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Occupation et Résistance
En 2014, nous fêtions le bicentenaire de la « Restauration Sarde », mais surtout la libération du « Comté de Nice »
C’est par la signature du traité de Paris, le 30 Mai 1814, que l’occupation du Comté de Nice par la France et le retour au Royaume de Piémont-Sardaigne fut entériné par les grandes puissances. A l’occasion de ce bicentenaire, j’ai été amené à faire une conférence le 30 Mais 2014 pour commémorer cet évènement. C’est le texte de cette conférence que je vous livre aujourd’hui.
Occupation et Résistance….
Bonjour, les enfants. Asseyez vous et ouvrez vos livres d’histoire. Nous allons aujourd’hui parler de nos grands rois de France…François 1°, Henri II, Henri IV, Louis XIV. Ceci est une scène ordinaire qui se passe régulièrement dans les écoles de la république française implantée sur notre Pays Niçois.
Et bien, oui, les petits niçois n’apprennent pas leur histoire mais l’histoire d’un pays qui fut étranger au leur pendant plusieurs siècles. Et ce pays, la France, n’eut de cesse de vouloir nous envahir à toutes les époques. Il faut rappeler, tout de même, que nous ne sommes annexés que depuis un peu plus de 150 ans seulement. Avant 1860, l’histoire que l’on nous apprend à l’école dans les livres d’histoire, n’est pas la notre.
Revenons au sujet qui nous réunit ce soir à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de ce qu’il est convenu d’appeler la « Restauration Sarde » dans les manuels d’histoire et que nous aurions sûrement appelé la « Libération du Comté de Nice » si nous étions libre d’enseigner, chez nous, notre propre histoire.
Cette libération intervient après 22 années d’occupation de notre territoire par les troupes françaises, d’abord celles de la « république une et indivisible » puis celles du 1°Empire. Il est amusant de constater que c’est grâce à l’action des rois qu’ils ont destitué, que les révolutionnaires ont pu envahir si facilement notre territoire (je rappellerai, pour mémoire que Nice était devenue Ville ouverte, donc indéfendable, après la destruction pierre par pierre de notre place forte, le Château de Nice par l’infâme Louis Capet le quatorzième du nom.).
Dans cet exposé je vais mettre en perspective ce qui a précédé la libération de notre territoire, à savoir, l’intrusion de forces armées dans notre pays et l’occupation, ce qui aura pour effet de provoquer la révolte des Barbets, glorieux et courageux résistants du Pays Niçois.
28 septembre 1792, rappelez vous cette date, c’est exactement 404 ans auparavant, au jour près, que fut signé l’acte de dédition à la Maison de Savoie, devant l’Abbaye de Saint Pons, qui nous permettait de nous mettre sous la protection du Comte Rouge face aux appétits de la Maison de France.
Ce 28 septembre 1792, on annonce l’arrivée des troupes françaises sur la rive droite du Var. La ville de Nice étant indéfendable, l’armée piémontaise et les émigrés quittent Nice, derrière le général de Courten, pour se diriger vers L’Escarène, Sospel, Saorge et Tende. Les bagnards libérés et la canaille pillent la ville tandis que les premiers français passent le Var. Dès le lendemain, les « bleus » sont dans la place. Il faut bien se mettre en tête que cette guerre menée par les français est en totale rupture avec ce que nous connaissions jusque là. Nous avons affaire à présent à des guerres idéologiques qui veulent bouleverser l’ordre des choses. Ecoutons ce que dit le général d’Anselme qui commande le corps expéditionnaire français à cet égard: « … Peuples du Comté de Nice, c’est avec la sensibilité qui n’est connue que des hommes libres, c’est avec une douleur qui expie les mots de la guerre que l’armée française s’avance sur votre terre soumise à l’esclavage et frappée de l’infortune; les rois ne font que des traités d’apparence, ils dévorent à cet intérêt les sangs, les subsistances de leurs sujets et trafiquent même de leur tête. Un peuple libre (sous entendu, nous les français) vient vous offrir des sentiments d’union et d’amitié. Partout où il voit des hommes, ce sont des semblables; il les traite comme des frères. Séparez vous de vos tyrans: ce sont eux seuls que nous venons combattre. La chaumière du pauvre sera l’asile de la paix, nous y verserons des consolations. L’armée française ne vient point dévaster vos campagnes; ce que ses besoins exigeront le général vous le demandera avec confiance; ce sera toujours l’argent à la main qu’il recevra vos secours. En respectant vos personnes, vos demeures, vos propriétés; en vous offrant son amitié le Peuple français veut vous faire partager avec lui le bien le plus cher à l’homme, celui dont l’esprit ou le désir ne meurt jamais même dans le cœur de l’esclave, la liberté ».
En fait, ce qu’amène l’occupant est une véritable révolution, un changement total dans la façon de vivre des habitants du Comté et de nouveaux concepts comme celui de frontière naturelle sur les Alpes alors inconnu des populations d’ici. Je rappellerai l’axiome de Friedrich Ratzel, un des fondateurs de la géographie moderne: « les frontières sont les cicatrices de l’histoire » Avec les guerres révolutionnaire nous entrons dans l’ère des guerres modernes, des guerres absolues, associées à la guerre psychologique et véritablement ancêtres des guerres contemporaines qui se basent sur une vision universaliste et messianique du monde.
Depuis un décret de 1591, à côté de l’armée régulière, les communautés villageoises se doivent d’entretenir des milices dans chaque village, milices destinées aux coups de main locaux et à la défense de positions stratégiques. En cette année 1792, ces miliciens sont au nombre de 2760 dans le Comté et sont dirigés par le Chevalier Raiberti.
Une fois l’armée de la république entrée dans Nice, elle va vouloir étendre son emprise sur tout le territoire et occuper nos villages. Les français vont alors dicter leur loi et imposeront de nombreux changements aux autochtones. C’est ainsi que la première attaque de Barbets a lieu le 4 octobre 1792. Pour l’instant, ce mouvement de résistance n’a pas encore l’ampleur qu’il va acquérir au bout de quelques mois. Ces premiers Barbets n’avaient en fait aucune vocation à devenir des combattants mais les vicissitudes de l’histoire les a amené à s’engager dans cette voie. Souvent, tout au moins au départ, il s’agit d’histoires personnelles telle celle de Charles Cristini du Figaret qui devint résistant parce que les français lui avaient volé un bélier et violenté sa mère. Ce qui déclencha ces mouvements désespérés, ce fut la conjonction de deux facteurs: la difficulté de la vie en montagne pour ces paysans qui avaient juste de quoi vivre et les exactions des troupes françaises à leur égard (pillage, vol de bétail, ponction dans leurs réserves et atteintes aux membres de leurs familles).
Je rappellerai, ici, ce qu’écrit le capitaine François Paulinier à propos de la réaction des paysans: « Les malheureux habitants, détestant les français, se virent obligés pour survivre de se mettre à la solde des Piémontais et de devenir Barbets. Ces gens désespérés furent de terribles ennemis que l’on se fit bien volontairement. »
Le 31 janvier 1793, le Comté est finalement annexé par la république française et l’acte officiel français qui sanctionne ce fait est d’une importance capitale : « La Convention déclare à l’unanimité qu’elle accepte, au nom du peuple français, le vœu émis par le peuple souverain du ci-devant Comté de Nice, et qu’en conséquence, il fera partie intégrante du territoire de la République ». Ainsi, la Convention Nationale et par voie de conséquence la Ière République française reconnaissent officiellement une double qualité aux Niçois, celle de peuple, et celle de peuple souverain… Nous saurons le rappeler aux dirigeants français le moment venu.
Le territoire étant soumis à la loi de l’occupant, ce sont les exactions répétées des « bleus » , associé à un anticléricalisme forcené, qui vont amener les habitants de nos vallées et de nos montagnes à se rebeller en grand nombre. C’est ainsi que de nombreux paysans vont prendre le maquis et attaquer les détachements français tandis que les milices font de même de leur côté. Peu à peu, ils vont se réunir et vont animer la résistance, celle connue sous le nom du phénomène des Barbets.
Je cite, ici, A. Musso « Les Barbets à Roquebilière » édité à Nice en 1987 et F Pomponi, à propos des « Barbets » dans son « dictionnaire de la contre révolution » paru chez Perrin, à Paris, en 2011: » Le deuxième bataillon de l’Aude arrive pour reprendre l’offensive, mais il rencontre les paysans exaspérés qui, lui tenant tête, le déciment et le forcent à la retraite après avoir subi de sérieuse pertes. Les mécontents venaient de recevoir leur baptême du feu, ils s’étaient mesurés, ils avaient gagné et ce succès, les grisant peut-être, avait fait de ces paisibles paysans de terribles partisans. »
Il va falloir distinguer plusieurs période dans la résistance de nos montagnards. L’histoire des Barbets remonte à beaucoup plus loin que cette époque d’occupation. Le Barbet est une figure emblématique de la résistance niçoise. Il est apparu bien avant 1792. En fait, dès 1544, les Vaudois persécutés se réfugient dans nos vallées piémontaises et forment de petites communautés autonomes que l’on les appelle les Barbets (terme qui vient du latin Barba désignant un homme âgé et sage, l’ancien de la communauté, vraisemblablement barbu). C’est tout naturellement que ce terme resurgira quand des communautés persécutés (comme nos paysans le furent par l’armée de la république) se révolteront contre l’occupant. Ces Barbets d’avant le barbétisme sont les précurseurs du mouvement qui se fera jour lors de l’occupation française.
Victor Amédée II de Savoie incorpora ces premiers Barbets dans ses milices villageoises ce qui expliquera l’ampleur du futur phénomène du barbétisme. Déjà, lors de la guerre que nous menèrent les « gallispans », les Barbets se manifestèrent au côté de l’armée régulière du Piémont. Le roi n’ayant parfois pas assez de troupes, voyait d’un bon œil ces supplétifs à qui il accordait une grande liberté quant à la récupération de prises de guerre. Il faut savoir que le roi ne pouvant payer ces supplétifs les laissait se payer sur les troupes ennemies. Cela explique que par la suite, il y eut des attaques qui ressemblaient au brigandage dans la mesure ou il fallait bien que nos Barbets puissent, aussi, faire vivre leurs familles. En plus de la volonté de défendre leur territoire il y avait aussi la promesse de pouvoir récupérer des objets de valeur ou quelque argent qui mettrait du beure dans les épinards. N’oublions pas l’état de pauvreté de nos paysans en ces temps d’occupation.
Après que les « bleus » eussent envahi notre territoire, le réveil des Barbets se fit tout naturellement. Entre 1792 et 1796, nous sommes au temps du Barbet-milicien, né de l’exaspération due aux humiliations et prédations émanant de l’armée française. L’insécurité des troupes de la jeune république est réelle et se manifeste sur tout le territoire du Comté. Ensuite, entre 1796 et 1799, nous verrons apparaitre le Barbet maquisard. Celui ci va naitre, après le retrait des milices sur ordre du Roi de Piémont Sardaigne, et par cette volonté farouche de continuer à défendre leur territoire. Ces Barbets maquisards vont voir leurs rangs grossir par l’apport d’anciens miliciens, de Barbets, à présent, indésirables en Piémont et d’un grand nombre de déserteurs français. Un des traîtres « niçois » (et ils seront nombreux Rusca, Tordo, Masséna, ), au service de l’état voisin, le sieur Gastaud, dans un rapport au ministre de la police, parle du danger d’une mini Vendée en gestation dans le Comté de Nice. Nous entrons alors dans une résistance totalement populaire et non contrôlée par un quelconque pouvoir. En 1799, nous avons l’apogée du barbétisme et de la terreur blanche avec « I Barbetti ». Les autorités du Directoire parlent de la formation d’une « seconde Vendée ». En fait, les persécutions religieuses ont repris de plus belle à cette époque ce qui a provoqué une telle réaction paysanne. Et l’action de nos Barbets va être décuplée par l’apport important de conscrits réfractaires et de déserteurs français. L’état de siège sera d’ailleurs décrété. Le mouvement Barbet sera revigoré par l’offensive Austro-Sarde visant à récupérer le pays et par les actes de saccages et de pillages des églises commis par l’armée d’Italie (dans laquelle nous trouvons un certain Buonaparte). Les débuts du Consulat sont marqués par la force irrésistible des Barbets dans le Pays Niçois. De 1800 à 1814, nous entrons dans l’ère du Barbets brigand « I Malviventi » dont les actions ne visent qu’au pillage des français et des « collabos ». Il faut distinguer ceux qui ne sont pas des brigands purs mais plutôt des « robins des bois » ayant besoin de faire vivre leur troupe de Barbet voire leur familles de ceux qui ne sont que de purs malfaiteurs venus se joindre au groupe, sans aucune motivation autre que celle de s’enrichir. Cela a malheureusement existé à toutes les époques et dans toutes les armées. Une parenthèse qui nous ramène à cette date du 28 septembre que nous avions déjà évoquée: c’est le 28 Septembre 1801que les chefs Barbets Antoine Bensa et Antoine Imbert sont capturés.
Je pourrai dire en conclusion que ce mouvement de résistance des Barbets est fort complexe et ne peut se définir avec les codes conventionnels.
En premier lieu, je dirai que cela fut un soulèvement populaire induit par les exactions des troupes de la « république une et indivisible » et particulièrement les bataillons Corses mais surtout les brigades marseillaises du général Garnier. Cela forgea sans doute notre « antagonisme » ancestral avec Marseille. Cette révolte populiste était exclusivement localiste car elle n’était qu’un acte de défense du territoire. De plus, contrairement à la guerre de Vendée et à la révolte des Chouans qui ne dura que 3 ans, le soulèvement des Barbets se prolongea durant 22 ans, jusqu’à la restauration sarde. Il fut alimenté par l’état de pauvreté de nos paysans lors du déclenchement du conflit qui se transforma carrément en misère à cause des exactions des « bleus ». Il grossit, à la faveur de la répression exercée, à l’apport de nombreux déserteurs de l’armée française (voire piémontaise) et d’un nombre incalculable de réfractaires à la conscription mise en place par les autorités républicaines. Ils bénéficièrent, en outre, de l’omerta qui régnait dans nos montagnes, cette loi du silence, née d’une solidarité séculaire. Nous pouvons considérer que la structure de la société rurale du Comté, basée sur la famille et le clan a beaucoup joué aussi. Ajoutons à cela, le fait que des niçois trahirent en se mettant au service de l’ennemi, n’a pas arrangé les choses et n’a fait que décupler leur rage. Nous pouvons considérer que ces Barbets sont les tenants de cette anti-révolution populaire car il se battait pour conserver leur ancien monde face aux promoteurs d’une modernité destructurante… tout simplement.
Leur combat et leurs exploits ne sont inscrits dans aucun livre, d’une part parce que les autorités du Royaume de Piémont Sardaigne ne voulait pas faire de vagues, chaque fois que le Comté revenait dans le giron de la maison de Savoie, pour laisser croire qu’il n’y avait jamais eu de discontinuité dans l’histoire des états de la Maison de Savoie, et, d’autre part parce que côté français, l’histoire a été écrite par les pseudo vainqueurs de 1860. « Les Barbets, vous pouvez les chercher dans les livres d’Histoire disait Mauris, personne n’en parlera car les livres d’Histoire sont faits à Paris » .
Donc, l’épopée de nos glorieux ancêtres résistants va s’éteindre, naturellement, au moment de la restauration sarde qui fait suite au Traité de Paris (lequel traité sera complété par celui de Vienne un an plus tard)
Robert-Marie MERCIER