ENTRETIEN AVEC…Sylvain CASAGRANDE (Lu Rauba Capèu)

Lu Rauba Capeu fan balà la Countéa de Nissa

La culture Bretonne a une vitalité étonnante, particulièrement par ses « fest-noz » et ses « fest-dez » dans lesquels des milliers de jeunes Bretons viennent danser chaque semaine. Nous avons la chance dans le Comté de Nice d’avoir un groupe tel « Lu Rauba Capéu » qui fait danser de nombreux jeunes (et moins jeunes) Niçois tout au long de l’année.


 

Robert Marie MERCIER: Sylvain Casagrande, bonjour. je suis très content de pouvoir vous rencontrer pour parler de culture Nissarde et que vous me fassiez mieux connaître votre groupe « Lu Rauba Capeu« , ce groupe qui fait danser tout le Comté de Nice depuis quelques années déjà.

Sylvain CASAGRANDE: « Bouon jou, anen parlà frances couma co seraï maï facile per l’escriéure ».

RMM: Pouvez vous nous parler, d’abord, des membres du groupe et de leur histoire ?

SC: Alors, les membres du groupe: nous sommes quatre dans « Lu Rauba Capeu ». Il y a Jean Clerissi, « Jeannot », le batteur du groupe, celui sur qui s’appuie véritablement la rythmique de notre groupe…et la rythmique c’est important.   Jeannot a déjà joué dans un certain nombre de petites formations traditionnelles, pas forcément du Comté de Nice et il fait partie d’un groupe de fifres et tambours de Venanson, « Li Murès ». Dans le « civil » il est ingénieur en télécommunications. Ensuite, il y a Xavier Borriglione, qui lui aussi est, à la base, ingénieur en télécommunications (c’est par leur boulot qu’ils se sont connus): je disais à la base, car, Xavier a maintenant abandonné sa profession d’origine pour se consacrer à ses passions, les métiers du spectacle et la sophrologie. Pour ce qu’il est convenu d’appeler les « métiers du spectacle », il n’est pas que le fifre de « Lu Rauba Capeu », mais aussi le fifre de « Nux Vomica ».   Il gère et il joue dans une groupe de fifres et tambours de Lantosque, « Lou Mourtaïre ». Il a, au départ, une formation classique de haut niveau (grand prix de conservatoire) en flute traversière: il a ensuite bifurqué vers le fifre, instrument privilégié dans notre Comté. Il s’est intéressé aux musiques de transmissions orales, sans partitions. Et, il mène un spectacle de conteur moderne: un « one man show » humaniste et humoristique de la Vésubie. De nous tous, c’est celui qui a, le plus, la mentalité saltimbanque, artiste. Enfin, il y a les deux frères Casagrande, deux accordéonistes, mon frère Renaud et moi.

RMM: Anciennement, « L’as pagat lou capèu? »

SC: C’est plus complexe. Bon, reprenons au début. Nous avons commencé à jouer de l’accordéon diatonique au CEDAC de Cimiez. Au départ, ce fut assez informel: il s’agissait de se réunir pour jouer à deux ou trois pour des « baléti » et nous avons fondé l’association « L’as pagat lou capéu ? », association qui existe d’ailleurs toujours. Mais ce groupe ou nous avons été jusqu’à 6 a connu diverses vicissitudes (séparations, départs, etc.) Jusqu’au jour ou mon frère et moi nous nous sommes retrouvés seuls et nous nous sommes posé la question de savoir ce que l’on allait faire à l’avenir. On a cherché qui pourrait s’adjoindre à nous pour faire quelque chose de plus structuré et proposer un style tout à fait nouveau. C’est à ce moment là que nous avons rencontré Xavier qui nous a fait connaitre ensuite Jeannot. Mais, comment appeler ce nouveau groupe ? On avait un problème au niveau du nom parce qu’on voulait fonder quelque chose de nouveau et non pas reprendre « L’as pagat lou capéu ? » en y adjoignant deux nouveaux musiciens (Xavier et Jeannot)…non, ce n’étaient pas des pièces rapportées, mais bien, des membres à part entière d’un nouveau groupe. On a donc bien créé à quatre le nouveau groupe « Lu Rauba Capéu », groupe qui est géré par l’association déposée « L’as pagat lou capéu ? ».

RMM: on peut dire que vous jouez toujours du chapeau.

SC: Oui, cela faisait aussi la relation avec l’ancien groupe pour nous identifier et il est vrai que nous avons l’habitude de nous promener tous avec la « bacha » ou le « capéu ».

RMM: A quelle date peut on situer véritablement la naissance du groupe ?

SC: en fait, on peut dater précisément le démarrage du groupe à l’automne 2006. A cette époque on aurait pu partir sur un petit projet, mais, j’avais été contacté peu avant par « Lou Dalfin » des vallées occitanes du Piémont qui m’avaient dit: « il faudrait que vous veniez jouer à la fête de « Lou Dalfin » pour représenter l’autre partie du Comté de Nice et donc jouer de la musique Niçoise. »  Et, trois semaines avant cette fête, on s’est retrouvés chez Jean pour une répèt’ improvisée à la suite de laquelle on a décidé de participer à la fête Piémontaise et comme nous n’avions pas de nom, on s’est appelé, pour la circonstance, « l’as pagat lou baudou ? » Et notre première représentation a eu lieu fin octobre 2006. Ce fut l’acte de fondation. Mais comme on avait vu que çà marchait entre nous, on s’est dit: « ce serait bête de ne s’en tenir qu’à la fête de « Lou Dalfin » et de s’arrêter là. » Vu que lors de ce spectacle nous étions tous les quatre à fond dans le truc, on a décidé de pousser plus loin cette expérience. Et, ça fait maintenant quatre ans que « Lu Rauba Capéu » sont présents sur les scènes du pays.

RMM: Bon, une fois votre groupe constitué, il vous a sans doute fallu monter un répertoire. Et, est ce que l’aspect danse a fait immédiatement partie de l’identité du groupe ?

SC: Au niveau de la danse c’est autre chose. Pour ce qui est du répertoire, Renaud et moi, on naviguait dans le répertoire trad’, mais ce qui nous gênait c’est que ce répertoire traditionnel partait dans tout les sens et englobait tout et n’importe quoi. En fait, toutes les musiques des pays enracinés se retrouvaient dans ce répertoire et débordaient largement le cadre de notre culture. Et, nous trouvions que c’était nul et pas satisfaisant au niveau culturel. Et, comme Renaud avait déjà composé plusieurs morceaux  que l’on pouvaient, puisqu’écrite par un enfant du pays, considérer comme des musique d’ici, notre créneau était tout trouvé. En plus, Jeannot et Xavier amenaient, de leur côté, pleins d’airs de la Vésubie. C’était vraiment ce que nous voulions: jouer de la musique de chez nous. et quand on nous demande ce que l’on joue, je réponds de la musique du Comté de Nice et du Piémont. En fait, nous avons au répertoire des musiques traditionnelles du Comté que nous jouons de la manière la plus authentique, des airs anciens du pays que nous avons revisité d’une manière assez moderne et enfin des compositions de mon frère, Renaud.

RMM: Au niveau musical c’est donc Renaud qui compose.


SC: Oui, beaucoup de compositions sont créées par lui.

RMM: Si Renaud fait la musique, qui écrit les paroles ?

SC: Très peu pour moi? Je n’écris pas ou peu. Je ne me revendique pas poète du tout. J’ai écrit quelques textes et j’en ai en préparation pour le prochain album. Mais, au niveau des paroles, nous avons Xavier qui écrit. Et pour certaines chansons, nous avons traduit à plusieurs les paroles en Niçois.

RMM: Ceci nous semble important, car, si nous revendiquons notre répertoire musical traditionnel, il faut, pour qu’une culture vive au présent, que l’on sorte des nouveautés adaptées à l’air du temps.

SC: Oui, c’est vrai et c’est pourquoi nous sommes content d’avoir Xavier parmi nous car il n’est pas du tout dogmatique dans ce domaine et se permet d’écrire aussi bien en Nissart qu’en français. Moi, je m’y refuse, sans savoir pourquoi vraiment. mais, je pense qu’il a raison d’écrire aussi en français pour permettre à un plus large public de nous comprendre.

RMM: Je rejoins tout à fait ce point de vue. Car, il y a un nombre important de gens qui veulent défendre la « nouostra cultura » mais qui ne parlent pas la langue Niçoise (il faut dire que des générations entières ont été sacrifiés à la francisation à outrance) et si nous nous coupons de ces gens là par un intégrisme linguistique, nous nous privons de forces vives pour notre combat. D’ailleurs, je cite souvent cet exemple: si les Irlandais avaient attendu de tous parler Gaëlique pour faire leur révolution, ils seraient encore anglais.

SC: Oui c’est vrai que nous devons intégrer cet aspect des choses.

RMM: D’autant que nous sommes un pays, « lou Païs Nissart » qui a la particularité historique d’avoir eu plusieurs langues parlées sur son territoire ( Le Niçois- très différents d’une vallée à l’autre et différents du bord de mer à la montagne, le français amené par les Savoyards et l’Italien par les Piémontais…sans compter les apports Provençaux).

SC: Alors là, je peux vous dire, en tant que linguiste, car c’est mon domaine, que l’idée utopique d’une langue niçoise uniforme est battue en brèche par la réalité: il y a autant de dialecte local qu’il y a de villages et de vallées et il peut y avoir des différences significatives entre eux.

RMM: C’est vrai que c’est une caractéristique du Comté de Nice qui est et a toujours été , il faut le rappeler, un lieu de passage important. Cela dit, il faut être pragmatique et se fixer une ligne commune, dans la mesure ou toute nation qui se crée, adopte une langue commune (cela a été vrai pour l’Italie en 1861 qui a choisi le Florentin et aussi pour Israël qui a recréé un hébreu moderne assimilé en trois générations).

SC: C’est vrai, mais c’est un peu difficile. Pour en revenir à ce que vous me disiez tout à l’heure à propos de l’environnement de « Lu Rauba Capeu » qui se caractérise par la présence de danseurs à chaque représentation, il s’agit d’une histoire qui concerne plus spécifiquement Renaud et moi même. Cela remonte à l’époque de notre précédent groupe quand nous allions jouer dans un « pub », aujourd’hui disparu, à Nice: il y avait souvent une bande de copains qui aimaient ce que nous faisions, des jeunes qui venaient tâter leurs premières soirées avec de la bière, et qui trouvaient que c’était assez dansant. On leur a dit qu’il existait des danses sur ces musiques et cela les a intéressé d’apprendre ces danses plutôt que de continuer à sauter et crier sur les airs que nous jouions. On a décidé d’organiser une petite fête à la maison (mon frère avait l’habitude d’organiser des boums entre ados) et on leur a dit, il n’y aura que des danses. Il y avait au départ une dizaine de copains qui ont participé: certains n’ont pas été intéressés et ne sont pas revenus, mais d’autres ont accroché et on même fait venir des copains, et on a fini par se retrouver, lors de ces fêtes à la maison , avec une vingtaine de copains bien accroché qui dansaient tous. Et quand nous faisions des « balèti », ils nous suivaient. Puis, ils ont continué quand nous avons créé « Lu Rauba Capéu ». En fait, cela est très intéressant. Si les gens viennent au spectacle simplement pour nous écouter sans rien faire d’autre, ils écoutent et c’est tout, c’est passif. Si quand nous jouons, il y a un ou deux couples qui dansent, cela fera décalé et surprenant (mais pas dans le bon sens du terme). En revanche, si quand nous jouons, et ce, quel que soit le nombre de personnes présentes, il y a 10, 15 , 20 personnes qui se mettent à danser ensemble, cela a un effet d’entrainement et l’attention se porte sur ces gens. Et c’est cela que nous voulons: que le spectacle ne soit plus uniquement sur scène mais également dans le public, car il y a, alors, un véritable partage. Ce qu’on  veut c’est la fête.

RMM: Je vous rejoins totalement sur l’idée de partage, car ce type de danse est très convivial et amène le partage, totalement à l’inverse des danses modernes ou les gens se séparent et ne dansent pas ensemble mais à côté. 

SC: Oui, c’est vrai et cela m’amène à faire une constatation supplémentaire: dans notre public danseur, nous avons un gros gros trou dans les tranches d’âge entre 30 et 50 ans. Si vous allez dans une soirée, il va y avoir 45% du public qui a plus de 50 ans, 45% qui a moins de 30 ans et seulement 10% entre 30 et 50. Et, en général, c’est dans ces 10% que l’on trouve ceux qui font n’importe quoi et qui ne s’intègrent pas au groupe. Et la différence entre ces danses et les danses plus modernes, celles que l’on pratiquent en boites de nuit, si tant est que cela soit de la danse, en fait du « boulegage », on remue sur de la musique, il n’y rien de chorégraphié, est que nos danses se font en couple ou en groupe: on sent l’autre, on tient l’autre, c’est charnel…on ressent quelque chose de fort (et cela n’a rien à voir avec le fait de se plaire ou pas). Quant aux danses de groupe, si tu ne fais pas comme le groupe tu te fais jeter, le groupe te rejette: et ça c’est important car ça marque l’aspect communautaire. Et celui qui fait n’importe quoi, qui n’adhère pas aux valeurs du groupe il se fait rejeter rapidement et se retrouve seul. Il y a bien quelques danses (nous en faisons peu, à vrai dire) ou les partenaires ne se touchent pas et que l’on danse seul, mais, il y a alors une chorégraphie précise et tout le monde danse dans le même mouvement, tout le monde est pris dans ce mouvement. D’ailleurs, un phénomène intéressant: si des personnes qui ne savent pas vraiment danser vont en boite de nuit, elles vont passer sa soirée le cul sur une chaise à siroter dans leur coin. Si ces personnes se retrouvent dans une de nos soirées, il y en a une grande partie, une très grande partie qui se lève et ils vont danser car là, ça les intéresse plus de partager avec d’autres, sans être seul à remuer comme un con au milieu d’une piste: là, tu es pris dans un groupe, dans un mouvement et tu as envie de faire partie de ce groupe. je peux vous dire que ce qui m’éclate c’est d’aller à la « festa dou Delfin » dans le Piémont, car là bas il n’y a pas 20 ou 30 personnes qui dansent ensemble, ce sont 2000 personnes qui font ensemble la même chose, le même mouvement: vous voyez, ces gens, vous ne les connaissez pas, vous ne savez pas qui ils sont, mais vous avez l’impression que ce sont vos frères. En fait, pour conclure sur ce chapitre: il n’y a pas de communauté humaine à l’état naturel qui n’ait pas de danse. Depuis la nuit des temps, les tribus de nos ancêtres avaient un  rituel humain que l’on peut apparenter à la danse.

RMM: Je vous rejoins totalement, à tel point que les animateurs d’aujourd’hui que ce soit en boite ou à la télé, ne disent plus dansez et applaudissez, mais bougez et faites du bruit. Une petite remarque: on s’aperçoit que ce besoin de s’exprimer par le mouvement pour exprimer sa culture par le biais de la danse ou de la musique est un besoin fondamental des peuples. A tel point que, de nos jours, dans cette société atomisée et destructurée, on voit les individus éprouver le besoin de s’exprimer par des « flash-mob », ces chorégraphies qui paraissent spontanées et qui sont un moyen de s’exprimer ensemble. Et, j’ajouterai qu’on ne peut faire n’importe quoi: dans la danse, comme dans la langue ou la musique, on ne peut faire n’importe quoi, il y a des codifications, codifications qui sont des marqueurs d’une culture.

SC: Oui, pas plus que je ne crois à  un aspect artificiel de la danse. Dès qu’un être humain est en groupe, on s’aperçoit que la danse est un phénomène naturel: par exemple, lorsque vous êtes en présence de « tout petits » et que vous mettez de la musique, et bien, ces « tout petits » se mettent à danser. Et, il est dommage que de nos jours, on méprise ce moyen de communication, voire on le déstructure jusqu’à en faire n’importe quoi. Et, ce que la société moderne appelle danse et qui n’est souvent qu’une gesticulation (les danses de boites de nuit), qui, de plus, isole le danseur puisqu’elle se pratique seul entraîne un autre phénomène: le fait que l’on se sente jugé dès que l’on danse seul au milieu de la piste et cela est totalement inhibiteur…et ce phénomène est très majoritairement masculin. Si on ne se sent pas à l’aise sur tel rythme et que l’on ne sait pas quoi faire en bougeant tout seul devant les autres, très rapidement on est coincé et cela fait que beaucoup de mec’ te disent: « moi, je ne danserai jamais, c’est pas mon truc ». les filles sont moins coincée de ce point de vue là.

RMM: Oui, c’est très vrai et l’exemple que vous donniez des enfants qui se mettaient à danser en entendant de la musique le confirme: l’enfant en bas âge n’a pas encore toutes ces inhibitions.

SC: Tout à fait, alors que lorsqu’on en vient à nos danses qui se pratiquent à plusieurs (au moins deux), vous ne sentez pas ce jugement, parce que la personne qui danse cent fois mieux que vous, ne vous juge pas mais, au contraire, vous montre les pas de la danse et vous guide. Le bon danseur ne vous diras pas: « mais qu’est ce que tu fais là ». Au contraire, il viendra vous montrer les pas et vous aider. Vous ne verrez jamais dans une boite quelqu’un venir au secours de celui qui est gauche et ne sait pas remuer…et pour cause, dans ce genre de « musique », il n’y a rien à montrer.


RMM: C’est vrai que dans les gesticulations de la « techno » ou du « hiphop » tout est déstructuré et il n’y a pas de mouvements chorégraphiés. Mais, pour revenir, à ce besoin de danser que l’on éprouve (comme lorsqu’on était enfant) en vous écoutant « Lu Rauba Capéu », il y a cette envie de créer qui est à la base de la danse. La Danse est une forme de création ?

SC: Bien sûr, et c’est pourquoi c’est une œuvre commune et que celui qui sait vient transmettre son savoir à celui qui ne sait pas. Tandis que dans les « danses » modernes, il n’y a pas de transmission d’un savoir, la seule chose que l’on peut te dire c’est: « vas y, lâche toi! » Mais, je n’ai pas envie de me lâcher sur cette musique, si c’est pour sauter pendant deux heures, je le fais 5 minutes puis au bout d’un moment ça me gonfle. En fait, la danse, comme nous l’entendons, se codifie, c’est comme la langue, c’est un identificateur d’un groupe humain. La danse va servir à différencier les groupes humains et les cultures: la danse est un phénomène ethnique fondamental.

RMM: Mais, les idéologies humaines, tout au moins les idéologies dominantes, nous disent que la danse est un pas vers l’universalisme et la compréhensions des hommes.

SC: Attention, la danse est exactement l’inverse de ceci. Je ne crois pas à cet universalisme consensuel que l’on nous sert, je ne crois pas aux discours sur l’égalité absolue de tous les hommes. Nous sommes tous égaux en droit bien sûr et je suis pour l’égalité des chances, mais l’égalité absolue est un leurre. Et, je pense que l’être humain ne peut se définir qu’au sein d’un groupe et se définit surtout par ce qu’il n’est pas. Je ne vois pas pourquoi, on ne pourrait pas dire, je suis comme cela et avant tout je ne suis pas comme toi: il n’y a pas de jugement de valeur dans cela, mais un simple constat.

RMM: Je pense aussi que toutes les théories bâties sur les droits de l’Homme , partent d’un axiome de départ qui est faux…elles se basent sur un concept, l’Homme, abstrait, sorti de son contexte culturel, qui n’existe pas. L’être humain ne peut se définir que comme partie prenante d’un groupe culturellement homogène.

SC: Tout à fait, mais ce que je dis, n’engage que moi, Sylvain Casagrande, et je ne prétend pas engager, par mes paroles, le groupe « Lu Rauba Capeu ». Je ne crois pas à l’universalisme même si je reconnais qu’il y a des universaux communs  à l’espèce humaine, c’est évident.

RMM: Il y a une phrase qui résume tout cela, que l’on attribue à René Cassin et qui me revient: « c’est parce que l’on est d’une culture que l’on tend à l’Universel ». Vous êtes d’accord ?

SC:Je dirai même que ce qu’il y a d’universel chez l’être humain c’est de dire « moi je suis comme mon voisin mais je ne suis pas comme l’autre, en face ». Etre universel, c’est être différent.

RMM: C’est donc être dans l’affirmation d’une culture. Et en étant dans l’affirmation de ma culture, je mets en perspective toutes les autre cultures. Toutes ces cultures  bien menacées par le système mondialiste marchand qui veut niveler celles ci pour que le marché se développe. En défendant ma culture, je défends toutes les autres cultures. Que le monde serait triste si partout ou nous allons, les gens vivaient de la même façon.

SC: C’est d’ailleurs pour cela que je voyage peu et surtout je ne veux pas voyager si c’est pour ne pas rencontrer les populations d’une autre culture.

RMM: Bon, après cette parenthèse, revenons à la danse

SC: Pour la danse, je crois que j’ai tout dit.

RMM: Non, je ne pense pas que vous ayez tout dit. Vous nous avez parlé d’un petit groupe de copains qui venaient danser au début, mais ce groupe s’est il agrandi, sont ce toujours les mêmes qui vous suivent , C’est intéressant de connaitre l’évolution de celui-ci.

SC: Oui, c’est vrai qu’au départ, il y avait un groupe de copains, mais, rapidement ceux ci sont devenus presque partie prenante du groupe et se sont mis à le suivre. Ce sont des gens qui aiment danser, qui aiment se retrouver entre copains, c’est presque devenu un sport pour eux.  Et, comme beaucoup de concert sont organisés par des collectivités et qu’ils sont gratuits, cela facilite ces rencontres dansantes. D’un autre côté, c’est vrai, il y a le danger que comme c’est gratuit, comme il y a du tout venant qui vient, cela puisse devenir un grand n’importe quoi. Mais, je dois dire que nous n’avons jamais eu d’incidents dans nos concerts. Je pense que le phénomène du groupe doit jouer: celui qui vient avec l’intention de foutre le « bordel » au concert, et bien, finalement, il se retrouve isolé dans son coin à siroter et au bout d’un moment, il se casse. A ce sujet, je voudrais ajouter un truc, c’est qu’il est impossible de se bourrer la gueule et de danser. A priori, les gens qui nous suivent et qui dansent sont un public sain. Ils s’éclatent en dansant et c’est pour cela qu’ils ne se démontent pas la gueule au bar. Et puis, ce qui est bien, c’est que chacun vient avec sa personnalité, sa façon de s’habiller…


RMM: à ce propos, j’étais présent à votre concert de la « San Bertoumiéu » sur la place Garibaldi et les réflexions que j’ai entendues autour de moi, réflexions venants souvent de touristes ou de gens d’ailleurs allaient dans ce sens. Au début, ils pensaient (en le disant tout haut) que c’était une manifestation folklorique…puis, voyant les danseurs, ils s’étonnaient de leur tenues bien dans l’air du temps pour finir par dire à leur voisin: « non, ce sont des jeunes d’ici qui s’amusent avec des danses d’ici ». En fait, ils se rendaient compte que cela faisait partie de la vie de ces jeunes gens, qu’ils ne faisaient qu’exprimer leur culture, que cette culture était vivante.

SC: Alors, là, ce que vous venez de dire me fait vachement plaisir. Je rêvais d’entendre ça un jour, mais jamais je ne l’avais entendu. Ce que vous me rapportez est primordial pour moi, pour nous. Je savais, ou tout au moins je pressentais que cela se passait comme cela, mais on ne me l’avais jamais dit. Et, d’entendre ça, c’est une sacré récompense pour nous et ce que nous faisons. C’est bien que ceux qui nous regardent se rendent compte que ce ne sont pas nos danseurs mais des gens du public qui dansent et qui invitent d’autres personnes à danser.

RMM: Oui, mais il y a quand même un noyau confirmé qui vous suit.

SC: C’est vrai qu’il y a des amis assez proches qui nous suivent et qui nous suivent pour pouvoir danser car leur plaisir est dans la danse. Mais ce groupe de danseur est complètement à géométrie variable. Et il n’y a jamais le même nombre d’un concert à l’autre. D’ailleurs, en début de saison d’été il y avait peu de danseurs et en fin de saison, il y avait presque plus de danseurs que de public. En fait, nous avons une liste de contacts à qui nous envoyons régulièrement la liste de nos concerts et ils font comme ils peuvent ensuite. Chez certains c’est une priorité de venir aux concerts et nous les en remercions vraiment car c’est super important pour nous d’être soutenus par ces danseurs. il y a quand même un bon noyau composé d’une bonne vingtaine ou trentaine de personnes, ce qui fait que vous avez toujours un petit groupe de 10 à 12 personnes présentes pour danser à chacun des concerts. Même si la liste que nous avons comporte à peu près 150 personnes qui gravitent autour de nous.


RMM: mais je me suis laissé dire que, pour entretenir tout cela, il y avait des réunions à Aspremont le dimanche soir.

SC:Oui, mais ce ne sont pas des réunions, ce sont plutôt des sessions niçoises, je préfère appeler ça soirées niçoises. En fait, cela se passe dans le bar et il n’y a pas d’organisation: ce sont des gens qui veulent se retrouver le troisième samedi du mois pour faire de la musique ensemble à partir de 17 heures. Nous ne sommes pas aidé par la mairie qui aimerait plutôt que cela s’arrête, mais bon… Au départ, il s’agissait de chanter, mais aussi pour jouer de la musique. Puis, nous avons dérivé sur un balèti. On vient et on paie sa conso’, et c’est tout. Si on a un instrument, on l’amène. En fait, c’est un gros bœuf.

RMM: Et les projets, Sylvain ?

SC: Oh, les projets. Et bien on a quelques propositions de dates à venir après la saison d’été qui a été très dense. Nous avons beaucoup joué: un gros été. Nous avons l’intention de nous investir avec « Nissart per tougiou » dans leur nouveau local, en créant des cours de danse, vraisemblablement à partir de Janvier. Nous souhaiterions faire deux niveaux: débutants et confirmés avec un périodicité de l’ordre de deux fois par mois sans doute. Nous voudrions par ce biais approfondir la technique de ces danses que nous ne dansons sans doute pas parfaitement à l’heure actuelle. Cela, toujours dans le but de sauvegarder un patrimoine. Notre vision est là aussi éminemment culturelle:  « Savoir pour transmettre ».

Ensuite, au niveau musical, nous sommes tellement sollicités que nous allons nous lancer dans la création d’un nouveau CD. Nous avons d’ailleurs très bien vendu notre premier CD. La diffusion par la FNAC a été un bon vecteur mais nous avons vendu beaucoup lors de nos concerts. Avec ce deuxième CD, nous allons encore élargir notre répertoire et cela est une bonne chose.

RMM: Bon, avant de terminer cet entretien, une question: comment s’est passée la conférence que vous avez donnée à l’occasion des journées du Patrimoine?

SC: La conférence, bien, mais un énorme coup de stress juste avant car il a fallu courir pour trouver un convertisseur et je dis merci à mon frère qui s’est décarcassé pour en trouver un. Autrement la conférence a été un franc succès (conférence que j’ai présentée mais que nous avions préparée ensemble avec Xavier Borriglione, je dois préciser) Le seul problème fut au niveau de l’organisation: une demi-heure de retard (pas terrible pour le public qui attend), la Ciamada Nissarda qui joue sous les fenêtres (au niveau acoustique, à revoir) et enfin , le discours d’Estrosi qui est programmé dans la salle des pas perdus pendant la conférence (avec l’huissier qui vient te demander de parler un peu moins fort dans le micro)… c’est  vraiment gonflant, parce que , vu qu’il n’y avait que deux  conférences de prévues, elles auraient pu être décalées à un autre moment afin que les deux interventions ne se chevauchent pas. Autrement, à part ces petits soucis d’organisation, la conférence s’est très bien passée et les gens sont venus me voir à la fin pour me dire leur satisfaction.

RMM: Bien, Sylvain, je crois que nous avons fait un tour complet de la piste de danse avec « Lu Rauba Capéu » et je vous remercie pour tout nos lecteurs.


SC: C’est moi qui vous remercie pour tout les membres du groupe de nous avoir ouvert les portes du site « Racines du Pays Niçois ». Aco m’a  fach ben plesi.

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