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Calèna (Noël dans le Comté)
Dans le Comté de Nice, on fête Noël, au soir du 24 Décembre, comme un peu partout dans le monde. Ce soir là, une veillée précède une nuit pas comme les autres.
Et cette dernière assertion est encore plus avérée dans notre Comté. Pour comprendre le sens de cette fête dans le Pays Niçois, il convient de nous replonger dans notre plus lointain passé et de gratter le « vernis des festivités que nous servent la société marchande et les médias ».
D’où vient cette fête de Noël ?:
Depuis notre plus jeune âge, on nous a présenté Noël comme la fête de la nativité du Christ qui serait né il y a 2012 ans à Bethléem dans une étable. La plupart des pays ont d’ailleurs nommé cette fête Noël qui est un mot dont l’étymologie ramène, en effet, à la natalité. Mais, cela n’est point vrai dans le pays Niçois. Chez nous, il s’agit de Calèna, (*) mot qui se trouve ses racines dans les Calendes Grecques et Romaines. Les calendes étaient le premier jour du mois dans le calendrier des peuples antiques. On peut noter, à ce sujet, que cette fête plus que quadri-millénaire donne lieu à une veillée. Une petite remarque à propos de la dénomination de cette soirée: le mot « réveillon » n’est pas approprié au soir de « Calèna », car ce dernier a une connotation commerciale synonyme de bombances sans limites. Préférons lui le terme de « veillée » qui semble plus approprié. Il est vrai que la société marchande a tout fait pour remplacer l’un par l’autre, particulièrement au travers de ses médias.
Il s’agit, à l’origine, d’une fête païenne (comme pratiquement toutes les fêtes de l’église catholique qui, pour pouvoir s’implanter en Europe a du faire son « aggiornamento » en s’appropriant les lieux de cultes et les fêtes païennes préexistantes). Le Catholicisme a même pratiqué une « révolution structurelle » en rompant avec le judéo-christianisme originel et en faisant de Rome son centre spirituel à la place de Jérusalem.
Noël correspond au solstice d’hiver, fêté depuis la nuit des temps chez nous et symbolise une étape du cycle solaire (la nuit la plus longue lors de laquelle un soleil meurt et une autre soleil va renaitre pour atteindre son apogée au solstice d’été).
De là, vient, également la tradition du « cacha-fuèc »: lors de la veillée, en début de soirée, il convient d’éteindre, dans la cheminée, le feu qui y brûlait et d’en rallumer un nouveau avec un « brandon » récupéré au feu de la Saint jean (Solstice d’été) pour allumer ce feu à Noël: c’est ainsi que le cycle des saisons se perpétuait. L’expression « cacha-fuèc » vient, sans doute, du fait que l’on éteint le feu (avant de le rallumer). D’ailleurs l’expression « cacha-fuèc » est devenue, avec le temps, synonyme de veillée.
Ce passage de témoin, d’un feu à l’autre, explique d’ailleurs, pourquoi, pour certains, ce soir là représente le passage d’une année à une autre. De la même façon, le sapin de Noël est aussi une survivance païenne: l’arbre de vie que l’on trouvait dans toutes cultures de l’Europe anté-chrétienne. Certains auteurs signalent, lors de la veillée, la présence des trois bougies de la sainte trinité, mais il faut savoir que cette spécificité de la religion catholique (la Sainte Trinité n’existait pas dans le judéo-christianisme des origines) vient également de la structure trifonctionnelle des sociétés Indo-Européennes tant dans le domaine social que religieux. D’ailleurs, un certain nombre d’entre nous allumons ces trois bougies (bleue, rouge et verte), avant le repas, pour célébrer la lignée de la famille et de notre communauté (en l’occurrence la communauté nissarde pour nous): la bougie bleue pour les parents et amis qui sont loin de nous ce soir là et auxquelles nous pensons (et qui sont ainsi présents parmi nous), la bougie rouge, couleur du sang et de la fidélité pour les parents et amis qui sont morts et auxquels nous pensons (eux aussi présents par l’esprit) et la troisième bougie, verte, symbole de l’espérance, pour les enfants à venir dans notre famille et dans notre communauté (qui perpétueront nos traditions)..
La période des fêtes de Noël:
Si on se réfère à la tradition catholique, cette période commence avec le temps de l’Avent, marqué par les quatre dimanches précédant Noël. Mais cette tradition a aussi des reliquats des anciennes traditions (il ne faut pas oublier que la généralisation des rites catholiques ne se fera qu’au VII° siècle dans le Comté de Nice) par exemple avec la confection d’une couronne de l’avent constituée de branches de sapin (l’arbre qui ne meurt jamais) sur laquelle on a placé quatre bougies, bougies qui seront allumées l’une après l’autre chaque semaine avant Noël. En revanche, dans le Comté de Nice, « lou temp de Calèna » (la période des fêtes de Noël) commence le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe (et peu importe que ce soit un dimanche ou pas, car si les chrétiens marquent leurs dates au dimanche, jour du seigneur, dans le Pays Niçois, la période des fêtes débute exactement 4 semaines avant Noël). Ce temps d’avant Calèna est celui de tous les symboles et du retour de la lumière. Ce jour de la Sainte Barbe, on met les grains de blé et les lentilles à germer. On profitera de toute cette période d’avant Noël pour nettoyer la maison à fond, renouveler le mobilier et les ustensiles et terminer par le geste symbolique du « cacha-fuèc« . Les petites graines germées donneront des petits massifs d’herbes bien vertes qui décoreront la table de la veillée. Elles seront un symbole de fertilité et de prospérité « per l’an que ven » (pour l’année à venir). Et cette période va durer après « Calèna » jusqu’au 6 Janvier, jour de la fête des Rois, c’est la période des treize jours. La tradition veut que l’on décore le sapin dans la journée du 24 décembre, avant de dresser la table et que l’on laisse le sapin décoré pendant toute la période des treize jours. Le 6 Janvier, une fois le sapin « mis à nu », il était de tradition, à Nice, de jeter les sapins par la fenêtre dans les cours intérieures ou on les brûlait. Ainsi se finissait la période du « temp de Calèna« .
La veillée:
Après que l’on ait décoré le sapin, on dresse la crèche, mais elle ne ressemblera pas à toutes celles que l’on trouve ailleurs, ce sera la « crèche niçoise ». Il faut savoir que la crèche fut inventée au XIII° siècle par Saint-François d’Assise. La crèche niçoise, elle, que l’on appelle « lou Presèpi » est confectionnée par la famille et restera toute l’année dans la maison. Contrairement à nos voisins provençaux, chez qui la crèche est constituée de santons en grand nombre (l’usage veut que l’on en achète chaque année de nouveaux pour augmenter la population de la crèche) et ou cette crèche est démontée quand ils dépouillent le sapin. Dans la tradition nissarde, on a une crèche avec peu de personnages (la Madone, le charpentier, l’enfant, l’âne et le bœuf), personnages fabriqués, tout comme le décor, en carton, bois ou cire, par la famille.
Une fois, ceci fait, il convient de dresser la table de la veillée. Sur la table trois nappes blanches superposées, sur lesquelles on aura placé les assiettes de blé et de lentilles germées ainsi qu’une branche de houx. Ces trois nappes sont de tailles décroissantes, une pour « lou gros soupa » le soir du 24 qui est un repas maigre, une pour « lou repast dou jou de Calèna » le 25 à midi au cours duquel on mange de la viande et la troisième pour « la merenda » du 25 au soir lors de laquelle on finit les restes. Ensuite, on dresse les couverts pour les convives en y ajoutant une assiette, l’assiette « per lou paure » (l’assiette du pauvre) au cas ou quelqu’un viendrait à frapper à la porte pour demander à entrer au chaud lors de cette soirée particulière. Il semblerait que cette explication est apparue lors de l’implantation de la religion catholique dans le Comté en signe de charité chrétienne, mais, il faut savoir que si « Lou paure » signifie en Niçois le pauvre, il signifie aussi le mort. C’est pourquoi cette assiette supplémentaire est là, également, pour les défunts de la famille avec qui l’on avait fêté Noël autrefois. Avant de passer à table, c’est le moment de la cérémonie du « cacha-fuèc« : l’ainé de la famille donne au plus jeune enfant le brandon récupéré dans le feu de la Saint-Jean au Solstice d’été pour que celui-ci allume la bûche (de préférence du bois fruitier, plutôt de l’olivier) que l’on a placée dans l’âtre (dans laquelle le feu avait été éteint), puis, une fois le feu rallumé, tous les membres de la famille jettent sur les flammes quelques goutes de vin ou de « branda » (eau de vie nissarde) en faisant le vœu d’être encore tous ensemble l’année suivante: « à l’an que ven, se sian pas mai que siguen pas men » (A l’année prochaine, si nous ne sommes pas plus que nous ne soyons pas moins).
Ensuite, on allume les trois bougies qui vont brûler toute la soirée au centre de la table. Il est alors temps de s’asseoir autour de la table. Une vieille tradition, qui malheureusement s’était un peu perdue, consistait à mettre de petits objets sous les serviettes pour les convives (en bois, en toile, un petit mot, mais pas de plastique bien sûr) qui étaient un petit cadeau de bienvenue. Lors de ce repas « lou gros soupa » (le gros souper), qui se prend, pour ceux qui vont à la messe de minuit au retour de celle-ci, mais que la majorité des familles, aujourd’hui, commencent plus tôt, on mange bien mais on mange maigre…des entrées puis des poissons avec des légumes en abondance. A la fin du repas, vient le temps des treize desserts.
Ces treize desserts se composent de mandarines (ou à défaut de clémentines), d’Oranges, de pommes, de fougassettes à la fleur d’oranger, de Panettone (qui nous vient du Piémont), de Tourta de blèa (tourtes de blettes), de nougat blanc, de nougat noir, de poires cuites au vin, des fruits confits, de la pâte de coing, du raisin et les « quatre mendiants » qui sont des fruits secs symbole des quatre ordres (amandes pour les Carmes aux pieds nus, figues pour les Franciscains, raisins secs pour les Dominicains et noix pour les Augustins). Il est à noter que les fruits des treize desserts sont là en l’honneur du Solstice d’hiver: ce sont les fruits qui contiennent des pépins ou qui se trouvent à l’intérieur d’une coque pour bien marquer l’hiver, saison ou on se retrouve au chaud au sein des foyers. Ce sont les fruits dont le séchage a bravé la mort en gardant la vie à l’intérieur. Après le repas de la veillée, on veille à bien laisser les miettes de pain et tous les gâteaux sur la table, toute la nuit, pour nourrir les armeta, les petites âmes des morts et on se protège des mauvais esprits en mettant une part de pain de côté et en relevant, après le repas, les quatre coins des trois nappes pour que les diables ne puissent s’y accrocher et grimper sur la table (ainsi ils ne pourront mettre en danger les petites âmes).
Le lendemain de la veillée:
Le déjeuner du 25 décembre, pris sur la deuxième nappe (celle de la veillée ayant été retirée) fera la part belle aux viandes de toutes sortes et particulièrement du boudin (ici, lou trule qui est le boudin aux herbes du pays) et de l’agneau. Puis, le soir du 25, il ne restera que la troisième et dernière nappe sur laquelle on finira les restes.
Merces 😉
E que viva.
Merces e que viva !!!
Merces !!