ENTRETIEN AVEC…Jean François MARRO (Nissart per tougiou)

Voici un nouvel entretien avec

Jean François MARRO,

Président de l’association

« Nissart per tougiou »

Une association qui vit

la culture Nissarde

au quotidien…


Robert Marie MERCIER: Jean François MARRO, bonjour. Merci de nous accueillir pour parler d’une association qui vous tient à cœur « Nissart per tougiou« .

Jean François MARRO: Bonjour et merci à vous de vous intéresser à ce que nous faisons.

RMM: Vous êtes le président de « Nissart per tougiou ». Pouvez vous nous dire comment est née cette association, quelles ont été les motivations premières qui ont présidé à la naissance de ce groupe totalement intégré à la culture locale à présent, dans quelles circonstances  vous vous êtes lancé ?

JFM: Si nous partons d’un constat historique, nous étions dans une période (sans prendre aucunement parti) post-médeciniste quand nous nous sommes réunis à quatre en 1997. Il y avait un vide culturel et oppositionnel, et nous avons pensé qu’il était temps que les Niçois s’unissent pour sauver leur culture et leur patrimoine. Il faut reconnaître que nous sortions d’une période pendant laquelle le Maire de Nice, comme beaucoup de ses prédécesseurs, était le tenant de la culture Nissarde qu’il avait chevillée au corps ( comme son opposition d’ailleurs). Il avait ses partisans et ses adversaires mais nul ne pouvait lui contester le fait qu’il était le Seigneur de Nice, le Consul de Nice comme il était coutume de dire. D’ailleurs Nice a toujours été partagé entre deux partis opposés qui ne se ménageaient pas mais qui ne remettaient jamais en question notre appartenance à cette culture Nissarde. Donc, il y avait des associations plutôt centrées sur le passé, peu active et qui n’attiraient pas vraiment les jeunes. Moi même, je ne parlais pas correctement le Nissart, comme beaucoup de jeunes,  j’étais en train de me franciser de plus en plus, et, après être entré dans une association qui ne m’a jamais vraiment intégré, puis qui a versé dans la politique avant d’exploser, j’ai ressenti, avec quelques amis (nous étions quatre et pas un de plus) le besoin de créer une structure pour que les jeunes se réapproprient leur culture et, de prime abord, leur langue. Nous avons donc, avec ces amis qui avaient la fibre niçoise, créé cette structure à Borgo San Dalmasso parce que ce lieu avait une valeur symbolique pour moi: mes ancêtres étaient d ‘origine piémontaise et j’ai toujours  eu cette fidélité en moi, car, il ne faut pas l’oublier, nous avons quelques siècles de vie commune avec le Piémont (et beaucoup de Niçois sont d ‘origine piémontaise). En plus, en revendiquant cette filiation piémontaise, nous nous opposions clairement à ce jacobinisme français qui nous avait fait (et continuait à nous faire) tant de mal.

RMM: Nous vous rejoignons dans votre analyse, en ce sens, que Jacques Médecin était un peu l’arbre qui cachait la forêt, dans la mesure ou, pour nombre de Niçois, il représentait la culture du Comté au quotidien tandis qu’autour il n’y avait que des associations historiques et folkloriques, donc plutôt versées vers le passé, mais pas de groupe actif dans le présent. Cela dit, il faut remercier ces associations historiques ou folkloriques, car si elles n’avaient pas été là, je pense qu’aujourd’hui plus personne ne parlerait Nissart, plus personne ne s’intéresserait à la culture Nissarde, en un mot, il n’y aurait plus de Nissart. Donc, votre démarche était de faire vivre cette culture dans le temps présent.

JFM: Oui, nous avions besoin d’un outil pour faire vivre cette culture dans notre siècle et éviter qu’elle ne se perde, mais aussi pour nous qui étions en manque de notre patrimoine culturel. Nous ne savions plus qui nous étions, nous ne connaissions pas notre histoire, dans la mesure ou l’école de la république ne nous l’apprenait pas, nous employions des mots que l’on croyait français alors que ce n’était que des mots Nissart francisés, bref, nous étions dans un manque d’identité total. J’ai eu la chance d’avoir un père qui m’a fait prendre le « Niçois » au bac et mon premier contact avec cette langue fut Monsieur Gasiglia (qui travaillait  au Sourgentin). Et c’est parce que nous avions ressenti ce manque que nous nous sommes aperçu que nous n’étions pas les seuls dans ce pays et que nous avons décidé de nous investir dans cette tâche: beaucoup de gens comme nous étaient perdus et ne savaient que faire. Alors, comme il faut toujours une locomotive pour engager une action, nous nous sommes lancés en rencontrant des gens autour de nous, en allant systématiquement dans toutes les fêtes du Pays, en nous faisant conseiller par de plus anciens que nous. Ce qui est drôle, aujourd’hui, c’est que nous voyons à notre tour, des jeunes venir vers nous pour demander des conseils, savoir comment nous avions fait pour démarrer. Cela nous permet de constater qu’après treize années (quand même), nous avons vieilli, nous nous sommes développés et que de nos jours, il y a beaucoup de jeunes « d’aqui » en recherche de leurs racines. Depuis nos débuts, nous avons choisi clairement l’action culturelle, en évitant de tomber dans le piège de la politique politicienne, dans la mesure ou la politique locale était (et est de plus en plus) basée sur les stratégies des formations politiques françaises, donc ne présentait, pour nous, aucun intérêt . Notre action dans le domaine culturel s’est axée rapidement sur la langue, car nous considérons que la langue est le vecteur principal d’une culture. Cela dit, nous ne voulions pas nous limiter à ce seul aspect de la culture comme d’autres la limitent à la production artistique: il y a un peuple  vivant sur un territoire  qui parle une langue, cuisine d’une façon, chante à sa manière, s’habille dans un certain style, décore sa maison comme on ne le fait pas ailleurs. Voilà, la culture d’un peuple c’est tout cela , une grande partie de son Patrimoine, ce patrimoine constitué d’un patrimoine spirituel (la culture de ce peuple, sa façon de vivre) et d’un patrimoine matériel (les créations, les réalisations concrètes  de ce peuple). C’est ainsi que l’on s’aperçoit que la tâche est immense car la culture Niçoise s’est développée depuis des siècles et on voit que nous devons intervenir dans tout les domaines. Il faut intervenir partout, car on a massacré notre langue, mais on a massacré l’architecture de notre pays, on a massacré notre environnement, on a massacré l’éducation des enfants de chez nous, notre agriculture et toutes les composantes qui faisaient l’équilibre de notre société.

RMM: Hélas, ici, nous n’avons pas fait de l’écologie à la Corse, une écologie certes radicale afin de  préserver le littoral !

JFM: C’est vrai, mais en même temps, on s’est rendu compte que nous étions aussi fautifs. Car, quand les anciens disaient que c’était folie de vendre la terre, dans le même temps, ils vendaient tous leurs terres. En plus, dans les structures existantes (Ecoles, Université…) on ne se sent pas particulièrement dans une structure particulière au Pays. Alors qu’en Corse, par exemple, à l’Université on se sent dans une université corse, ici, on se sent dans une université comme il en existe des tas ailleurs dans l’hexagone. Quand j’allais à l’université à Nice, j’avais l’impression d’être exilé. Ce qui a contribué à accentuer ce manque d’âme.

RMM:Il est vrai que nous avons, dans le pays Niçois, un retard certain par rapport aux Corses ou aux Bretons, par exemple. Ceci dit, eux sont occupés par la France depuis plus longtemps que notre pays.

JFM: Et puis, il faut dire que l’annexion par la France nous a privé d’un coup de ce phénomène d’insularité dont nous bénéficiions alors, puisque nous étions libre par rapport à cet état français et que l’Italie n’existait pas. Nous vivions dans une bulle, un état bilingue voire trilingue, car en dehors du Nissart, il y avait deux langues parlées chez nous, le français, conséquence de notre lien avec la Savoie et l’italien du fait que nous étions liés au Piémont. Nous avions une vie culturelle, artistique importante. Nous avions conservé, jusqu’au XIX° siècle nos libertés et notre autonomie: université, cour d’appel, dirigeants politiques locaux, sénat… Tout ce que la France nous a  enlevé à l’occasion de l’annexion. Nous avons perdu beaucoup de notre patrimoine et de nos libertés et, en retour, certains nous disent que l’on a gagné bien d’autres choses. Ils mettent en avant la voie ferrée: mais de toute les façons, nous aurions eu cette voie ferrée tôt ou tard et, en plus, elle n’a pas été construite pour les Niçois  , mais bien pour amener les troupes françaises de l’autre côté des Alpes (elle servira ensuite à la colonisation active de notre pays, dont le nombre d’habitants, la plupart venant de France, a explosé).

RMM: Si je puis me permettre, Jean François MARRO, nous avons, aussi, eu la malchance d’être annexé par le seul état en Europe qui avait une configuration hyper centralisée et ou le pouvoir était délocalisé dans la capitale de cet état.  Nous pouvons voir qu’en Europe, la majorité des Etats ont des structures fédérales ou très décentralisées et que seule la France a cette structure « jacobine ». La culture du pays qui allait nous administrer après 1860 était fondamentalement basée sur une assimilation totalitaire avec la volonté de détruire les cultures particulières des territoires conquis. Cela s’est traduit d’ailleurs avec la volonté délibéré de phagocyter ces nouveaux territoires dans d’autres ensemble différents.

JFM: Oui, il ya une volonté de détruire les Patries Charnelles et, à ce sujet, nous sommes encore aujourd’hui, inclus dans une région majoritairement Provençale. Une des premières de nos revendications est de quitter cette région informelle pour intégrer une région dont Nice serait la capitale régionale, ce qui est sa vocation. En plus, nous avons une particularité, ici, c’est que, du fait de l’apport énorme de populations venues d’ailleurs, nous sommes minoritaires dans notre propre pays. Fort de constat, qui fait que nous aurions pu disparaître, il y a un aspect positif à tout cela: c’est que nous sommes toujours là. Et c’est à partir de ce constat qu’il y a des raisons d’espérer.


RMM: D’ailleurs, je ne sais ce que vous en pensez, mais j’ai eu l’impression que tout le battage, exagéré, autour de ce cent-cinquantenaire qui avait pour but, selon les désirs de certains politiciens d’affirmer l’attachement des Niçois à la France, a eu, en fait, un effet inverse et que, paradoxalement, certains qui n’osaient pas s’affirmer comme Nissart, aujourd’hui le revendiquent.

JFM: En ce qui concerne cet aspect des choses, je ne sais pas. Il est vrai qu’il n’y a pas eu de grand mouvement d’adhésion, même si, et on peut le regretter, il n’y a pas eu de grand mouvement d’opposition.  Les Niçois se sont complètement désintéressés de ces commémorations: la différence est frappante ne serait ce qu’avec le centenaire. On a matraqué les Niçois avec ce cent-cinquantenaire et leur réaction a été: M’en bati!

RMM: Donc, votre association qui fait partie, de nos jours, du paysage niçois a atteint son rythme de croisière en étant présente dans toutes les manifestation du Comté et par la mise en place de cours de Niçois.

JFM: Oui, cela fait bientôt treize ans que nous prodiguons des cours de Nissart, avec des niveaux différents (débutant et confirmés). Dès cette année, nous voudrions mettre en place un cours spécial pour les lycéens qui présentent le Nissart au bac, car nous estimons qu’il est important de faciliter cet apprentissage de la langue aux jeunes qui ont choisi cette option. Il y a, à Nissart per tougiou, une démarche intergénérationnelle: pendant longtemps nous avons été confronté aux générations précédentes qui parlaient un Niçois de la rue alors que nous avons  aujourd’hui des Niçois qui parlent un Niçois de l’Université . Deuxième point important, nous avons non seulement des Niçois de toutes générations, mais également aussi bien des Niçois de souche (issus de famille ayant plusieurs génération dans le Comté) que des Niçois d’adoption. Nous ne faisons aucune distinction entre ces deux catégories quant à leur « volonté d’être Nissart ».

RMM: Nous avons la même démarche à « Racines du Pays Niçois » et nous considérons que certains Niçois d’adoption défendent mieux Nice que certains Niçois de souche. Etre d’un pays, d’une culture procède, avant tout d’une démarche culturelle. Pour reprendre les mots d’un  poème d’un auteur breton, La Découverte ou l’Ignorance, poème que j’aime beaucoup, et en les adaptant au Pays Niçois: « J’ai mon pays, la Countéa de Nissa, dans ma tête, si demain Nissa n’est plus en moi, elle cesse d’être pour moi. Si demain, Nissa disparaît dans la tête de tout les Niçois, elle cesse d’être définitivement ». Nous pensons que notre pays s’est construit par l’apport de différents strates de peuples venus chez nous et qui se sont fondus dans cette culture rude et montagnarde: il y a eu les Ligures, les Grecs, les Romains, les Sarrazins, les Provençaux, les Savoyards, les Piémontais et les Français, toutes ces cultures se sont rencontrées dans ce pays et ont contribué à faire évoluer et à renforcer notre culture. ont certes apporté quelque chose de leur culture d’origine, mais ils ont été phagocytés par cette culture Nissarde très forte.

JFM: Oui, et ce que je voudrais ajouter, c’est que, même si quand nous avons démarré en 1977 on ne parlait pas de mondialisation, nous apportions déjà une réponse à ceux qui étaient déracinés ou qui n’avaient plus de repères culturels. Nous proposions une culture forte, enracinés dans le pays, qui permettait à ceux qui le voulaient de s’intégrer totalement dans ce pays ou ils vivaient. Il y avait également, de notre part, une volonté de lutter contre les clichés répandus ça et là sur les Niçois et sur notre pays:  là bas , il fait beau, les Niçois sont des êtres incultes et feignants,etc… Nous voulions montrer que ces clichés étaient une caricature, que nous avions une culture et une langue aussi riches que celles de l’état qui nous administrait, que nous étions autant travailleur (si ce n’est plus) que les autres, etc…Nous voulions sortir notre pays de l’image qu’on lui avait collé et qui ne nous correspondait pas: ce concept de Côte d’Azur qui n’est qu’une image superficielle pour vacanciers en goguette. Nous voulions ainsi montrer à tout ceux qui pensaient que Nice et le pays Niçois n’existait que depuis Stephen Liègard (l’inventeur de la Côte d’Azur) que nous existions depuis des millénaires et notre culture avec. Nous avons aussi redécouvert toute notre histoire: que nous faisions partie d’une aire linguistique plus vaste, que notre pays était coupé par des frontières administratives qui ne correspondaient pas du tout avec les frontières réelles de notre pays ( ce qui est le problème des Marches ( Pays Basque, Alsace, Catalogne, Flandres, Jura, Savoie et Comté de Nice) qui sont des états transfrontaliers. Pour toutes ces nations sans état, il y a beaucoup de souffrances. Prenons l’exemple de notre pays. Les Niçois ne sont pas français, mais les Niçois ne sont pas Italiens: tout au long de leur histoire, ils ont été les victimes des visées permanents de la France et à d’autre moment de « l’Italie ». Ils ont été ballotés d’un côté et de l’autre, et aujourd’hui, encore, une partie de notre territoire se trouve « en France » et l’autre partie « en Italie ». Le Niçois est écartelé entre ces deux tendances. Si on expose l’histoire de Nice vue du côté français, il nous manque une partie de nous même. Et, à l’inverse, si on raconte l’histoire de Nice vue du côté Italien, c’est pareil. Or, il n’y a pas plusieurs histoires de Nice, il n’y en a qu’une et nous devons intégrer toutes les composantes parfois contradictoires de notre histoire: voilà le paradoxe de ce pays. Il n’y a qu’une histoire de Nice et du Comté de Nice. 

RMM: Notre analyses est à peu près la même. Nous soulignons que Nice a toujours été une terre d’empire (Empire Romain, Empire de Charlemagne, Empire de Charles Quint, Saint Empire Romain Germanique) et, à ce titre, le Pays Niçois fait partie intégrante de l’histoire européenne. On ne peut se contenter d’une vision partielle de notre histoire (histoire française ou histoire Italienne) car, nous étions là avant la France et avant l’Italie. Du temps de l’empire romain, nous étions une des provinces de l’empire, les Alpes-Maritimes dont la capitale était Cémenelum (l’actuel Cimiez), alors que la Provence n’existait pas en tant que telle (de l’autre côté du Var, il y avait la Narbonnaise qui allait jusqu’à l’Espagne) quant à la France… Donc, cette culture Nissarde est bien présente tout au long de l’histoire.   Jean François Marro, avec votre association, qui est devenue adulte, vous êtes présent et actif dans toutes les manifestations culturelles, vous rayonnez, vous fédérez, et vous ne vous contentez plus de promouvoir la langue (ce qui est bien ,sûr, primordial), mais vous voulez intervenir dans d’autres secteurs de notre culture. j’ai entendu dire que vous envisagiez de proposer des cours de cuisine Niçoise. Qu’en est il ?


JFM: Et bien, on vous a bien renseigné, c’est vrai nous allons lancer d’autres activités. A « Nissart per tougiou » nous voulons continuer à avancer et ne pas nous reposer sur ce que nous avons fait et c’est pourquoi, nous nous sommes lancé un nouveau défi (le réussirons nous ? seuls ceux qui ne font rien ne risquent pas de se tromper…mais ils stagnent): nous avons décidé de prendre un plus grand local pour en faire un véritable Centre Culturel Nissart. Comme nous aurons ce nouvel outil, nous envisageons sérieusement de faire, dès la reprises des activités (au mois d’octobre), à côté des cours de Nissart,  des cours de cuisine niçoise. par la suite, nous envisageons des cours de danse. Et, je dois ajouter que nous sommes très amis avec une association (Mourra dei quatre cantoun) et, avec eux, nous allons aussi  lancer des cours de (Mourra): la « Mourra » est un très vieux jeu de société niçois qui se joue sans cartes ni dés (nous étions dans un  pays pauvre), mais uniquement avec les mains, le tout accompagné d’annonces faites en niçois et en criant. Par ces cours de cuisine, nous voulons transmettre cette part de notre culture: aujourd’hui, vous avez, à Nice, des restaurants qui se disent Niçois, qui font plus de l’argent que de la cuisine locale et il nous paraît important que les Niçois sachent comment se cuisinent les plats que l’on s’est transmis de générations en générations. De même, nous voulons leur apprendre à faire la distinction entre des fruits et légumes cultivés ici et d’autres qui viennent d’un peu partout  La tomate niçoise n’a pas le même goût que les autres. Moi, j’ai eu la chance de connaître de grands restaurateurs niçois et de goûter aux produits du terroir: ce sera de mois en moins le cas. On avait la chance d’avoir une belle production locale avec cette magnifique plaine alluvionnaire du Var, actuellement, on la transforme et on veut encore la transformer, et on bétonne et on supprime des terres agricoles. Par sa production de fruits et légumes, Nice pouvait s’auto-suffire…mais, bon, nous n’allons pas être passéïste.

RMM: Là, je vous arrête, Jean François MARRO, ce n’est pas un discours passéïste que de dire cela. Dire que c’était mieux avant sans apporter d’arguments, ça c’est être passéïste. En revanche, dire qu’il faut faire de économies d’énergie et développer une agriculture écologique responsable, ce qui est le cas sur des terres alluvionnaires (ou on n’est pas obligé de mettre des engrais chimiques), cela est tout à fait actuel:  pourquoi, alors que l’on peut produire des tomates et des haricots ou autres pois chiches sur nos terres, importer des tomates du Maroc et des haricots venus du Kénya ? Rien qu’avec le transport de ces marchandises, on va à l’encontre d’une démarche écologique (pollution par les moyens de transport) et d’une recherche  d’économie d’énergie (avec ce que consomment ces mêmes moyens de transport).

JFM: Tout à fait d’accord ! Nous vivons dans un pays qui a un climat privilégié: c’est pourquoi de tout temps on a fait du vin, on a fait de l’huile d’olive et on a développé une agriculture de qualité. Nous voudrions que les gens, et particulièrement nos compatriotes niçois, apprennent à manger correctement, c’est à dire en respectant les saisons, donc en consommant des produits locaux. C’est une façon de lutter contre le système mondialiste qui fait tourner les hommes et les marchandises au détriment des cultures locales. C’est pourquoi, pour le développement harmonieux de notre pays, il nous faudrait pouvoir décider de notre destin sur place: c’est la raison qui fait que nous voulons quitter cette région informelle et que soit mise en place une nouvelle région dont Nice serait la capitale régionale. Nous voulons intervenir dans le monde d’aujourd’hui, nous ne sommes pas des archéologues. J’aime bien les archéologues, car ils nous apportent un regard précieux sur notre passé et cela est important: on vient de découvrir, sous nos pieds, pendant le chantier du Tram’ des vestiges de notre passé. C’est bien pour nous conforter dans notre enracinement, mais nous ne pouvons nous contenter de cela, il nous faut proposer des solutions pour l’avenir. Mais cela montre à tous que avant Stephen Liègard et sa Côte d’Azur, il y avait quelque chose, il y avait le Comté de Nice, et…avant le Comté de Nice, il y avait déjà Nice. Nous sommes porteurs de plus de quatre mille ans d’histoire et nous devons être les acteurs actuels de cette histoire et transmettre celle ci. Mais, c’est très difficile avec les lois françaises ne serait ce que pour transmettre la langue. Il est important (et courageux) que des jeunes se lancent dans le professorat de la langue nissarde. Il y a des lois relatives à l’apprentissage des langues régionales, mais, les heures de cours sont placées à des heures impossibles: on voudrait faire disparaître cet enseignement qu’on n s’y prendrait pas autrement. Il n’y a qu’à voir ce qu’ils ont fait pour le Grec et le Latin…ils ont procédé de la même manière. Malheureusement, il ya des professeurs de Niçois qui, devant toutes ces difficultés, doivent, pour vivre, faire autre chose.

RMM: Oui, à cet égard, je pense qu’il ya maintenant, déjà un certain temps, que l’on a abandonné un enseignement de culture générale complète pour tendre à un enseignement utilitaire.  On ne veut plus de « Mens sana in corpore sano » mais bien des acteurs du système économique.

JFM: C’est pourquoi nous nous investissons dans ce créneau éducatif, car le Niçois a toujours attendu que ce soit la Mairie qui fasse quelque chose pour eux: nous leur disons, si vous voulez sauver votre culture, il ne faut compter que sur vous même. Il ne faut  plus avoir une attitude honteuse vis à vis de ce que nous sommes. Il faut être fier d’être Niçois. On va défendre quelques indiens d’Amazonie au prétexte que leur culture est menacée, c’est bien, mais nous aussi, notre culture est menacée. On vous dit, il ne faut pas abattre un arbre ou démolir tel bâtiment car il fait partie du Patrimoine, et bien, notre langue et notre culture font partie de notre patrimoine. Il faut arrêter d’accepter le discours adverse qui consiste à dire que parler le Nissart c’est exclure les autres: ceci est parfaitement  faux. Nous avons toujours accueilli les populations qui sont venues chez nous, et si elles veulent apprendre la langue de ce pays, nous nous ferons un plaisir de leur apprendre et de les intégrer: nous n’avons jamais rejeté personne.

RMM: Voilà un discours tout de tolérance à l’image de notre pays. Cela ne veut pas dire qu’il faille, comme le fait la france actuellement, accueillir toute la misère du monde. Et, nos hommes politiques, ici, appliquent la politique de la France. Quelle est votre position par rapport aux politiques ?

JFM: Le problème qui se pose avec la pratique politique c’est que tout est tranché. Soit vous agissez au sein du système et vous vous faites traiter de « collabo » par certains, soit vous agissez en dehors du système et on vous considère comme des opposants. Que ce soit clair, nous, à « Nissart per tougiou », nous sommes libres et nous agissons selon les priorités que nous avons définies. Nous ne sommes pas contre la mairie, mais nous ne recevons pas nos ordre de la mairie. Si la mairie nous dit: « faites ceci », et que cela heurte nos convictions nous ne le ferons pas et nous tiendrons à notre ligne de conduite. C’est pourquoi, pour rester indépendants il est important d’avoir des adhérents, donc des cotisations. Nous ne voulons dépendre de personne à part de nos adhérents. Bien sûr, certains nous disent: « mais qu’est ce que vous nous apportez si on cotise ? ». Et bien, en dehors de la Carta d’Identita Nissarda, qui est , de fait, la carte d’adhérent, avec toute la valeur symbolique que cela représente, nous pouvons fonctionner et réaliser des tas de choses (autocollants, tee-shirts, drapeaux niçois, etc…) Mais , surtout, nous pouvons faire fonctionner l’association de nos adhérents et il est bien entendu que, eux, doivent apporter quelque chose: nous sommes quand même une association militante. Nous ne nous battons pas pour l’indépendance, déjà une autonomie serait bien.


RMM: en fait, vous souhaitez la même chose que nous, à savoir que nous voulons retrouver une certaine forme de souveraineté qui nous permettrait, tout simplement, de pouvoir décider de notre destin, ici, dans notre Pays Niçois.

JFM: Exactement, nous ne demandons rien de plus que de décider de l’avenir de notre pays et de nos enfants.

RMM: Bon, en dehors de ces cours de Nissart et cours de cuisine niçoise, avez vous d’autres projets ?

JFM: Oui, cela peut paraître ambitieux, mais qui n’avance pas, recule, nous avons l’intention, en récupérant ce très grand local, de créer un véritable Centre Culturel Nissart. C’est pourquoi, en plus des cours précités, nous envisageons des cours de danses du pays, des cours de fifres ainsi que des cours de « mourra » (jeu traditionnel niçois). Voilà, cette Maison de la Culture Niçoise est un véritable défi et nous espérons le mener à bien comme ceux que nous avons maintenu précédemment. Nous avons commencé petit, mais nous avons grandi car nous ne voulons surtout pas rester sur nos acquis, nous endormir sur nos lauriers. Nous avons développé notre action dans les « classes populaires » , celles qui étaient les moins « perverties » et ou la culture vécue se maintenait. A présent, nous souhaiterions nous ouvrir aux classes moyennes et aux « élites » (même si je n’aime pas ce mot qui peut être mal interprété), nous ouvrir au monde intellectuel et au monde économique, pour que l’affirmation de notre culture Nissarde soit portée par l’ensemble de notre société. Enfin, je dirai que le but ultime de la propagation et de la maintenance de notre culture sera d’avoir des médias de large communication. Nous sommes reconnaissants aux médias écrits qui ont contribué à maintenir notre culture à flot et à diffuser la mémoire collective du peuple Niçois (Lou Sourgentin, Nice Historique, par exemple) mais, nous voudrions aboutir à la création d’une radio voire d’une chaine de télé Nissarde (bilingue Franco-Nissarde). Ce serait l’aboutissement de notre projet actuel. Mais, pour cela, il ne faut compter que sur nous même et pas sur les pouvoirs publics qui eux n’y viendraient que si ils y avaient un intérêt financier. Et puis, il faut que ce soit clair: nous ne serons jamais récupérés.

RMM: Cela est important quand on sait que beaucoup d’élus ne se revendiquent pas comme « Nissart ».

JFM: Oui, il y a eu un phénomène de déculturation très important et, ce qui est plus grave, c’est que les édiles locaux ne parlent plus Nissart, ne se sentent pas Nissart et de défendent plus cette culture. Avant, nous avions des élus qui se suffisaient à eux même quant à leur Nissarditude (les Médecin, Raybaut, Séassal, Bosio, Caressa, Barel et autres ne sont plus là), maintenant c’est le vide à ce niveau là. C’est pourquoi, nous comptons beaucoup sur la jeunesse qui est en recherche de son identité: à cet égard le « Gym » a joué un rôle important, car un grand nombre de supporteurs niçois qui n’étaient pas forcément d’ici  avaient intégré cette culture set se revendiquaient comme Nissart. C’est peut-être pour cela qu’on les a traités comme ils l’ont été. Aujourd’hui, ce que nous voulons faire, c’est, face à la pénurie de professeurs de Nissart et devant la grande demande de lycéens qui veulent passer le bac Niçois, c’est de mettre en place de cours de Niçois spécifiques à la préparation au Bac, sans pour autant vouloir être en concurrence avec les enseignants, mais en se positionnant comme un complément.  Avant de terminer, je voudrais dire que nous ne sommes pas des intégristes murés dans leurs certitude. A l’image de notre pays, qui a de tout temps accueilli de nouveaux arrivants, nous revendiquons toutes les strates  successives qui ont formé notre culture et notre langue: on ne peut en gommer aucune et nous désirons que cette culture évolue encore, dans la mesure ou nous maintenons une persistance de ce qui a fait ce que nous sommes aujourd’hui sans trahir ce que nous ont amené nos anciens. A cet, égard, avant de mettre fin à cet entretien, je voudrai rendre un hommage particulier à quelqu’un qui a compté et qui compte toujours dans la maintenance de la culture Nissarde: j’ai nommé Jean Luc SAUVAIGO.

RMM: Je me joins, ainsi que tous mes collaborateurs de « Racines du Pays Niçois »,  à cet hommage. Jean François MARRO, merci et longue vie à « Nissart per tougiou » .

JFM: Merci e a si reveire.

Robert Marie MERCIER

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