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Garibaldi écrivain

Tout le monde connait Garibaldi, le Condottière de la liberté, on ne connait que le combattant magnifique, le patriote italien, le mythe.

Tout le monde connait celui qui s’est battu sur tous les continents contre les oppresseurs et voleurs de liberté, celui qui s’est battu pour l’Unité de l’Italie et même pour l’état français (il faut reconnaître qu’il n’est pas rancunier quand on sait ce que les dirigeants de ces deux nations lui ont fait subir comme humiliation, ces deux nations qui ont pour l’une abandonné sa terre natale et pour l’autre annexé celle ci.


Mais personne ne sait qu’il a été un écrivain à ses heures et qu’il a publié, entre autres, un roman plein d’une tendresse mêlée  de sentiments forts. Un livre déroutant mais, cependant, parsemé d’images qui nous explique, en partie, ce qui motivait cet homme tout au long de  sa vie.  Un de nos amis a fait une lecture approfondie de cette œuvre et nous a livré ses pensées: nous vous les faisions découvrir ici:



 

Garibaldi romancier…, lui dont la vie légendaire fut un roman mis en scènes, entre autres, par Alexandre Dumas ?

Invraisemblable ! Et pourtant, ce marin dont la carrière commença comme mousse à quinze ans, devenu corsaire en Amérique du Sud où il se battit pour la liberté de petits États (Rio Grande, Uruguay) contre les Empires (Brésil, Confédération argentine…), avant de jouer un rôle majeur, aux côtés de son comparse Mazzini, de Cavour et du roi Victor-Emmanuel, dans  la grande bataille pour la liberté et l’unification de l’Italie contre l’Autriche, le Royaume des deux Siciles, les Bourbons de Naples, les États du pape à Rome et leur allié, l’Empire français de Napoléon III, pourtant ce guerrier impavide était aussi un penseur et un conteur dont le style, parfois naïf et maladroit, ne peut nous laisser indifférents.


Son roman Clelia, superbement retraduit par Yves Branca après une médiocre première version française de 1873, considérablement enrichi par le traducteur d’une abondante provision de notes indispensables pour bien saisir le contexte de ce récit au cœur de notre histoire proche, nous plonge dans une épopée romantique qui reflète l’esprit de ces temps agités vus par l’un des principaux agitateurs. Clelia, comme le résume Yves Branca, est un  » manifeste militant sous la forme d’un feuilleton populaire « . Giuseppe Garibaldi, dans sa préface, a la modestie de reconnaître ses propres limites en tant que romancier. En effet, les nombreux et courts feuilletons se succèdent et se ressemblent en déroulant une intrigue assez laborieuse et convenue. Mais l’intérêt du livre n’est pas vraiment là. Il faut le lire comme un pamphlet romancé contre l’ennemi principal de l’époque — et de toutes les époques, d’ailleurs : la cléricature théocrate (aujourd’hui, « intellocrate », correspondant tout à fait à la fameuse « caste des prêtres » si judicieusement décrite par Nietzsche dans sa Généalogie de la morale), qui asservit les esprits faibles au nom d’une prétendue morale supérieure, alors que son objectif est la conquête et l’exercice d’un pouvoir absolu sur les corps et les consciences. Cette caste théocratique, qui impose sa férule à la Rome du XIXe siècle, est profondément corrompue. Elle pratique, entre autres, le rapt des jolies jeunes femmes du peuple (Clelia est l’une de ces belles proies potentielles) pour les soumettre aux stupres de certains puissants membres de la hiérarchie ecclésiastique. Giuseppe Garibaldi a donc beau jeu de la dénoncer, presque à chaque page de son brûlot romancé. Depuis Voltaire, on a rarement pu lire plus féroce et savoureuse charge contre l’obscurantisme pervers des maîtres catholiques  d’une nation européenne. Et c’est au nom de la vertu civique, de l’héroïsme de la Rome antique et de Sparte que Garibaldi  mène cette vigoureuse charge dont voici quelques brefs extraits :

 

 

<<…le despotisme des prêtres est le plus odieux de tous, le plus dégradant et le plus infâme […]

 

Puisque la conjuration est un privilège de l’esclave, il est peu d’Italiens qui n’aient pas conjuré, à toutes les époques du servage de leur pays […]

 

Ces dernières années, où nous étions prêts à en venir aux mains, nous fûmes retenus par cette secte hermaphrodite que l’on appelle les modérés, dont la modération ne consiste qu’à empêcher d’agir, de bien agir ! C’est une secte malfaisante et dévorante comme celle des prêtres, toujours disposée à pactiser avec l’étranger, à faire trafic de l’honneur national tout en s’engraissant sur le Trésor public, qu’elle mène à une ruine certaine […]

 

Oui, c’est le prêtre qui a eu le mérite de former le peuple à l’humiliation et à la servilité. Tandis qu’il se faisait baiser la pantoufle par les empereurs, il demandait aux autres d’exercer l’humilité chrétienne ; tandis qu’il prêchait une vie austère, il s’ébattait dans l’abondance, dans la lasciveté, dans la crapule. Révérences et baisemains, voilà la gymnastique qu’il a apprise au peuple. Par Dieu, c’est à lui que nous le devons, si la moitié d’entre nous est bossue, ou a l’épine dorsale voûtée ! […]

 

La seconde source de leurs richesses, les prêtres la captaient au chevet des malades, où ils étaient les maîtres de leurs derniers instants. Par la terreur qu’ils inspiraient de l’Enfer, et du Purgatoire, ils soutiraient des legs, et bien souvent l’héritage tout entier des mourants, au préjudice des enfants, que sans pitié ils réduisaient à la misère […]

 

C’est l’escalier clandestin (du couvent —L’E.E.) – me disais – je : Combien de livides scorpions en soutane ont dû passer par ici pour venir se décharger dans ce gynécée ! Pauvres familles, qui pensaient faire éduquer leurs filles dans un asile de pureté ! […]

 

Séminaires ! Greniers à perversité et à turpitudes ! On y ensemence des prêtres, il en sort de jeunes nécromants, pour l’édification de notre pauvre Italie ! Et notre Parlement n’a pas touché à ces viviers de malice et de corruption ! Voilà donc notre Parlement national ? Nos Représentants du peuple ? Maudits soient tous ces faussaires ! […]

 

On pourrait affirmer, sans guère s’éloigner de la vérité, que désormais, la moitié du peuple vit laborieusement et à grand-peine pour payer l’intempérance et la scélératesse de ceux qui gouvernent.

 

Si cette partie du peuple  recevait une véritable éducation morale, patriotique, et humaine, au lieu de la dégradante éducation du prêtre, elle donnerait des héros à l’Italie, et au monde les mêmes exemples de vertu et de courage que ceux de nos pères antiques […]

 

L’autre moitié est grassement payée par ces gouvernants pour opprimer, combattre, ou espionner la première.
Ces deux gouvernements sont-ils conformes aux aspirations nationales vers le bien commun ? J’en laisse juges les nations qui peuvent considérer calmement la situation de l’Italie […]

 

La papauté, ce chancre sur le corps de l’Italie, était à l’agonie… >>



On aurait tort cependant, à la lecture de ce verbe fougueux et sans concessions pour l’ennemi, de ne voir en leur auteur qu’un militant extrémiste se complaisant dans l’injure. Son indignation, bien réelle, va bien au-delà de la dérision voltairienne. C’est celle d’un rebelle — » Ils étaient trois cents ! [écrit-il de ses compagnons d’armes] Trois cents comme les compagnons de Léonidas, comme les héros de l’antique maison des Fabiens.  » Un rebelle qui a mis sa peau au bout de ses idées en menant cent fois ses volontaires à l’assaut des oppresseurs coiffés de mitres et revêtus de soutanes (et aussi de costumes bourgeois) qui opprimaient, exploitaient et divisaient le pays depuis tant de siècles.

 

 

 

Reste à préciser que Giuseppe Garibaldi était un homme enraciné dans sa terre (l’îlot de Caprera, sa demeure, où il fut si souvent exilé) que sur la mer sur laquelle il a si souvent bourlingué.
Comme le décrit Yves Branca :

 

 » Son sentiment de la terre et de la mer est aussi « naïf » que celui d’Ulysse. Quand il ne navigue ou ne se bat point, il se retire sur son îlot de Caprera qui, malgré sa rudesse granitique, est son « hortus amœnus », où avec les siens et quelques amis il cultive et élève ce qui peut y vivre dans le vent, entre les rochers. « 

Ce grand guerrier de la liberté auquel l’Italie a gardé toute sa reconnaissance, fut aussi un amoureux passionné, un père de famille fidèle et un admirateur de la beauté féminine comme en témoigne cette envolée, au tout début du roman, à propos de son sujet principal :

 

 » Comme elle était belle, la perle du Trastevere !  Les tresses brunes, très épaisses – et les yeux ! Leur éclat frappait comme la foudre celui qui osait la fixer. – À seize ans, son maintien était majestueux comme celui d’une Dame de la Rome antique. […]
Oui ! Comme elle était belle Clelia ! Et qui pouvait la contempler sans sentir le brûler dans son âme la vive flamme qui sortait de ses yeux ? « 

 

Lire Garibaldi ne peut qu’inciter les cœurs vaillants à fraterniser avec cette âme noble et généreuse.


Ce que nous pouvons, pour notre part, tirer comme conclusion de cette analyse est tout à fait intéressant car il démonte le rôle joué par l’église en ces périodes troublées; N’oublions pas que la hiérarchie ecclésiastique avait pris formellement partie pour la france au moment de l’abandon de souveraineté de la maison de Savoie sur le Comté de Nice en 1860.  Les manœuvres du clergé ont favorisé les desseins de napoléon le petit comme aimait à l’appeler Victor Hugo. Les habitants des villages de « la Countéa de Nissa » furent pris en main par leur curé qui avait leur confiance pour être amenés dans les bureaux de votes afin de poser les uniques bulletins « Oui » qu’on leur proposait (agrémentés d’un aigle qui rappelait celui du Comté) dans les urnes: une population qui ne parlait que le Nissart ou le Gavouot et qui aurait été bien en peine de décrypter ce qui était écrit sur ces bulletins.  Ensuite, une deuxième remarque que nous pouvons nous faire est que cet homme,  dont l’amour pour sa ville natale ne peut être mis en doute, n’avait, en fait, qu’une passion qui le guidait: l’Italie. Un ouvrage à découvrir assurément pour connaitre un autre aspect de ce personnage historique qui reste, malgré tout, un mythe dans l’histoire de Nice.


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