Entretien avec…Xavier Borriglione

Nous avons eu le plaisir de vous présenter différents artistes de notre Comté, mais, aujourd’hui, il s’agit de vous faire découvrir un véritable homme-orchestre.

Musicien mais également auteur de textes de chansons et de théâtre, il est aussi un vrai conteur dans la tradition de notre pays. Je veux parler de Xavier Borriglione de Lantousca.



Robert Marie MERCIER: Xavier Borriglione, bonjour, je souhaitais rencontrer l’homme-orchestre de notre Comté puisque vous avez de nombreuses casquettes, si  je puis dire, vous qui portez toujours votre célèbre chapeau.

Xavier BORRIGLOINE: Bonjour, c’est vrai que j’ai mon chapeau porte bonheur qui me suit partout avec toutes ces breloques qui sont autant de souvenirs que j’emporte avec moi.

RMM: Bon, pouvez-vous, tout d’abord, nous parler de vous, de votre vie, de votre chemin ?

XB: Je suis de  Lantosque  (en fait, je suis né à Nice mais ma famille habitait Lantosque) et j’ai été élevé entre Nice Riquier et le Village. Je suis un enfant de la Vésubie, ce qui, inévitablement, marquera tout mon parcours futur. C’est ici que j’ai grandi et c’est ici que je vis et que je me ressource quand le besoin s’en fait sentir. Je suis « Vésubio-dépendant », ce lien avec ma terre me procure mon équilibre.



RMM:  Et la culture Nissarde (ou Gavouot) dans tout ça, c’est depuis tout petit aussi ?

XB: J’ai baigné dans la culture nissarde dès mon plus jeune âge (mon père avait l’habitude de me charrier en Nissart) et, en plus, je me régalais à courir toutes  les fêtes de villages environnants.

RMM: Et c’est là que le virus de la musique vous a contaminé ?

XB: Oui, j’ai été très tôt attiré par la musique et j’ai fait de la flute traversière … ce qui m’a amené au conservatoire pour approfondir mon apprentissage de cet instrument.

RMM: Et vous avez intégré un groupe musical pour jouer de la flûte traversière ? Ou bien, avez-vous créé un groupe pour vous produire ?

XB: Non, en fait, il y eut la rencontre avec  « Lou Mourtaïret » (association de fifres et tambours de Lantosque) : quand je me rendais dans les festins de villages, je voyais, tout le temps, se produire cet ensemble de mon propre village avec des gens que je connaissais, ce qui m’a donné envie d’en faire partie.  Ce groupe était dirigé par un mon premier maître en musique,  Elie Roubaudi,  qui l’avait créé dans les années 80.  Celui ci avait fait beaucoup de recherches sur les musiques anciennes en exhumant des vieilles compositions pour fifres et tambours du Comté et d’ailleurs. Il m’a beaucoup appris et m’a marqué pour la suite de mon cheminement.


RMM: C’est donc lui qui vous a pratiquement tout appris après vos études au conservatoire ?

XB: Pour l’essentiel OUI, Ely Roubaudi m’a guidé pour ce qui est de la pratique au sein d’un groupe, m’a donné des tas d’éléments sur l’histoire de la musique et m’a transmis la façon festive de la faire vivre. Mais j’ai été également énormément enrichi par le travail de Zéphirin Castellon, qui lui était un créateur compositeur et qui a fourni de nombreuses œuvres à ceux qui comme moi jouaient du fifre. C’est un personnage reconnu de notre Comté au niveau de la culture musicale et particulièrement du fifre qui est quand même un instrument de base de notre musique.


RMM: Donc, vous avez eu deux maîtres qui vous ont marqué dans votre vie ?

XB: Pour ce qui concerne la musique, oui. Mais je peux dire que j’ai eu un troisième maître dans ma formation et celui-là  ne concerne pas la musique mais ma langue, la langue de mes parents et de mes ancêtres,  la langue Nissarde:   j’ai eu la chance de rencontrer sur mon chemin Jean Philippe Fighiera qui était  professeur d’histoire- géographie  aux Lycée des Eucalyptus et également professeur  de niçois. C’est par lui que j’ai  approfondi la connaissance d’une langue que je pratiquais déjà : il m’en a fait découvrir la richesse.

RMM: Vous avez donc fait vos études secondaires au Lycée des Eucalyptus et cela vous a mené à quoi ?

XB: Je me suis orienté vers  des études d’ingénieur et, par la suite, je suis parti quelques années en Bretagne: j’ai pris, alors, conscience, là bas,  d’une culture vivante et enracinée. Bien sûr, je jouais avec « Lou Mourtaïret » dans les villages et pour les fêtes traditionnelles nous faisions quelque chose, mais nous nous contentions de répéter des airs qui avaient été mille fois joués dans le passé.  En Bretagne, j’ai pu constater qu’ils avaient fait évoluer leur musique avec le temps et produisaient des musiques contemporaines.  Le répertoire avait évolué avec le temps pour rester actuel  avec des instruments modernes qu’ils avaient réussi à marier aux instruments traditionnels.  Il y avait une véritable création musicale en perpétuelle évolution.  La culture n’était pas enfermée dans des musées mais était bien vivante : il n’y a, d’ailleurs qu’à voir ces milliers de jeunes gens rassemblés lors des « Fest-Dez » et des « Fest-Noz » autour des groupes Bretons d’aujourd’hui.

RMM: Mais, vous avez bien fini par revenir au Pays, dans notre Comté et nos vallées ?

XB: Oui, et en revenant, j’ai travaillé  dans le domaine des télécommunications chez IBM puis en enseignant dans une école des télécoms. Ensuite je me suis retrouvé au chômage et les salaires que le système me proposait étant inférieurs aux indemnités que je touchais (bien que je ne sois pas un tire au flanc) ont fini de me convaincre de travailler en « free-lance » tout en me dégageant du temps pour des activités culturelles. Cela m’a permis de m’intéresser à de nouvelles activités et  à de nouvelles connaissances comme la sophrologie et autres sciences humaines. J’en pratique certaines encore aujourd’hui.

RMM: Et au niveau musical ?

XB: Et bien, au décès d’Ely Roubaudi qui nous a malheureusement quitté en 2001, j’ai repris le groupe  de fifres et tambours « Lou Mourtaïret »  (groupe que mon prédécesseur portait à bout de bras). J’ai donc accepté d’assumer cette lourde tache. Et nous avons, ainsi, continué de tourner de village en village.

RMM: Mais l’expérience Bretonne qui vous avait marqué ne vous donnait elle pas l’envie de créer des musiques actuelles ?

XB: Oui, bien sûr, j’avais gardé cela dans un coin de ma tête et  j’avais très envie de partir dans cette nouvelle direction. Relancer une culture musicale actuelle. Mais, j’ai eu très longtemps des difficultés avec la ville de Nice, là  ou tout se décidait et où les évènements  pouvaient voir le jour, moi le Gavouot, par manque de réseaux et de repères dans cette grande ville.

RMM: Et, alors, comment cela a-t-il commencé ?

XB: Comme je vous le disais, j’avais peu de repères dans la ville de Nice et ce qui a tout déclenché ce fut  la rencontre avec Louis Pastorelli de Nux Vomica en mai 2005 lors d’une fête des fifres et tambours à Roquebillière. Quelques semaines plus tard il me contactait pour que le groupe de fifres anime une première partie de concert à Marseille avec ses amis du Massilia Sound System et le Brésilien Silverio Pesoa. Quelques temps après, je jouais mes premières farandoles avec Nux Vomica, dont je suis toujours heureux de faire partie. J’aimait beaucoup ce que Louis Pastorelli, Vincent Calassi et Maurice Maubert, avaient mis en place au hangar Saint Roch ou s’étaient regroupés des tas d’artistes : j’ai aimé leur idée de partager avec les autres et leur envie de créer des lieux ou notre culture pouvait s’exprimer dans la mesure ou il n’y avait rien pour cela à l’époque (çà n’a guère changé aujourd’hui en matière de culture populaire nissarde: heureusement qu’il y a « Lou Trident » maintenant). J’ai aimé ce qu’ils avaient mis en œuvre avec le « Carneval  Independant de San Roch » et cette idée de fête  partagée avec les habitants du quartier. Cette idée également de rencontrer d’autres cultures pour s’enrichir les uns les autres en gardant notre personnalité sans nous enfermer dans un bunker culturel.



RMM: Ce qui fait que vous aviez « Lou Mourtairet » et maintenant « Nux Vomica » à assurer, cela devait  occuper tout votre temps et donc vous vous êtes arrêté là ?

XB: Et bien non car j’ai rencontré Sylvain et Renaud Casagrande, les frères d’Aspremont, à peu près à la même période  qui me parlent, alors,  d’un projet de concert chez Lou Dalfin (dans le Piémont) et comme ils n’avaient pas de rythmique, je  leur amène un batteur (Jeannot Clericy).  Jeannot jouait du tambour dans la Vésubie et était, aussi, dans les télécommunications comme moi (c’est au niveau professionnel que l’on s’était connus). Après ce concert, comme nous avions eu un bon « feeeling », nous nous sommes dit : on ne peut pas se quitter comme ça, juste après un concret et nous avons continué ensemble. C’est ainsi que « Lu Rauba Capéu » sont nés et que je me suis trouvé embarqué dans une nouvelle aventure.


RMM: Et, trois groupes, trois musiques différentes, et pourtant, toujours le même  fifre.

XB: C’est sûr que les musiques sont différentes dans la forme, mais pas dans le fond puisqu’elles sont toutes les trois l’expression de la culture du Comté.

RMM: Mais, d’où vient le fait que l’on trouve partout dans « la Countéa de Nissa » et ce, depuis des siècles, des fifres et des tambours, qui en fait ont été, de tout temps,  les instruments de musique qui entrainaient les armées impériales (car, ne l’oublions pas,  Nice a, de façon permanente, toujours été Terre d’Empire).

XB: C’est vrai que ces deux instruments sont des instruments de musique que l’on trouvait à la tête des armées impériales et que, vraisemblablement, cela a du être le cas pour le Comté de Nice. Mais, ce n’est pas que cela . Je pense, en ce qui concerne les  fifres et les  tambours, que ce sont, avant tout, des instruments qui ont toujours été construits sur place, au pays, comme, avant eux,  les instruments de musique étaient façonnés avec des Cougourdons. Nous avons bien eu la vielle à roue et l’accordéon qui sont apparus dans nos formations musicales, mais ceux ci  nous sont parvenus  des deux pays limitrophes du Comté de Nice, la France et l’Italie( ou plutôt le Piémont). Mais, les deux instruments fortement enracinés dans notre terre Nissarde sont bien le fifre et le tambour…et c’est sans doute pourquoi  je joue du fifre dans ces trois formations différentes.

RMM: Bon, là,  avec trois formations musicales, vous vous êtes surement dit que vous ne pourriez en faire plus.

XB: Et bien, je le pensais. Mais en parallèle avec tout ça, j’écrivais et je racontais des histoires, pour des mariages, des fêtes entre copains. Et puis j’ai fini par écrire la trame de ce qui pouvait devenir un spectacle à mi chemin entre le conte et le one-man-show. C’est à ce moment que j’ai rencontré Serge Dotti. J’ai découvert l’homme de spectacle, marionnettiste de renom, et l’écrivain, auteur de nombreux contes d’aqui.  Je l’ai écouté. Je suis allé le voir sur scène.  Quand je suis allé présenter mes premiers textes à Serge, il m’a passé les clés de son théatre « Le Pois Chiche » Et il m’a laissé seul sur scène.Je pensais qu’il était fou et, avant que le rideau ne se lève…,  je me demandais ce que je faisais là, je n’en menais pas large, je n’avais qu’une envie…partir en courant. C’est ainsi que débuta ma « carrière » de Conteur : comme le texte avait bien embarqué les gens, malgré mes maladresses de débutant, ce fut  le début de mes spectacles de contes du Pays. Et aujourd’hui, je dois avouer que je prends beaucoup de plaisir avec « Toinou Dau Gourc », mon personnage fétiche.


RMM: Finalement, c’est  un subtil mélange d’amour à la fois de « la nouostra terra » et de « la nouostra lenga » qui vous anime et vous fait avancer.

XB: Il est certain que je mesure l’importance que peut avoir une  langue, d’un territoire ou se parle cette langue… et  pour finir , déboucher  sur le concept de  communauté…et de sens  du partage.  Le fait d’avoir une histoire et un passé commun soude les gens et évite l’atomisation de la société. Le fait de comprendre la même langue  induit une forme de solidarité extratemporelle.  Cela permet aussi de mieux connaitre ses origines, son plus lointain passé et de savoir qui on est en sachant d’ou l’on vient.

RMM: Mais au delà de votre affirmation d’être vous même, c’est à dire le tenant d’une culture bien spécifique, avez vous des revendications particulières ?

XB: Non et Oui.
Non parce que je veux rester avant tout un saltimbanque et un joueur de fifre. Pas un leveur de drapeau ni un traceur de frontières.
Oui parce que je me sens engagé dans une expression militante positive pour que ma culture vive ici, aujourd’hui et maintenant. Nous sommes après tout des héritiers de ce que nos anciens ont produit, des créateurs de ce que nous sommes aujourd’hui et des transmetteurs de tout cela auprès des générations futures. Une culture locale est une partie de la biodiversité humaine. La voir disparaître, c’est voir disparaître un petit bout du patrimoine culturel humain. Et ces petits bouts d’humanité, tous différents, plutôt que de nous diviser, devraient nous enrichir mutuellement si on leur laisse le droit d’exister dans le respect les uns des autres

RMM: Vous laissez donc les jeux politiques aux autres.

XB: Je ne suis pas un militant politique au sens où je ne me reconnais pas dans une organisation politique. Je n’ai pas de grand message à faire passer: j’ai, plutôt, des sensibilités et des vibrations à partager avec ceux que je rencontre. Ceci dit, la politique et la façon dont elle prend en compte (ou dont elle renie malheureusement souvent) les cultures locales, m’intéresse et me préoccupe grandement. Je revendique le droit et la possibilité d’exister pour toutes les cultures locales. Elles ne représentent pas un danger pour la cohésion d’une entité plus vaste (qu’elle soit nationale ou Européenne) si ce droit s’accompagne pour chacun d’un minimum de respect de valeurs plus universelles qui permette la coexistence des différences. Les cultures locales sont porteuses de richesse pour le pays ou le continent qui les héberge, elles sont porteuses de sens pour les citoyens qui les vivent librement. Et des citoyens qui trouvent davantage de sens à leur vie seront plus enclins à une vie paisible… C’est peut être un peu naïf, je revendique aussi ma naïveté !

RMM: Donc, pour vous, l’important est la permanence de la culture qui imprime sa marque beaucoup mieux que le politique ?

XB: C’est vrai, que la culture a une continuité dans le temps qui relie les femmes et les hommes. ce n’est pas pour cela qu’il faut regarder en arrière. Pour ma part, je préfère faire vivre notre culture ici et maintenant que de me réfugier systématiquement dans le passé.

RMM: Mais,  sans s’engager dans le combat politique, on peut, quand même,  avoir une opinion sur le monde d’aujourd’hui, sur la tendance à la mondialisation, sur la destruction des cultures.

XB: Oui, bien sûr, je suis assez inquiet du système mondialiste actuel qui  détruit les cultures et  je souhaites que nous trouvions d’autres formes de développement, aller vers une décroissance, vers une économie locale autosuffisante  donc en conservant notre agriculture et notre façon de vivre. Bien sûr, il est important d’avoir des communautés à échelle humaine et de décider de son destin sur place. C’est pourquoi, il est important que les communautés humaines ne disparaissent pas, donc, que leurs cultures survivent.

RMM: C’est donc en préservant ces communautés humaines que l’on  aura des individus équilibrés, sujets de leur histoire et non  pas objets  d’un système inhumain ?   C’est un peu ce que l’on ressent quand on voit « Toinou dau Gourc » sur scène.


XB: Je pense que défendre ma culture c’est défendre toutes les cultures: c’est défendre la diversité face au rouleau compresseur d’un système niveleur dont les valeurs sont essentiellement marchandes et qui aurait tout intérêt d’un point de vue purement rentable à ce que nous portions tous les mêmes vêtements, que nous mangions tous la même chose, que nous parlions tous la même langue…
Il est quand même remarquable que ceux qui défendent un tel système  réducteur qui détruit les spécificités culturelles viennent ensuite nous parler d’identité nationale.  C’est vrai que mon personnage développe un discours d’enracinement dans  son petit coin de terre, mais avec une capacité à comprendre les autres et à les intégrer (ce qui est, entre parenthèses, une constante de l’histoire de notre Pays Niçois depuis des siècles. NDLR). C’est pourquoi je ne peux accepter le discours de ceux qui veulent nous enfermer dans une forteresse fermée aux autres. Je ne veux surtout pas employer les mêmes arguments que ceux qui nous nient le droit à notre propre culture: et c’est en cela que je suis solidaire de toutes les autres cultures. Quant à l’équilibre de l’être humain, je vous dirais simplement :   »Quand un arbre a des racines bien implantées  ses branches peuvent aller dans tous les sens, sans problème. » Il est important  d’être fortement enraciné pour pouvoir  se situer dans ce monde en folie.

RMM: C’est pourquoi on peut se sentir bien partout tout en gardant cette préférence pour sa terre natale, ceci n’est pas antinomique ?:

XB: Tout à fait, j’ai beaucoup de plaisir à jouer ici et là, du côté de la Provence ou du côté de Toulouse, mais, là ou je suis pleinement moi même c’est dans mes montagnes du Comté de Nice ou du Piémont.




RMM: Xavier Borriglione, je vous remercie de m’avoir accordé ces quelques instants privilégiés.

XB: Le plaisir est partagé.

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