La Symbolique de la « Ratapignata » dans la culture Nissarde…

Un animal bien particulier dans l’iconographie du Comté de Nice.

 

L’Aigle rouge qui se trouve sur le blanc drapeau Niçois est connu de tous, même en dehors du Comté de Nice. Il est omniprésent dans nos cœurs, il le fut dans notre ville avant que des politiciens modernes, pour qui l’enracinement ne représente rien, ne lui réserve que la portion congrue. Cependant, cet aigle  est un symbole de rassemblement autour de l’identité Nissarde, comme le sont Catarina Segurana où Giuseppe Garibaldi.

Mais, il est un autre symbole, présent dans l’esprit de tous, à Nice, qui n’a pas franchi les mers et le Var: il s’agit de la chauve-souris, petit animal que l’on appelle Ratapignata (ou Ratapinhata) à Nice et dans le Comté.  Il fait partie intégrante de l’histoire de notre pays…au même titre que les symboles cités précédemment. Mais que signifie cette ratapignata pour le peuple nissart ? que représente cette ratapignata dans l’histoire de notre Comté ?  Quelle est la symbolique qui se cache derrière ce petit animal ?


Ce que nous pouvons remarquer c’est que la ratapignata est avant tout un symbole de résistance et peut donc, à cet égard être associé à Catarina Segurana…alors que l’Aigle est un symbole de puissance, de souveraineté et de valeurs guerrières qui pourrait être associé, lui, à Giuseppe Garibaldi pour tout les combats qu’il a mené hors de Nice. De la même façon, Garibaldi a souvent côtoyé, dans leurs palais,(…on ne peut dire fréquenté)  les puissants de son époque (qui ont, d’ailleurs, été plutôt ingrats avec lui), puissants auquel l’aigle est un symbole souvent associé.  Alors, que Catarina est une fille du peuple, une bugadière (1) qui connaissait plutôt les ruelles sombres de la vieille Ville à l’image des recoins sombres ou nichent les Ratapignata (2).  Pour l’un le combat en pleine lumière, pour l’autre la résistance dans l’ombre. Il n’est pas anodin que ceux qui voulurent, tel Janlùc Sauvaigo, se positionner dans une attitude de résistance au rouleau compresseur français pour faire renaître notre culture nissarde ait choisi comme emblème la ratapignata (3).

Faisons un peu d’histoire…et reportons nous en 1875 au moment du Carnaval. A cette époque, eut lieu un combat digne de celui que provoqua la sortie d’Hernani de Victor Hugo, à propos de deux chars qui avaient été confectionnés cette année là. Il faut savoir que, chaque année, un jury se réunissait (cela se continue de nos jours) sous la direction du Président du comité des fêtes de l’époque, pour attribuer les différents prix aux Chars et autres groupes. Le prix le plus prestigieux était celui attribué au char classé premier prix du comité des fêtes. Et, cette année là, le premier prix alla au char de Catarina Segurana et le second au char des Ratapignata. Ce fut un  tollé sans précédent, à l’occasion de cette remise des prix, parce que le char des Ratapignata l’emportait largement, d’un  point de vue artistique, sur celui de Catherine Ségurane.  Mais le verdict fut politique avant tout, le Comité des fêtes étant présidé par le Comte Caravadossi d’Aspremont et le maire de Nice étant Auguste Raynaud, les deux étant  plutôt favorables à prendre leurs distances avec la France.

Drapeau de la Countéa de Nissa

Il faut savoir que, après l’annexion du Comté de Nice par la France dans des conditions illégales en 1860, suite au désastre militaire de Sedan qui sonna le glas de l’Empire et l’exil de « Nabot-Léon » III, il y eut des  élections remportées par les séparatistes niçois en 1871,dont le résultat leur fut confisqué par la France républicaine qui ne voulait surtout pas lâcher sa proie niçoise. Il y eut une répression féroce du mouvement séparatiste à Nice dans les années qui suivirent la fin de l’Empire.  Ajoutez à cela, l’inquiétude des Niçois devant l’incertitude de l’avenir politique en France et dans le Comté, tout ceci augmenté des rancœurs accumulées devant l’attitude méprisante des fonctionnaires français vis à vis de la population niçoise (4) et des décisions prises par la France que l’on ressentit ici comme une insulte faite à notre pays: le port de Nice sacrifié aux intérêts de celui de Marseille, la Cour d’appel supprimée ainsi que l’Université. Cela faisait beaucoup en même temps.

Il ne faut donc pas s’étonner que les Niçois manifestassent leur mécontentement envers la France par les seuls moyens qui leur restaient. Et, c’est pourquoi, le char de Catherine Ségurane, qui avait été construit dans le Vieux Nice sur la rive gauche du paillon, se voulait la manifestation d’une expression de défiance envers la France par le peuple de Nissa, favorable au séparatisme. Dans le même temps, le char des Ratapignata, fut lui construit sur la rive droite du Paillon, dans la ville nouvelle, ou résidait une certaine bourgeoisie favorable aux affaires et à la France. De là, pour certains commentateurs de l’époque voire certains historiens plus tard, affirmer que le char de Catarina Segurana était celui des séparatistes Nissart et le char des Ratapignata celui des pro-français était une manière de voir les choses de façon simpliste et partiale. C’est vrai que la rive gauche du Paillon était plus radicale que la rive droite: mais si le symbole de Catherine Ségurane signifiait bien un rejet de la France, comme en 1543, année ou s’illustra notre héroïne, le symbole des Ratapinhata ne signifiait aucunement une soumission à la France. Les « Ratapignata », aux ailes déployées comme l’Aigle de la Ville de Nice, représentaient bien les Niçois qui se réappropriaient leur château: c’était une manière, pour les peuple Niçois, de dire à ceux qui s’étaient approprié le pouvoir et le patrimoine, qu’ils voulaient, à présent, être partie prenante dans la gestion de leur ville. C’est donc faire un raccourci pour le moins orienté que d’assimiler le peuple de la rive droite à des pro-français: les révisionnistes étaient déjà à l’œuvre.

lou drapéu Nissart

Alors, que représente cette Ratapignata noire dans l’inconscient collectif des Niçois ? Faut il l’opposer à l’Aigle rouge ? N’est elle pas, comme dans toutes les mythologie européenne, la représentation, sous une autre forme,  d’un même symbole identitaire ?

N’est ce pas l’expression locale des forces antagonistes qui régentent le cosmos ?

Voyons cela de plus près.

Un aigle rouge qui représente la puissance, qui symbolise la lumière, le jour, le ciel, le principe masculin, le courage face au soleil, les états de spiritualité élevée.

Une ratapignata noire qui représente la résistance, qui symbolise les ténèbres, la nuit, la terre, le principe féminin, la perspicacité dans l’ombre, les forces occultes de l’obscurité.

Nous pourrions ajouter, en élargissant les comparaisons à tout les principes de vie commun aux religions primitives l’aigle représente le plus et la ratapignata le moins, c’est à dire le Yang et le Yin.

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Ces deux figures sont indispensable pour un équilibre harmonieux de la société Nissarde. Ils sont  complémentaires de façon fusionnelle jusqu’à se confondre d’une certaine manière.

Si nous y regardons de plus près, il semble que l’Aigle rouge est avant tout l’emblème de la Ville autour de laquelle se constitue le Comté de Nice: n’oublions pas que Nice a de tout temps été une ville d’Empire. les aigles romaines étaient déjà présente sur notre territoire quand Céménelum était la capitale de la Province des Alpes Maritimes sous l’Empire Romain. Nous avons ensuite fait partie de l’Empire de Charlemagne, de l’Empire de Charles Quint, du Saint Empire Romain Germanique et nous pourrions ajouter que dans des temps reculés, les armes de la Savoie furent un  aigle noir sur fond jaune. La permanence de l’Aigle dans l’histoire de la Ville de Nice est incontestable. Mais, si nous y regardons de plus près, notre chauve souris, notre Ratapignata est vraiment différente de toutes les représentations que l’on a l’habitude de voir: la notre a les ailes complètement déployées comme son alter-ego, l’aigle de Nice. Et, si le fait que inconsciemment, le char des ratapignata avait été construit sur la rive droite du Paillon, non pas pour être du côté de la France mais plutôt parce qu’elle se situait du côté de nos vallées. Nice avec l’Aigle représentait la puissance, les Vallées avec la Ratapignata représentait la résistance: c’est bien dans nos vallées et nos montagnes que se développa le phénomène de résistance populaire des Barbets. Nice en pleine lumière et nos vallées à l’ombre de nos montagnes. Cela me semble une explication beaucoup plus réaliste de l’esprit qui a toujours régné dans « la Countéa de Nissa ». Et, ce n’est pas pour rien, qu’un des symboles fort, autour duquel l’union du peuple Nissart se fait encore aujourd’hui est notre bon vieux « Gym » dont les couleurs sont justement Rouge et Noir: l’Aigle Rouge et la Ratapignata Noire associés dans la lutte. En fait, si nous voulions avoir un drapeau représentatif du pays Niçois, lou nostre Païs Nissart, la Countéa de Nissa un drapeau qui rassemble dans un bel équilibre et un respect mutuel la Ville de Nice et les vallées de la Countéa, il  faudrait associer sur celui-ci l’Aigle et la Ratapignata…la Puissance et la Résistance.                                                                                    Nissa e Countéa ensen e sòmou !

 

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Emblèma dou Païs Nissart


(1) En France, on dirait lavandière. En langue Nissarde, la lessive se dit » la bugada »

(2) Un lieu à voir, qui a un rapport avec la ratapignata se trouve sur la commune de Falicon, au pied du mont Chauve: il s’agit de la« Grotte des Ratapignata », parce que l’entrée de la grotte (vue de l’intérieur) a la forme d’une chauve souris. Les seules habitantes de ces lieux étaient les …Ratapignata.

(3) Janlùc Sauvaigo, pour relancer la langue et la culture Niçoise avait édité une BD:« La Ratapihnata Nova » dans les années 70/80. Il rendait, ainsi hommage à Menica Rondelly et à Jouan Nicola qui avaient été les chevilles ouvrières du périodique Nissart, créé au début du XX° siècle et qui s’arrêtera en 1937.

(4) Les fonctionnaires mis en place par la France avaient une attitude distante et méprisante envers la population Niçoise…et l’écrivaient parfois (on a retrouvé des écrits pour le moins insultants de la part des occupants à l’encontre des indigènes du pays occupé): …les Niçois sont sales, paresseux…ce sont de petits êtres noir,  fourbes et vicieux…etc.

 

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