NOTES DE LECTURES: LA OU LA TERRE TOUCHE LE CIEL

par Jean Marie SANJORGE

Nous nous sommes intéressé à un livre des plus intéressant sur l’âge du bronze et les hommes qui vivaient à cette époque dans le « Pays Niçois » (qui n’existait pas encore sous cette dénomination, bien sûr). Dans cette région , ou vivaient les plus anciens de nos ancêtres en Europe, nombre de sites peuvent en témoigner (Terra Amata, Lazaret, Vallonet, Grimaldi) …  il y avait aussi un lieu sacré , là ou se trouve ce que nous appelons, aujourd’hui, la « Vallée des Merveilles ». La première partie du livre rédigée par les scientifiques nous éclaire sur  bien des points fondamentaux de la vie de ces peuplades préhistoriques. C’est en ces lieux que se déroule l’action de ce merveilleux roman de Fabrice Anfosso.

« La jeune femme dessina des champs, pour demander la fertilité, sur ses terres et dans son ventre. Arik, quant à lui, esquissa une face de taureau dont les cornes se prolongeaient à la manière de longs éclairs, espérant ainsi attirer sur lui la virilité ainsi qu’une nombreuse descendance. La symétrie des formes que tous deux s’attachèrent à graver évoquait aussi l’harmonie que leurs âmes attendaient de leur séjour parmi les vivants. Cette résonance idéale entre l’homme et sa femme, entre la terre et le ciel, entre le jour et la nuit, entre l’humain et le divin. »

Nous avons déjà évoqué par ailleurs l’intérêt des éditions « Mémoires millénaires« , en particulier au travers de la série de romans historiques mettant en scène les grandes étapes de l’histoire de Nice et de sa région. L’originalité étant aussi que chacun de ces textes se voit précédé d’une présentation historique du sujet concerné, faite par des spécialistes du domaine en cause : comme une préface actuelle et précise chargée de rappeler l’arrière-plan réel de la période et le souci du romancier d’en tenir strictement compte, sans rien abandonner pour autant de sa liberté créative…

Je voudrais aujourd’hui revenir sur le premier -chronologiquement- de ces romans, publié fin 2007 :  « Là où la terre touche le ciel » de Fabrice Anfosso.
Y est évoquée la « Vallée des Merveilles », ce lieu magique de l’arrière-pays niçois. Fabrice Anfosso est parvenu à construire une histoire vivante au sein d’une époque largement méconnue : l’äge du bronze, vers le deuxième millénaire avant JC… Celle de l’initiation d’Orosh, personnage principal, et d’une lutte pour la victoire sur soi-même. Une belle méditation, aussi, sur le sacré, sur les dieux et leur éternelle présence, voilée parfois par l’apparent « retrait » qui les fait disparaître à nos yeux… (« Nous serons toujours là, mais les hommes ne nous verrons plus »…)
Le contenu éthique en est positif et j’ai plaisir à citer des passages tels que celui-ci : « On pouvait donc encore lutter lorsque le corps était prêt à renoncer. L’esprit pouvait entrer dans les muscles et leur ordonner de poursuivre. L’esprit pouvait aller plus loin. Il suffisait de le décider… »
Ou même, plus brièvement, comme une maxime à conserver : « le danger maintient en éveil, et l’éveil est à la base du bonheur… »

Bien que l’auteur ait annoncé, dans l’introduction, qu’il allait prêter à ses personnages « certaines pensées modernes », il est dommage que quelques passages apparaissent comme lourdement anachroniques, par exemple lorsqu’un solitaire, vivant dans la montagne, se lance dans un plaidoyer quasi-rousseauiste -voire écolo avant l’heure- sur les dérives risquées entraînées par la maîtrise des techniques nouvelles (la fabrique du bronze…), évoquant en outre l’idée de « progrès » ou de « temps modernes »… Alors que Fabrice Anfosso se révèle capable d’exprimer la même idée, beaucoup plus finement, par le seul jeu du symbole, en faisant raconter par ce même personnage ce que ce dernier a voulu créer à même la roche du Mont Bego : « J’ai gravé dans la roche ce qui saignait dans mon coeur (…) Je frappais le rocher comme s’il était le destin lui-même (…) J’ai donc dessiné un homme debout, immense. Et son coeur est habité par le Dieu-Taureau (…) Il se prend pour lui (…) Il est l’homme du bronze. Je l’ai dessiné à côté d’une gravure plus modeste, pour que le message soit clair : un coeur pur avait déjà tracé un petit personnage près de la ligne de champs. Et cet homme, les bras levés vers le ciel, priait avec humilité comme il convient de le faire. Mais le mien se croyait plus grand. Je lui ai donc planté un grand poignard dans le crâne, un poignard aussi grand que son orgueil… » Là effectivement, l’essentiel est dit par le biais d’une figure réelle visible sur place, à laquelle Fabrice Anfosso rend la vie en la réinterprétant !

Un autre des protagonistes, plus loin, s’interrogera, lui, à propos des dieux, sur le fait de savoir « s’ils existent »… Et là sera le doute majeur d’Orosh tout au long du récit. Là encore, restons prudents : ces débats n’étaient certainement pas ceux de la proto-histoire… Mais l’écrivain rendra active cette problématique aléatoire : quelle bonne idée que d’avoir placé, en tête de chaque chapitre, un bref dialogue qui nous introduit au coeur d’une sensiblité cosmique et païenne : la Déesse de la Terre parle avec le Dieu-Taureau, porteur, lui, de la force et de la foudre ! Ils commentent les destinées ou scrutent un avenir ouvert. La femme sacrée tient à son compagnon un superbe propos qui évoque à nos oreilles la mythologie européenne la plus enracinée ou les paroles que John Boorman prêtait à Merlin dans le somptueux « Excalibur » : « Tu incarnes l’instant, le présent dans sa force éblouissante. Moi, je suis l’origine et le devenir. Je suis l’intuition et le souvenir. Je connais ce qui fut et je pressens ce qui sera… »

Le livre s’achève sur la poursuite de la quête et le retour de l’éternel cycle de vie, sous le regard vivant des dieux du Mont Bégo !

Jean Marie SANJORGE

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