d’autonomie a reçu une forme moderne, constitutionnelle : les Savoyards l’ont alors définie ; l’occasion est fournie par la guerre civile en Suisse, celle du Sonderbund (novembre 1847), la promulgation d’une constitution fédérale (1848) et les polémiques des journaux français dans les Alpes du Nord et du Sud : admission de la langue maternelle au Parlement, fixation d’un cens convenable, représentation permanente du territoire ; voilà les trois conditions.
Auguste Carlone écrit alors dans L’Echo : « Si la Savoie et Nice sont destinées à devenir l’Irlande de l’Italie, Eh bien ! Nous aurons aussi des Repealers ! »
La guerre d’Italie et ses conséquences raniment les polémiques ; la réflexion sur la forme à donner aux nouvelles structures du comté les développe. Les conseils de neutralisation du pays niçois ne manquent pas, solution politique et économique au différend franco-italien :
Louis Désambrois de Névache (1807-1874) un des rédacteurs du Statuto, ancien gouverneur, ambassadeur à Paris (1854-1860) est un partisan de cette solution.
Au début de l’année 1860, Arson bataille encore comme il le fait depuis de longs mois dans sa Gazette contre l’idée de la réunion de Nice à la France ; il est élu au conseil municipal.
L’éditorial, court, du 17 mars informe d’abord les Niçois de l’envoi de la délégation municipale au roi, pour présenter en fait le nouveau projet : « La junte municipale a délibéré d’envoyer à Sa Majesté le roi Victor Emmanuel II, une adresse pour le prier de ne pas consentir à la cession ni à l’échange de la ville et du comté de Nice, ou tout au moins, s’il est nécessaire de donner satisfaction à la France, de faire en sorte que ladite ville et ledit comté soient neutralisés, sous la suzeraineté de la Maison de Savoie, et conformément aux conditions qui pourront être arrêtées par les grandes puissances auxquelles appartient le droit et incombe le devoir de veiller au maintien de la paix et de l’équilibre de l’Europe. »
Le lendemain, dans l’éditorial du 18 mars, Arson confirme, par une explication titrée : « Ce que voudrait dire Nice neutralisée ». « Nice neutralisée voudrait dire qu’elle aurait une organisation indépendante, et que, par conséquent elle n’aurait plus à supporter que des impôts insignifiants votés par les représentants de la population.
Nice neutralisée et placée sous la protection des grandes puissances de l’Europe, n’aurait pas besoin d’armée ; et par conséquent plus de conscription. Nice neutralisée et indépendante pourrait jouir si elle le jugeait utile à ses intérêts de tous les avantages d’un port franc, du libre échange, de la vie à bon marché, de la liberté pour tous, d’une sécurité garantie par l’Europe entière, et par conséquent d’une affluence d’étrangers incomparablement plus considérable qu’à présent, laquelle alimentant toutes les branches de l’industrie et du commerce, multiplierait les richesses et assurerait la prospérité et le bonheur du pays. »
Mais son projet est bien fixé ; le 5 avril, dix jours avant le plébiscite, il donne, dans son éditorial, de larges extraits d’un mémoire qu’il a adressé à Cavour, lequel, d’ailleurs, n’aurait pas finalement une opinion éloignée de la sienne ; la neutralisation « est le talisman seul capable d’aplanir toutes les difficultés, de combler tous les vœux, de sauvegarder tous les intérêts et de calmer toutes les appréhensions ». L’aveu est renouvelé. Mais il va plus loin et montre que sa solution permet le développement d’une ville libre et cosmopolite, ce dernier caractère entraînant un espoir d’enrichissement que la société hivernante, faite en grande partie d’étrangers, laisse imaginer ; et culturellement, « Nice aurait encore le mandat de servir de liaison à la race franco- latine », comme entre d’autres ethnies le font ailleurs, Lugano, Trieste, Cracovie. Nice serait alors un espace de relations européennes : « Nice aurait de plus des chances de devenir chaque hiver le rendez-vous de la diplomatie européenne qui, sous prétexte de jouir des bienfaits de son climat exceptionnel, aurait l’occasion de traiter sans bruit les affaires les plus sérieuses de la politique sur ce terrain neutre, où ne rencontrant que des
Autorités exerçant le pouvoir sous forme municipale, forme qui n’a rien de gênant pour
des étrangers, quels qu’ils soient, chacun pourrait se considérer chez lui.
On peut même affirmer déjà qu’il y a une tendance dans ce sens parmi nos hôtes dont plusieurs, très haut placés, ont remis la proposition qu’il fût crée à Nice un organe de politique
international. » Ainsi Nice aurait pu devenir le Centre d’une Future SDN.

10 Années plus tard, le 8 février 1871 Nice plébiscitait le NON à la France !
Lors des élections législatives du 8 février 1871 dans le pays de Nice, le raz-de-marée séparatiste emporta tout. A peine passés 10 ans d’annexion, la ville de Nice donna 16 514 voix aux quatre candidats séparatistes et seulement 900 au préfet Dufraisse candidat français qui malgré ses fraudes avérées et des moyens importants, fut littéralement balayé. Sur le territoire du Pays de Nice, Garibaldi obtint 13 984 voix sur 29 428 suffrages exprimés, soit 47,51 %, Piccon, Bergondi et Borriglione, autres candidats séparatistes, 12 550, soit 42,64 % alors que le préfet Dufraisse se contentait de 2894 voix, soit 9,83 % !
Le lendemain du vote, les dépouillements terminés, Joseph André titra dans le Dirrito: « Vive Nice !!! »; dans un long éditorial, il écrivait entre autre : « …Nice a parlé ! Mais non la Nice des Piétri et des Pillet (Piétri envoyé par Napoléon III avait truqué le plébiscite de 1860 et Pillet, consul de France à Nice avait beaucoup intrigué à Nice pour favoriser l’annexion) mais la Nice de Ségurane et de Garibaldi ! Le citoyen Dufraisse a renié Garibaldi car il est le chef du parti séparatiste, Nice à l’unanimité a voté Garibaldi, donc, citoyen Dufraisse, et selon votre propre logique, Nice est séparatiste et ne reconnaît pas l’infamie de 1860 ! Ce vote magnifique est un plébiscite ! ».
Le préfet Dufraisse, ulcéré et refusant de tenir compte de la volonté populaire légalement exprimée par les urnes, décida le 10 février de suspendre le Dirrito.
Cela provoqua plusieurs jours d’émeutes et la répression sanglante « des baïonnettes dans les torses niçois » dont témoigna Henri Sappia dans « Nice Contemporaine » ainsi que le journal Anglais « The Times ». Le coup de grâce fut donné par l’assemblée de Bordeaux qui invalida injustement la victoire séparatiste du Peuple Niçois dont Jousé Garibaldi était le symbole. Les chefs du parti séparatiste furent invalidés, poursuivis, poussé au suicide ou écartés. Une loi de circonstance fut votée pour interdire la création de partis indépendantistes.
La France a soustrait entre autre de l’histoire de Nice cet épisode significatif, afin de mieux instituer la version officielle du plébiscite voté à plus de 90 % pour le « rattachement » à la France en 1860.
Que nous apporta l’Annexion frauduleuse.
Pierre Louis CAIRE (1841-1929) dans son livre intitulé « Annexion de Nice en 1860 » et publié par les cahiers de l’annexion (France Europe Edition) le prévoyait déjà :
Sic : « Nous n’irons pas jusqu’à enquêter pour savoir si à Nice ce bien être apparent ne cache pas une situation différente ; si par exemple, les capitaux immenses du Crédit Foncier et d’autres instituts qui font des avances aux constructeurs, ne constituent pas un danger, si les sociétés étrangères au pays qui accaparèrent les terrains pour en faire monter les prix n’ont pas engrangé à leur profit le bénéfice qui aux fils des années aurait dû revenir aux propriétaires du pays ; nous n’enquêterons pas non plus sur ces louvoiements afin de retenir les étranger un jour de plus, sur cette apparence de cité en liquidation, de carnaval en permanence. Tout ceci n’est-il pas un peu humiliant ? »
Ces phrases décrivent parfaitement le système imposé par la France à la « Countéa de Nissa« , système qui a contribué à la paupérisation de sa population et à sa colonisation.
Pour conclure, je voudrais au-delà de nos différences de sensibilités politiques souvent hélas inspirées par les contradictions hexagonales parisiennes, «de Lu gallume e lu desbraihat », remercier tous ceux et celles qui ont œuvrés pour la conservation de notre patrimoine historique et culturel. Je remercie particulièrement ceux qui au Conseil Général ont mis en œuvre la numérisation et la mise à disposition des archives concernant histoire de la « nouòstra Countéa de Nissa« . En exprimant toutefois un souhait: que l’on n’oublie pas l’œuvre de l’Abbé Bonifacy dont une partie des écrits demeurent encore sous forme de manuscrit et que nous ayons un jour au moins une rue dédié à nos patriotes Nissart : Les Barbets.     J.M.F

 

Ainsi la messe était dite.

 

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