Le Lièvre qui grimpait aux arbres…
Ecrit par Julien DEMONTFERRAT le 23 oct, 2011 dans la rubrique Textes / Test | 0 commentaires
L’amic Barbajohan nous a livré un de ces contes dont il a le secret:
Une histoire « diabolique »
Contes de ma cabane
Par Jean-Marc FONSECA dit: Barbajohan
Le lièvre qui grimpait aux arbres.
Une des activités essentielles qui occupait les gamins et parfois les gamines de mon village était d’aller à la « calle ».
On allait ainsi à la « calle » aux cerises, à la « calle » aux prunes, à la « calle » aux noisettes ainsi de suite. À quoi consistait « aller à la calle », tout simplement à aller chaparder des fruits dans une propriété privée. Non que nous en manquions, mais le goût du risque encouru par l’aventure donnait à ces fruits une saveur exquise de défendu que nous ne retrouvions pas dans les autres fruits. Nous passions notre temps en repérage et en observations de la maturité des dits fruits.
On observait les habitudes du propriétaire des lieux et dés qu’il était absent telle une volée de geais piaillant et gloussant, nous nous précipitions dans les branches et engouffrions en un temps record, un maximum de fruit. Mais il arrivait aussi que le propriétaire des lieux s’invite inopinément à la fête et c’était le sauve qui peut général.
Souvent le légitime défenseur de son patrimoine se contentait de nous poursuivre à coup de balais, nous invectivant de tout un nom d’oiseau.
Mais il arrivait aussi que mis hors de lui par des pillages répétés, il prenne son fusil.
Les premiers temps d’ailleurs il se contentait de tirer en l’air.
Mais il se pouvait qu’excédé, il nous expédiât dans les jambes et les fesses une volée de gros sel.
Cela fait l’effet d’un sacré coup de fouet et brûle la peau durant plusieurs jours.
Ce type de riposte amènerait sans doute de nos jours son auteur devant un tribunal de cours d’assise. Quant aux « victimes », elles subiraient le supplice des interviews médiatiques sans parler du lavage de cerveaux opéré par une armée de psychologues, d’éducateurs et de pédagogues.
À mon époque cela se passait différemment.
Si l’on s’était plaint, ou si le propriétaire s’en confiait aux parents ou aux tuteurs, on dégustait de plus quelques torgnoles et pour les plus malchanceux quelques coups de ceinturon.
Le tout accompagné d’une période de privation de dessert mais surtout de liberté d’aller et de venir.
Il faut dire aussi que plus l’objectif était protégé, plus l’acte en devenait héroïque.
Ainsi le verger dont les murs avait été garnis de tessons de bouteille, celui dont la clôture était saturée de barbelés rouillés et encore plus celui garni de panneaux : entrée interdite, danger piège à feu, attention chien méchant, celui-là faisait précisément l’objet d’un attrait particulier de notre part.
Il y avait justement dans le village, un potager arboré d’environ quatre ares qui correspondait à ce descriptif.
( Lou vergié de Noré)
Son propriétaire s’appelait « Honoré », c’était un vieux qui avait fait partie de la génération du feu: la guerre de 1914-1918 dite la grande.
Il faut dire qu’à l’époque nous appelions vieux tous les plus de cinquante ans.
Honoré cultivait avec passion son potager et soignait ses arbres qui le lui rendaient bien.
Il y avait des cerisiers plusieurs variétés : Cœur de pigeons, Burlat, Griottes, Muscades.
Des pruniers : Grosses noires, Reines Claude, Mirabelles jaunes.
Des poiriers : Epargne, Rousselet de Reims, Fondante des bois.
Des pommiers : Rainettes, Rouge d’hiver, Princesses d’Asie.
Ainsi qu’un amandier et une treille de Clinton.
Il disposait dans les branches des éclats de miroir attachés à des ficelles ainsi que des clochettes pour éloigner les oiseaux. Son terrain était parfaitement clos et protégé. De plus il habitait un petit pavillon attenant à son jardin et il avait le sommeil léger et l’oreille encore vive.
Son chien était encore plus vieux que lui, il se déplaçait difficilement mais était encore suffisamment vaillant pour donner l’alarme.
(Lou can de Noré)
L’équipe qui serait allé à la « calle » chez l’Honoré aurait bénéficié d’une réputation remarquable, de respect et d’admiration de la part des autres bandes. Un peu comme aujourd’hui quand on entend parler de poubelles ou de carcasses de voitures brûlées dans certaine banlieue urbaine. Il fallait relever le défi.
Après moultes reconnaissances et observations, il s’avéra que l’Honoré avait ses habitudes.
Les courses chez l’épicier et le boulanger le matin, puis jardin, petite sieste après le repas de midi et rejardin. Certain jours, il partait avec un sac et sa faucille faire le tour des talus autour du village afin de rapporter de l’herbe pour ses lapins.
Enfin l’heure de l’apéro avant le repas du soir, trois fois par semaine aux bistrot de la poste. Le reste du temps, il restait chez lui avec son chien et ses quatre chats. Son style de vie laissait peu de temps pour réaliser l’opération. Mais il y eu un fait nouveau, le chien d’Honoré mourut de vieillesse et donc l’alarme sur patte ne fonctionnant plus : l’heure de la sieste devenait propice à l’action.
Mais c’était sans compter sur l’esprit de ruse de l’Honoré qui avait appris à protéger une position pendant sa guerre. Nous l’apprîmes à nos dépends.
L’expédition eu lieu, nous avions préparés quelques nuits auparavant une brèche dans la clôture, aussitôt camouflée.
Nous étions cinq dont un garçon manqué Rosa qui devient par la suite une fille réussie.
( La banda de rabatamalura)
Nous pénétrons dans la brèche, un par un, et nous nous faufilons courbés, en courant et en silence vers un magnifique cerisier que nous escaladons. Nous prenions garde à ne pas tout dévorer afin de rapporter dans nos poches la preuve de notre exploit. La razzia battait son plein, lorsque Pierrot descendit de l’arbre pour aller faire pipi dans un coin du jardin.
A ce moment-là, nous entendons un grand Bling, Badablang, Cling, Clink, Badablong.
Pierrot venait d’accrocher un des pièges alarme disposés par l’Honoré.
Nous restons perchés, immobiles et silencieux un grand moment, les sens aux aguets jusqu’à ce que nous apercevions l’Honoré et son fusil.
( Noré piha lou fusièu)
Nous nous précipitons vers la sortie, mais trop tard, le coup partit alors que nous étions baissés pour franchir la brèche. Nous reçûmes la volée de gros sel dans les fesses. Seule Rosa y échappa, car machisme oblige, à l’époque, nous l’avions fait passer la première.
Il n’y eut pas de suite à l’affaire, mais durant des jours , nous ruminèrent notre vengeance.
Et le diable sait la cruauté dont sont capables les enfants. Il faut dire que dés la première enfance, on les a éduqués dans ce sens.
Par des comptines et des chansons : « la pauvre souris qu’on attrape par la queue et que l’on trempe dans de l’eau, puis de l’huile bouillante pour la transformer en escargot tout chaud ».
Sans parler de la famille Poucet, des cas sociaux : le père vraisemblablement chômeur chronique, la mère ignorant la contraception. Ces deux parents indignes abandonnant leur progéniture dans une forêt où sévit un présumé serial killer susnommé l’Ogre.
Vous trouvez que j’exagère…Oh, à peine.
Comment avec une telle éducation, ne voulez-vous pas que germe dans des cerveau juvéniles des idées morbides et sadiques.
La première idée qui nous vins fut de nous venger sur le potager de l’Honoré.
Mais nous ne tenions pas à y pénétrer à nouveau, aussi l’idée du désherbant fut rapidement abandonné.
Quelqu’un eut une idée de génie. Aller piquer des lapins dans un clapier : çà c’était facile presque tout le monde en élevait et souvent dans des campagnes éloignées du village et peu surveillées.
Enfin, les lâcher dans le potager de l’Honoré. Les lapins auraient vite fait de saccager salades, blettes, haricots, semis etc.…
La décision fut prise à l’unanimité et le soir même trois lapins disparaissaient de leur clapier. Un, d’ailleurs, nous échappa en chemin.
Une brèche fut à nouveau pratiqué dans la clôture et nous y engouffrons nos deux lapins.
Le lendemain après midi vers quinze heure deux coups de feu retentirent.
Nous eûmes connaissance de l’affaire via une conversation qui se tint au bistrot de la poste à l’heure de l’apéro.
L’Honoré raconta : « Vé, je venais juste de sortir de ma sieste, que je m’en vais pisser dans le jardin et tout à coup qu’est ce que je vois dans mes lignes de haricot : deux lapins.
Deux lapins qui me bouffaient tout. Vé, que je sort le fusil. Je les aligne, pan, un coup à un, re-pan l’autre coup à l’autre. Je te les ais pas loupés.
Bon dieu, mais je me demande bien d’où ils ont pu venir et comment ils sont rentrés. Parce que c’étaient pas des miens. »
« Et ils étaient comment ces lapins » Intervint Gros Léon.
« Oh, encore pas bien gros. Il y avait un blanc avec une tache marron sur la tête et un gris fauve avec le bout des pattes blanches ».
« Té que c’est les miens balbutia Gros Léon , l’autre nuit quelqu’un a ouvert mes cages et trois lapins ont disparus »
( Lou lapin de Léon)
« Oh ! un il est déjà dans la casserole, mais l’autre , tu peux le récupérer »
« Je me demande bien qui a pu me prendre des lapins et comment ils se sont retrouvés chez toi ? »
« Oh ! tu m’accuse… ! »
« Mais, non, mais non, pas toi »
« Moi, j’ai mon idée, il y a une bande de gamins qui m’emmerdent depuis des semaines. Je pense pas qu’ils n’y sont pour rien. »
À partir de là, l’affaire se compliquât, un des plaignant en parla aux gendarmes qui déclenchèrent une enquête.
Les suspects furent rapidement identifiés et nous fumes appréhendés manu militari et conduit au poste pour se faire passer un rude savon par le chef de brigade.
Si l’on eut le savon par les pandores en rentrant à la maison c’est la bassine que l’on prit dans la gueule.
Après plusieurs jours de punition, de travaux forcés et de privation de sortie, notre désir de vengeance contre le pauvre Honoré était devenu irrévocable.
La phase de l’ultime vengeance allait être cruelle. Une vengeance dont on se souviendrait de génération en génération dans le pays.
L’idée machiavélique fut la suivante : capturer un des chats de l’Honoré, le revêtir d’une peau de lapin puis le lâcher dans le potager. Attirer, ensuite, par différents cris l’attention de l’Honoré. Il sortirait une fois de plus avec son fusil, et pan. Il tuerait son chat préféré en le prenant pour un lapin.
Mais comment capturer le chat ?
Il fallait l’attirer vers l’extérieur, le droguer pour lui attacher la peau du lapin, et le repasser à l’intérieur du potager.
C’est là qu’une organisation digne de la série Mission Impossible se mit en place.
Pour attirer les chats, Pierrot proposât de ramener dans une cage, une de ses chattes qui était en chaleur.
Lucien, le fils du pharmacien piquerait des somnifères à son père.
Rosa, fille du boucher ramènerait de la viande hachée et du foie cru qui servirait d’appât que l’on bourrerait de sédatif au préalablement pilés dans le mortier de sa grand mère.
Quand à moi, je devais récupérer une peau de lapin.
Mais j’avais mieux, une peau de lièvre avec une partie de la tête et les oreilles que mon père avait tué à la chasse et qu’il destinait à un taxidermiste.
L’opération avait soigneusement été minutée. La veille au soir, capture du chat, on lui pose la peau du lièvre pendant qu’il est encore « ensuqué ». Le lendemain on lui refile une petite de dose et on le lâche dans le potager par une brèche.
Toute la préparation se passa sans problèmes et à l’heure de la sieste…
Nous ouvrîmes la cage et le chat-lièvre encore titubant fit quelques pas dans le jardins puis choisit de finir de dormir entre deux pieds de courgettes rondes.
À ce moment-là, nous nous mîmes à crier : « Honoré le lapin, Honoré le lapin ! »
Nous eûmes juste le temps de l’apercevoir l’Honoré et on s’escapait …
Arrivés au bas de la rue, nous entendîmes la détonation fatale. Vengés, nous étions vengés !
L’on se réunit dans notre planque pour fêter l’événement avec force bonbonneries dérobées à la caisse du curé lors de la dernière kermesse.
Mais les événements ne prirent pas le chemin que nous avions prévus.
Et c’est le lendemain lors du repas familial que nous apprîmes la suite de l’histoire.
Quelques heures après la tragique détonation l’Honoré se précipita au bar de la poste, tremblant et balbutiant.
« Vé, mon dieu, vé santa maria. Il m’en arrive une. J’ai cru que j’allais partir du palpitant. J’ai tiré sur le diable, je vous dit…
Tiens donne-moi quelque chose de fort. »
Au bout de quelques verres et de « Bon diou, es pas possible aco ».
Mais aussi sous l’insistance de l’auditoire, l’Honoré racontât.
« Je me réveillait doucement de ma sieste quand j’entends la bande de « rabatamalura » *crier : Honoré du pain, Honoré du pain. Je prend mon fusil. Je le garnit de deux cartouches gros sel et je sors en me disant : je vais te les calmer moi !
Je regarde dans le jardin, personne ! Et tout à coup qu’est ce que j’aperçois dans mes courgettes, un gros lièvre. Je me dis toi, tu vas y avoir droit ! Je le vise, je tire, Pan !
Du premier coup, il ne bouge plus. Pourtant il était à plus de vingt pas. Je pose le fusil et je traverse le jardin pour aller le ramener.
Au moment ou je me baisse pour l’attraper par les oreilles…Le lièvre se ramasse ; il fait un bon à droite, puis un bon à gauche, puis il se met à courir. Il grimpe sur le tronc du gros tilleul, de là de branche en branche, il saute sur le gros poirier.Puis sur le mur mitoyen qu’il traverse en courrant malgré les tessons, enfin il saute sur le toit de l’appentis du voisin et disparaît.
( Lou lebre si meti à courre )
Vous voulez que je vous dise ; je n’ai jamais eut aussi peur de ma vie. Ce lièvre c’était le diable…J’en tremble encore.
Un lièvre qui monte aux arbres ce pouvait être que le diable. »
Ainsi naquit la légende du lièvre qui grimpais aux arbres.
Et le chat, me direz-vous ?
Et bien, il l’avait tiré au gros sel et la peau du lièvre lui avait servi de gilet pare-balle.
Il dût d’ailleurs s’en débarrasser tout seul de la peau du lièvre, le chat, et quelques temps après ronronnait à nouveau sur les genoux de son maître. Qui ne se servit plus jamais d’un fusil.
Barbajohan .Janvier 2008.
Rabatamalura : Nissart :Rabatteur de catastrophe.(Vauriens).