La Clef de la porte du Paradis….
Ecrit par Jean-Marc FONSECA le 3 fév, 2015 dans la rubrique Textes / Test | 0 commentaires
Voici un nouveau conte, extrait des « contes de ma cabane » de notre ami le berger Barbajohan.
Un conte qui se déroule, une fois de plus, dans notre haut-pays. Dans ces coins presque inaccessibles dans lesquels l’imagination des enfants peut gambader allègrement.
La clef de la porte du paradis
Cette histoire m’a été racontée par un collègue à moi. Un dénommé Théodore qui avait son biais prés du hameau de Roya dans la Tinée. Je vais vous la raconter, telle qu’il me l’a narrée.
– C’était en 1956, j’avais onze ans et mon père avait confié son troupeau pour le temps de l’estive à un dénommé Albert Juge dont les quartiers de juillet-aôut se situaient près de la nouvelle frontière italienne (1947) entre la cime de Sespoul et la Guerche, dominant les Lacs du Lausfer et pas très loin du Col de la Lombarde (aujourd’hui au-dessus d’Isola 2000- Chastillon).
Afin de faire baisser les frais de gardes ; il m’avait placé comme aide berger. À l’époque, là-haut, les traces de la guerre étaient encore présentes ; une partie des alpages, surtout aux abords des blockhaus Italiens étaient couverts de denses réseaux de barbelés et de piquets en tire-bouchons.
Un jour dans un réseau de barbelé, Albert me montra un tas d’ossements de
mouton, éparpillé et blanchit sous le soleil. Il m’expliqua que trois ans
auparavant quelques brebis avaient trouvé une brèche et s’en étaient parti
brouter dans le réseau. Elles avaient sauté sur une mine. Il me mis en garde de
ne jamais rentrer dans les parcelles entourées de barbelés, même pas pour aller
récupérer des bêtes.
De même qu’il m’expliquât qu’il ne fallait jamais toucher aux obus, aux
grenades, et d’éviter de toucher à tout objet métallique émergeant du sol.
J’avais assez peur de ce genre d’engin pour les éviter.
Un jour quatre chèvres qui faisaient partie du troupeau étaient parties
vagabonder et je fus charger de les retrouver. Je partis donc faire le tour des
crêtes dont une partie étaient à cheval sur la frontière. De là, j’avais vue sur la
vallée de Chastillon, puis sur St Anna di Valdiéri, ainsi que sur le cirque des
crêtes qui entourent les lacs du Lausfer. Au bout d’un moment, j’aperçus
cheminant sur le sentier muletier, une longue colonne de gens. C’étaient des
pèlerins se rendant au pèlerinage de St Anna en Italie en passant par le col du
Lausfer.
En tête de groupe marchaient des hommes portant une grosse croix. On
apercevait aussi des gens chargés de musettes et de sac à dos, ainsi que des
femmes portant des paniers. Tous étaient vêtus de vêtement de fête.
Arrivés sur les pourtours des lacs, ils se posaient, déballaient leurs sacs et
cassaient la croûte.
Le spectacle de tous ces gens arrivant là m’avait fait oublier mes chèvres et je
redescendis en courant pour voir cela de plus prés.
Les gens étaient joyeux, partageant le pain, le fromage et les saucisses sèches.
Les litrons de vins passaient de main en main. De temps à autre, un groupe
entonnait un chant accompagné d’un accordéoniste.
À plus de deux miles mètres d’altitude, c’était un spectacle surprenant. Je
passais d’un groupe à l’autre, saluant les gens et grappillant au passage des
biscuits ou des grains de raisins.
C’est alors qu’arriva un groupe assez particulier, c’était un groupe de huit bonne
sœurs en cornettes blanches et pataugas guidé par un jeune abbé en soutane
noire et un béret basque sur la tête.
Ils posèrent au sol, sacs et musettes et s’offrirent à leur tour une collation.
C’était un ballet permanent, certains remballaient et reprenaient leur chemin,
d’autres arrivaient et s’installaient posant sur leur genoux des serviettes de
toutes les couleurs.
Enfin, d’autres s’éloignaient des groupes, vers les rochers ou les gros massifs de
rhododendrons afin de satisfaire un besoin naturel.
Étant repartis à la recherche de mes chèvres ; je remarquai que le flot des
arrivants s’était tari. Il ne restait sur le terrain que quelques groupes tardivement
arrivés et l’abbé et ses bonnes sœurs.
Au bout d’un moment, je vis les sœurs s’éloigner très, très loin vers les premiers
rochers du bas de la crête dominant le col.
Comme forcément elles devaient êtres très pudiques ; elles allaient encore plus
loin que les autres pour faire leur pipi.
Je poursuivis ma progression sur la crête rocheuse car il m’avait semblé voir une
chèvre par le haut dans les barres.
Je parcourus une crête étroite partageant deux abîmes, et après avoir escaladé
plusieurs rochers, j’établis le contact visuel avec mes chèvres divagantes. Celles-ci
s’étaient embarrées dans un endroit inaccessible et semblaient de loin me
narguer.
Je poursuivis péniblement mon chemin et me retrouvais tout essoufflé dans une
faille de rocher.
C’est là que j’entendis le chant des anges.
C’était une mélopée heureuse, des chants de joie et de plaisir, des plaintes de
bonheur, des rires de bon cœur. Il n’y avait autour de moi que la roche minérale,
le vide du ciel et des abîmes. Les sons semblaient sortir d’une faille dans le sol.
J’étais subjugué :, mais je n’étais pas rassuré de me trouver si prés du royaume
des anges.
Aussi, je redescendis le plus rapidement possible vers le col, et là je tombais pile
sur l’homme de la situation.
L’abbé en soutane noire et béret basque était là, assit sur un rocher fumant la
pipe.
Je courus vers lui en l’appelant ; « Monsieur l’abbé, monsieur l’abbé ! »
-« Que t’arrive-il mon petit »
-« Un miracle, monsieur l’abbé, un miracle, dis-je en me signant plusieurs fois ,
J’ai entendus le chant des anges ».
-« Où cela mon garçon ? »
-« Là-haut, sur la crête ! » Et je lui montrais l’endroit de mon doigt.
-« Il faut venir avec moi, oui, venez ! Je le tirais par la manche de sa soutane, il
faut venir, j’ai trouvé la porte du paradis ».
-« Calme toi mon garçon…C’est bien si tu entends la voix des anges. C’est que
le bon dieu t’envoie un signe. Il signifie par là qu’il t’aime.
Tu sais la porte du paradis peut-être n’importe où. Là-bas dans la montagne, au
fond du lac, dans la grande forêt de mélèze là-bas. Elle est surtout dans ton
cœur. »
-« Mais les voix, elles venaient de l’intérieur de la terre. »
-« Cela n’a pas d’importance, le paradis n’est pas que dans le ciel. Il peut être
sous la montagne, dans la mer, dans les nuages qui passent et qui frôlent la cime.
D’où que te parviennent les voix de notre seigneur, cela n’a pas d’importance.
L’important c’est qu’elles te pénètrent le cœur et l’esprit ».
Sur ceux les bonnes sœurs apparurent, l’une après l’autre, chargées de leur
musette et de leurs sacs à dos.
« Allons mes sœurs, nous allons être en retard pour la troisième messe. Il est
temps de repartir ».
Les sœurs se mirent en colonne et reprirent le chemin du col.
L’abbé me congédia en me disant : « Ne t’inquiète pas, ait confiance en Dieu et
pense que Jésus est toujours avec toi et te protège.
Adieu, mon enfant que la vierge te bénisse… » Et il repartit.
La saison d’estive terminée, je retournais au village et je me mis à étudier
sérieusement la question des miracles.
J’en étais arrivé à la conclusion que les miracles se reproduisent à dates
anniversaires, aux mêmes lieux et devant les mêmes témoins.
Je harcelais l’abbé de ma paroisse de questions et fut un assidu à la messe.
Une fois, j’allais plus loin dans la discussion : « Mon père admettons que
quelque part dans la montagne ; j’ai eu comme qui dirait une révélation.
Que j’ai entendu quelque chose qui serait comme un miracle. Comment ça se
passerait ? »
-« Holà, c’est compliqué… Il faudrait d’abord que je t’entende en confession
pour m’assurer que tu n’affabule pas.
Ensuite, il me faudrait prévenir l’évêque du Diocèse qui t’entendrait à son tour.
L’évêque en parlerait à l’archevêque qui réunirait un tribunal pour t’entendre.
Enfin le pape enverrait un émissaire spécial en mission qui se rendrait sur place
pour constater les faits. Et à la fin des fins, si tu avais raconté des histoires : tu
serais jugé, condamné et précipité dans les entrailles de la terre où tu brûlerais
dans d’atroces douleurs pour l’éternité. »
Je devins lors des services religieux, un enfant de chœur remarquable, le
spécialiste de la préparation des ciboires et de l’encens. Je commençais à user
les genoux de mes pantalons telle ma foi était profonde.
Je fis des pieds et des mains pour participer au prochain pèlerinage de St Anna.
Notre curé croyant discerner une vocation travaillât mes parents afin qu’ils
acceptent de me donner congé à une époque où l’activité agricole réclamait des
bras.
Après-tout, un fils dans les ordres, cela apportait de la notoriété à une famille…
Autrefois.
Ainsi, l’année d’après, je faisais partie de la colonne des pieux pèlerins.
Après avoir cheminé durant quatre heures et accomplit plus de miles mètres de
dénivelés ; nous arrivâmes dans les prés du Lausfer, lieu de la pause casse-croûte.
Il y avait déjà pas mal de monde, et certain remballaient et reprenaient la
route pendant que d’autres arrivaient encore.
Mon but n’était pas de poursuivre avec mes compagnons de pèlerinage, mais
d’aller vérifier là-haut sur la crête si le miracle se reproduisait.
Aussi je prétextais d’un mal de tête due au soleil et de dérangements intestinaux
causés par des merises glanées dans le bas du chemin pour me reposer un peu.
Le temps était au beau partout sur l’horizon et jeune montagnard ; je ne risquais
pas de me perdre. Aussi le seul conseil que me donnât l’abbé fut : « Quand tu
nous rejoindras, n’oublie pas d’aller à confesse avant de faire la communion : tu
serais en état de pêché. »
Je m’assis d’un air las, entre deux massifs de rhododendrons sur une roche plate
et guettait le moment où le dernier de mon groupe aurait passé le col.
Lorsque ce fut fait, je me précipitais et grimpais les derniers kilomètres ventre à
terre.
Je grimpais tel un camous sur la ligne de crête, escaladant les rochers,
précipitant des pierres dans l’abîme.
Enfin, arrivé à la faille ; je me mis à prier et à écouter.
Mais rien sinon le bruit du vent et plus loin les cris des choucas.
Je dus m’assoupir un petit moment car nous étions partis à quatre heures du
matin et j’avais la grimpette dans les jambes.
Un bruit bizarre me réveilla ; il venait de l’intérieur de la faille et des
profondeurs de la montagne. Click, Glong, Klong, Slack, comme une grosse
serrure que l’on manœuvre, puis une lourde porte métallique qui grince et des
pas résonnants dans une cavité. Enfin un brouhaha confus et une voix.
Une voix qui disait : « Installez-vous messieurs, mes anges ne vont pas tarder à
arriver. »
Je venais d’entendre s’ouvrir la porte du paradis et Saint Pierre souhaitant la
bienvenue à de nouveaux arrivants en leur annonçant que les anges allaient venir
les chercher.
Au bout d’un grand moment, j’entendis à nouveau le chant des Anges. Ainsi le
miracle se renouvelait comme l’année passé.
Cette fois-ci, il me fallait trouver un témoin digne de foi qui m’accompagne et
constate le miracle avec moi.
Je redescendis dare- dare, progressant vers le col, pensant trouver au passage
quelques retardataires. Quant tout à coup, la providence m’éclaira ; je tombais
nez à nez avec un abbé. Justement celui qui avait amené les religieuses en
pèlerinage l’année d’avant.
« Mon père, mon père. Ah que je suis content que vous soyez là, si vous saviez,
oh mon dieu, Il faut que vous veniez avec moi. Le miracle s’est renouvelé, le
chant des anges, Sainte Vierge, la porte du paradis. Venez, suivez-moi, c’est pas
loin. Le miracle, je vous dis, le miracle, alléluia. »
Cette fois-ci, il me suivit, grimpant et escaladant les rochers, faisant débouler
des pierres dans l’abîme. Enfin nous arrivâmes à la faille.
Au début, j’avais l’impression qu’il faisait semblant de ne rien entendre.
À moment donné, je lui expliquais : le bruit de la serrure, la porte qui grince, la
voix qui souhaite la bienvenue et annonce les anges.
Tout à coup, il m’attrapa rudement par le bras et me regarda d’un œil noir, un
regard méchant, les traits de son visage étaient tendus et il avait cessé de sourire.
– « Tu vois petit, le bon dieu aussi, il a peut-être ces secrets. Et peut-être que le
bon dieu ; il n’aimerait pas que ses secrets soient révélés à n’importe qui et par
n’importe qui. Parce que le bon dieu, il peut aussi se mettre en colère. Tu as
entendu parler de la colère de Dieu !
La foudre fend les roches, des torrents de boues dévalent des montagnes
emportant les forêts et engloutissant tout sur leur passage…Puis la terre s’ouvre
et des villages entiers sont précipités dans les laves de l’enfer.
Tu as compris ! Tu as compris, dit tu as bien compris ! »
Il me serrait, me secouait, et commençait à me faire mal. J’avais peur.
Je me suis mis à crier à mon tour tout en sanglotant « Oui, j’ai compris. Je ne
dirais rien. Je ne dirais jamais rien ! »
Il desserra son étreinte et me dit : « Bon, maintenant redescendons, surtout fait
bien attention de ne pas glisser »
Nous redescendîmes des rochers, puis nous suivîmes la ligne de crête entre les
deux abîmes. Je tremblais en silence, reniflant par hoquet de temps à autre.
Arrivé au col, il sortit de son sac une plaquette de chocolat et m’en donna une
barre : « Tiens, mange, remets toi. »
À ce moment-là, les bonnes sœurs arrivèrent sortants de derrière les rochers et
longeant un réseau de barbelé. Il se leva, alla à leur rencontre et leur chuchota
quelques mots. Ils me regardèrent et se mirent à pouffer de rire.
Puis les sœurs m’entourèrent et me gâtèrent. Qui me donna des bonbons, qui des
chewing-gum, qui du chocolat, qui des biscuits, qui un petit peigne de nacre,
qui un petit miroir doré.
Elles souriaient, me faisaient des compliments, me caressaient les cheveux,
m’embrassaient sur le front. On aurait dit des anges. Une enfin, me confia un
petit chapelet en bois d’olivier.
Au bout d’un moment, l’abbé les rappela à l’ordre : « Allez, mes sœurs. Il faut
nous hâter maintenant. » Elle reprirent leurs sacs et leurs musettes et partirent en
colonne, derrière leur abbé. Arrivées au col, elles se retournèrent et me firent au
revoir de la main.
Le temps passa et je ne refis plus le pèlerinage car il y avait du travail à la ferme
et ma vocation religieuse s’était bigrement atténuée.
Ce n’est que beaucoup plus tard, lors d’une relation amoureuse intense avec une
fille que j’entendis à nouveau le chant des anges. Et je compris.
La véritable histoire me fut racontée, beaucoup plus tard par un vieux douanier à
la retraite.
L’abbé était un prêtre défroqué qui faisait le souteneur sur la côte. Il avait monté
une combine.
Au moment du pèlerinage ; il remettait sa soutane, faisait revêtir à ses
pensionnaires l’uniforme des religieuses et les amenait en balade.
Il y avait près du col, un ouvrage fortifié italien, constitué d’une galerie
souterraine fermée par une porte métallique blindée qui débouchait entre deux
rochers dans la falaise.
L’entrée était parfaitement camouflée par la nature du terrain. Pour y accéder, il
fallait traverser un réseau de barbelés encore intact dans lequel une brèche de
cheminement avait été pratiquée. À cette époque, cet ouvrage était parfaitement
conservé et les différentes pièces attenantes à la galerie principale étaient encore
équipées comme à l’origine : Chambrée, cuisine, infirmerie, chambre des
officiers, soute à munition, groupe électrogène etc.…
Du centre de la galerie principale partait une cheminée d’aération qui débouchait
dans une faille naturelle et qui se terminait sur la crête au droit de l’ouvrage.
L’abbé proxénète avait sa clientèle de joyeux pèlerins. Il ouvrait la porte de
l’ouvrage, ces messieurs entraient et s’installaient. Ensuite ces dames arrivaient
et se livraient à des ébats érotiques ou plus si affinités commerciales, le tout à la
lumière des bougies.
L’abbé percevait le denier du culte. Ensuite tout le monde reprenait le chemin du
col participant au pèlerinage de St Anna.
Après s’être confessé et avoir assisté à la messe, les nones reprenait le chemin
du retour avec l’abbé.
Au préalablement, ces dames s’étaient chargées d’un maximum de marchandises
de contrebande : or fin, tabac etc…Qui aurait soupçonné des religieuses ?
Toutefois un délateur vendit un jour la mèche et tous les protagonistes de
l’affaire se retrouvèrent déférés devant la justice.
Je suis repassé un jour par là haut et j’ai trouvé l’entrée de l’ouvrage. Mais la
porte était ouverte et à l’intérieur tout était saccagé.
Au centre de la galerie, j’ai bien vu la cheminée d’aération qui conduisait les
sons jusqu’en haut de la crête.
Dans un coin, parmi les gravats, j’ai trouvé un petit chapelet en bois d’olivier
preuve que les anges étaient passés par là.
En sortant, la grosse clef était resté sur la porte ; j’ai eu du mal à la récupérer car
la serrure était rouillée.
J’ai toujours gardé en souvenir la clef de la porte du paradis.
Barbajohan (Hiver 2008).