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Un roman sur Nice au Moyen Age
Je viens de terminer la lecture de ce roman qui nous transporte à Nice au Moyen Age. Il m’a inspiré quelques réflexions que j’ai décidé de vous faire partager:
« LE MANUSCRIT DE LA PORTE » par Fabrice Anfosso (avec une introduction de Marc Bouiron), Editions « Mémoires Millénaires »
Un roman n’a certes pas vocation à présenter l’analyse historique précise d’une époque ou d’un lieu. Il lui est en revanche possible de faire revivre une tournure d’esprit, surtout quand, par sa méthode d’exposition, il laisse directement la parole au personnage médiéval, conteur anonyme du récit dont il fut l’acteur principal.
Il s’agit ici d’une quête où l’acteur principal se définit au départ comme un homme s’étant toujours « méfié des vérités acceptées par le plus grand nombre ! Je ne pouvais m’empêcher, dit-il encore, de réfléchir au-delà des mots qu’on prononçait pour me convaincre, de les tourner et retourner dans ma tête jusqu’à leur avoir enlevé tout le brillant de leur apparence, jusqu’à les avoir polis comme ces galets roulés au fond du Paillon… »
Il sera plongé au cœur des déchirements d’une Eglise alors divisée (l’on voit la présence –historiquement attestée- de « l’anti-pape » Benoît XIII à Nice) et des complots bien réels nés des ambitions en tous genres et autres appétits de pouvoir. Mais, croiseront aussi sa route le charisme d’une sainte ou la sincérité d’hommes et de femmes du peuple.
Et cela avec les descriptions précises de Nice et de ses environs alors que s’ouvre le XVème siècle, tableaux mêlées à l’intrigue du roman, ou composant l’introduction donnée par l’archéologue Marc Bouiron, comme le veut cette originale collection. (1) Ce texte étant paru en 2008.
Au centre du récit, ne le perdons pas de vue, une intrigue quasi « policière » à l’intérêt soutenu tout au long de son déroulement et dont nous ne dirons pas plus afin de laisser aux lecteurs le plaisir d’en découvrir les suprises…
Mais surtout, à mon sens, une appréhension fine de la mentalité d’alors, laissant fleurir dans le cours du récit miracles, actes de sorcellerie et où les stigmates du Christ marquent de leur empreinte le personnage voué à les porter… Sans cesse, la faculté de s’en remettre à Dieu avec confiance et d’interpréter les signes, « naturels » ou autres, ressentis comme l’expression d’une volonté divine omniprésente (2).
Le « Mal » enfin, qui mérite ici la majuscule que je lui attribue, figure satanique, véritable « double » de chaque homme (les lecteurs ont vu, ou verront, à quoi je fais précisément allusion), mais aussi prescience historique d’une époque à venir désacralisée et matérialiste. Le héros, en se faisant l’agent actif d’une spiritualité empreinte de magie (il n’y a rien d’ironique ni de péjoratif dans ce qualificatif..), se revendique ainsi d’un monde traditionnel aujourd’hui perdu mais qui reste fascinant…
Le conteur de cette histoire est conscient des menaces, qui en cette fin du Moyen Age, ne commencent à apparaître que par des signes encore imprécis (la division au sommet de l’Eglise) : « Je songeai que nous vivions une triste époque, un temps de lâches et d’empoisonneurs. A quoi bon les armures ? L’épée elle-même, à mon flanc, ne servait déjà plus à rien. Bientôt elle disparaîtrait, comme toute marque de courage et d’indépendance. Les hommes ne seraient plus armés, puisqu’il n’y aurait plus de menaces que sournoises et tapies dans l’ombre. L’âge viendrait sans doute où les offenses ne pourraient même plus être lavées en duel… »
Au contraire, son adversaire, outre la dimension « satanique » dont ne peut que le revêtir cette époque de foi, porte aussi en lui l’annonce d’un monde nouveau, d’une « modernité » au programme fort clair : « Je veux seulement d’une autre espérance. Celle d’un monde où les hommes exerceront pleinement leur puissance. Un monde de ténèbres et de pouvoir ! Un monde d’argent et de progrès ! Un monde privé de ces miracles humiliants ! »
En peu de mots, se trouve là, pour qui veut bien le lire, l’annonce de tendances qui marquent encore notre XXIème siècle en son début (on appréciera comme il se doit l’appel à « un monde d’argent et de progrès… »)
Il serait donc dommage, me semble-t-il, de ne voir dans cet ouvrage qu’une aventure, certes captivante, mais sans signification autre que celle de nous faire passer un bon moment (3). Ce ne serait déjà pas si mal, mais l’on comprendra que, personnellement, j’aie voulu aller au-delà…
Jean-Marie SANJORGE
(1) A propos de notre ville, je tiens à confirmer (car nous l’avons déjà présenté en détail) l’intérêt du livre « Nice, le guide » récemment publié par les mêmes éditeurs, et où le plaisir de la lecture précède celui d’aller sur le terrain voir ou revoir des lieux dont nous ne connaissions pas toutes les richesses.
(2) A lire sur les mentalités religieuses de la période qui précède et prépare celle du roman : André Vauchez, « la spiritualité du MoyenAge occidental » (ed histoire points Seuil)