Le Carnaval depuis la nuit des temps
Ecrit par Eric FONTAN le 31 jan, 2011 dans la rubrique Traditions / Tradicioun | 0 commentaires
Nous allons nous pencher sur une des plus anciennes traditions de Nice et du Comté, je veux parler du Carnaval qui va débuter ses festivités dans quelques jours.
Cette fête traditionnelle Niçoise remonte à la nuit des temps et a toujours été un des moments forts de notre pays. Il faut remonter à Nikaïa, qui a présidé aux origines de notre ville sur la colline du Château, cité fondée par des Phocéens (ceux ci s’étaient séparés d’un colonie de marins venus de Phocée en Asie-Mineure pour bâtir une cité plus à l’Ouest qu’ils appelèrent Massalia) Phocéens qui avaient débarqué sur la grève de la plage de Carras. En ces temps là, les Grecs (comme plus tard les Romains) étaient des grands voyageurs et quand ils créaient des comptoirs hors de Grèce ou un Empire, ils importaient (mais …n’imposaient pas) dans leur nouveau lieu de vie leur culture et leur religion. Les cultures et religions antiques ne faisaient pas du prosélytisme leur philosophie.
Ce qui laisse à penser, que les Grecs qui ont fondé Nikaïa ont continué à mener le même mode de vie qu’ils avaient l’habitude de mener dans la Patrie Mère et ont également continué à pratiquer leur religion. Ils ont donc, importé sur le rocher qui surplombait l’anse Saint Lambert et sur lequel ils avaient fondé Nikaïa leur culture avec toutes les fêtes qu’ils avaient l’habitude de célébrer en Grèce.
Il était de coutume de célébrer la fin de l’hiver et l’arrivée des beaux jours par des jours de fêtes consacrées à Dyonisos, qui était le Dieu de la fertilité et de la fête. Dans la Grèce antique , pendant les « Dyonisiaques » il y avait une parade avec un char qui était suivi de danseurs et de chanteurs déguisés et masqués qui chantaient des chansons satyriques. C’est à cette époque de l’année qu’à la morosité hivernale succède la joie du renouveau de la nature, du printemps, du démarrage des plantations. Les manifestations de gens déguisés se déroulaient pour se déjouer de tous les mauvais esprits qui gardent la terre morte jusqu’à ce qu’elle soit incitée, par la « magie » des hommes, à produire à nouveau: que les graines germent, que les plantes poussent et que sortent les fleurs. La semaine de Carnaval est étroitement liée en Grèce à la fin de l’hiver et au début du printemps. le mot « Apôkria » (anopkià) que l’on peut traduire par « semaine de carnaval » désigne cette période de trois semaines qui précèdent le carême.
Plus tard, sous l’Empire Romain, ces fêtes étaient organisées en l’honneur de Bacchus (l’équivalent Romain de Dyonisos) et se nommaient les Lupercales et les Saturnales. Ces fêtes étaient une combinaison d’adoration des Dieux et de divertissements allant jusqu’au libertinage. Nous pouvons penser qu’à Céménelum (l’actuel Cimiez, quartier de Nice) qui était la capitale de la province Romaine des Alpes Maritimes, on célébrait ces fêtes que l’on avaient importées.
La tradition de ces fêtes s’est perpétuée jusqu’au Moyen -Age après qu’elles eussent été récupérées par le Catholicisme. D’ou deux interprétations sur l’origine du mot Carnaval. Pour l’église il s’agit d’un terme venant de Carne Levare (enlever la chair) qui marquerait le moment ou on mangerait le dernier bout de viande ( c’est à dire manger gras : de là vient le « mardi gras ») avant d’entrer dans la période de Carême pendant laquelle il convient de manger maigre. Une autre interprétation, plus ancienne, fait référence au « Char Naval », qui serait l’image de ces barques voiturées sur lesquelles Dyonisos, le Dieu venu de la mer, aurait pénétré dans les iles grecques. Cette tradition s’est perpétuée à Rome (avec Bacchus) qui sort de la mer sur son char en forme de navire pour épouser la femme de l’Archonte. Aujourd’hui, persiste ce rite à Venise avec les « Régates Historiques » où l’on voit des gondoles ornées de chevaux marins, de dragons et de Neptune. Ces régates sont véritablement les héritières des « Chars Navals » antiques.
De la même façon, la tradition du déguisement nous vient, en effet, de Rome ou le carnaval avait pour fonction de faire oublier les privations de l’hiver et fêter le retour du printemps. C’est la période d’inversion des rôles (maitre /esclave, homme/femme) sans aucun tabou. C’était l’occasion de régler des contentieux collectifs, des conflits sociaux, des luttes politiques. Une période ou l’on est tiraillé entre l’hiver et le printemps, le gras et le maigre, le riche et le pauvre.
Mardi-Gras qui clôt ces fêtes a une double signification: la première est de se préparer au jeune de printemps qu’est le carême (cette période de jeûne était associé chez nos anciens au grand nettoyage de printemps: on nettoie la maison et on nettoie l’organisme). Mais, une deuxième raison préside à ce Mardi-Gras: il fallait se débarrasser des dernières denrées périssables qui ne pouvaient être mangées pendant le carême et qui auraient été perdues.
L’église qui trouvait cette fête scandaleuse a bien essayé de l’interdire…en vain. Elle a alors tenté de la canaliser, en la finançant pour mieux contrôler son contenu, puis on s’appuya sur la bourgeoisie, toujours prête à collaborer pour qu’elle lui donnât une teinte plus acceptable (par des représentations dont le symbolisme se rapprochait de la religion). Cependant, il fut quand même difficile d’empêcher le défoulement du peuple.
Le Carnaval, en tant que fête organisée, apparait à Nice à la fin du XIII° siècle, lors d’une visite du Comte de Provence, Charles II d’Anjou. Ce sera, à peu près, à la même période, début du XIV° siècle, qu’apparaitront les mannequins géants dans le Nord de la France. Ce Carnaval va évoluer, avec, en plus des défilés et des mascarades, des batailles de confettis dans tous les quartiers, puis avec l’apparition de nouveaux personnages tel le Paillassou, qui est un mannequin bourré de paille et de son que l’on jetait en l’air et qui semble être l’héritier d’Hellequin, l’homme sauvage de la culture européenne, le conducteur des âmes des morts, qui sur son char emporté au galop dans le ciel pratique la chasse sauvage. On retrouve ce personnage dans plusieurs carnavals européens.
Le premier comité des fêtes est créé en 1873 et fera parler de lui 2 ans plus tard avec les débats enflammés qui font suite à l’affrontement entre les Char de Catarina Segurana et le char des Ratapignatas. C’est avec ce char de Jean Cuggia que l’on va orienter le carnaval vers les effets grotesques et la satyre sociale.
Il faudra attendre le 14 février 1882 (après l’annexion par la France du Comté de Nice) pour voir évoluer le carnaval vers une forme que nous lui connaissons aujourd’hui, quand Sa Majesté, Triboulet, Carnaval X fait une entrée majestueuse dans sa bonne ville de Nice sur le premier char royal que nous connaissons. cette tradition va perdurer jusqu’à nos jours. La tradition de se moquer de ceux qui dirigent la ville a longtemps persisté (jusqu’à Jacques Médecin: tout le monde se souvient de ces caricatures géantes affichées place Masséna) pour disparaitre ensuite sous les municipalités qui se sont succédées jusqu’à nos jours.
Malheureusement, de nos jours, Carnaval a évolué vers une forme de spectacle pour touristes bien policé ou le sens de la fête populaire et partagée fait défaut et ou l’esprit de la culture Nissarde a été gommé: au point de nous balancer de la musique techno quand on pourrait offrir de la musique Nissarde aux touristes qui seraient sûrement très intéressés de découvrir une culture différente de la leur. C’est en faisant évoluer le Carnaval vers le spectacle, tout cela pour des motivations purement mercantiles, que nos responsables (?) politiques on fait que l’on a une image totalement déformée de ce qu’est notre pays.
Heureusement, des groupes de résistance existent à Nice pour faire vivre le carnaval dans les quartiers:
il faut encourager ce type d’initiative afin que Carnaval retrouve sa fonction première…une grande fête qui marque le retour du Soleil, du jour sur la nuit, de la lumière sur les ténèbres et que ce soit un grand moment de défoulement et de liesse populaire partagée.
Nous vous conseillons la lecture du livre d’Annie Sidro, qui est le livre de référence sur le Carnaval de Nice et dont nous nous sommes inspiré pour certaines indications de cet article (voir en rubrique Bibliographie)