Les Sociétés de Pénitents dans l’Histoire de Nice

Les Pénitents à Nice… une présence de sept siècles

Au niveau associatif, Nice est une Ville qui n’est pas en reste.  Les gens d’ici s’investissent dans la vie de leur région et n’hésitent pas à créer une association quand le besoin s’en fait sentir. Cela ne date pas d’hier, car les Niçois se sont de tout temps senti concernés par la  vie de leur ville et de leur Comté. Mais savez vous quelles sont les associations les plus anciennes dans notre Comté de Nice ?


Elles sont nées il y a  7 siècles, déjà, et ses sont investies dans les différents domaines de la vie de la Cité. Il s’agit des confréries de Pénitents, nées aux XIV° siècle. Ce foisonnement de sociétés de pénitents, ici, est symptomatique du particularisme Nissart qui tranche avec les autres régions de l’état français, ou elles sont bien moins nombreuses. En revanche, ce phénomène est très développé en Italie, pays dans lequel les confréries de pénitents sont encore très présentes à l’époque contemporaine. Le culte de l’anonymat est beaucoup plus développé de l’autre côté des Alpes, car il est normal de voir sortir les pénitents encagoulés, ce qui n’est plus le cas dans le Comté de Nice. On peut le regretter. En fait, ces confréries sont nés en Europe Méditerranéenne à la fin du XIII° siècle, mais la première apparue à Nissa fut créée en 1306 sous le nom d’Archiconfrérie de la Sainte Croix, plus tard, Societas Gonfalonis ( société des Gonfalons), que l’on connait dans le langage courant comme les Pénitents Blancs, nom inspiré par la couleur de leur tenue (Ils intègreront plus tard, le 22 juillet 1787, la compagnie des sœurs humiliées, connues sous le nom de Pénitentes Grises). Viendront, un peu plus tard et dans l’ordre chronologique, les Pénitents Noirs en 1329 (Archiconfrérie de la Miséricorde), les Pénitents Bleus en 1431 ((Archiconfrérie du Très Saint Sépulcre) et les Pénitents Rouges issus de la fusion de trois autres confréries, dont la plus ancienne est la confrérie du Saint Nom de Jésus fondée en 1578 (Archiconfrérie de la Très Sainte Trinité) (*).

Il faut savoir qu’en plus de ces quatre confréries de la Ville de Nice, il y en a une quinzaine dans le Comté de Nice. Mais, il fut un temps ou chaque village avait sa confrérie et au milieu du XVIII° siècle, il y avait sept confréries dans la ville de Nice et une cinquantaine dans le Comté.  Cela amène plusieurs questions: pourquoi leur nombre a t il symptomatiquement baissé depuis cette époque? comment se fait il qu’elles aient malgré tout traversé les siècles jusqu’à nos jours?

La pouorta de la capela San Grat

La réponse se trouve inscrite dans la finalité de ces lointaines associations. Que sont les Pénitents? Quelle est le rôle de ces sociétés de Pénitents?

Les confréries de pénitents sont des associations réunissant des laïcs, ce ne sont pas des sociétés de membres de l’église. Ces laïcs charitables jouent un rôle actif dans la vie de la Cité et leur vocation est double. En premier lieu, ils expriment une manifestation publique de leur foi catholique, car ce sont des catholiques, c’est à dire à l’origine des Chrétiens d’Europe qui se distinguent des autres chrétiens dans la mesure ou le catholicisme pour s’implanter en Europe a épousé les formes et les rites des anciennes religions « païennes » qui existaient ici depuis des millénaires. Il s’agit, en fait, d’un véritable syncrétisme entre le Christianisme et le Paganisme qui a donné naissance au Catholicisme, issu de  Rome et non pas de Jérusalem. Secondement, ces laïcs manifestaient leur présence auprès des plus démunis: en ces temps ou il n’y avait pas de « sécurité sociale », ces confréries avaient un rôle mutualiste dans la société, pour venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Dans les sociétés anciennes, culturellement homogènes ce qui avait pour conséquence de préserver une solidarité active entre les membres de la communauté, la nécessité d’un grand nombre de ces citoyens catholiques fut de créer des associations leur permettant d’agir et de perdurer. Le rôle social des confréries de pénitents est indéniable. La réponse aux deux questions que nous posions (leur permanence dans  le temps et leur déclin relatif) est contenue dans leur finalité sociale. Les sociétés évoluant et créant d’autres structures de solidarité, telle la sécurité sociale à l’époque moderne, ont fait que les confréries se sont trouvées amputées de certaines de leurs prérogatives.

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Voyons, à présent, quelles étaient les prérogatives de chacune de ces sociétés.  La première de celles-ci (par ordre chronologique),  l’Archiconfrérie des Pénitents Blancs se dota d’une mission d’assistance aux malades et aux déshérités. Sa vocation est clairement hospitalière et c’est ainsi que assez rapidement, après avoir occupé des bâtiments de l’administration communale (l’hôpital communal Saint Eloi), les Pénitents Blancs décideront de construire leur propre hôpital, pour soigner les « pauvres et les infirmes » (décision du 7 mars 1632) dont les règles furent fixées par un règlement intérieur (17 mai 1632) qui obligeait les membres de la confrérie de participer directement aux soins des malades. Ce premier hôpital de la Sainte Croix ouvrira en 1636 au 5 rue François Zanin. C’est bien plus tard, que le roi de Piémont-Sardaigne, Victor Emmanuel II autorisera les Pénitents Blancs à acheter un terrain route de Turin pour y construire leur nouvel hôpital (celui que nous avons connu à l’époque contemporaine). Il fonctionnera jusqu’en 1973 sous la gestion des pénitents puis une convention sera passé pour qu’il passe sous la gestion du CHU de Nice, jusqu’en 1996. Il sera détruit puis reconstruit (au 38 rue de la rue de la république actuellement) et la partie revenant à l’Archiconfrérie (la nouvelle maison Sainte Croix) accueille une crèche et des locaux à vocation sociale. L’ancien local de la rue François Zanin est devenu le siège de l’Archiconfrérie.


Les pénitents noirs quant à eux avaient un tout autre rôle. Ils avaient pour vocation de porter assistance aux condamnés à mort, rôle disparu aujourd’hui avec l’abolition de cette peine. Ils avaient créé un très important Mont de Piété qui pouvait aider les gens qui avaient des difficultés financières: ce mont de piété s’appelait l’Aumône de la Miséricorde. Après l’annexion de notre pays par la France, il se transforma  le 16 juin 1861 en Bureau de Bienfaisance. de nos jours ce bureau est devenu le Centre Communal d ‘Action Sociale de la Ville de Nice, qui n’est plus géré par les pénitents. Le dernier rôle dévolu aux pénitents noirs, dès le début, rôle qu’ils exercent encore de nos jours, était l’aide « funéraire  » aux plus pauvres. Ils sont encore appelé à l’athanée de la Ville lors des obsèques qui se  déroulent à l’époque actuelle. Ils aident les familles en deuil et peuvent célébrer les funérailles à l’athanée.

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Les pénitents bleus ont eu, dans le passé, des missions fort importantes. Ils s’occupèrent de la gestion de l’Hôpital Saint Eloi avant que les pénitents blancs, dont la vocation était hospitalière, ne reprenne en charge cet hôpital.  Ils eurent en charge l’hospice des orphelines de 1584 à 1763, date à laquelle ils intégrèrent l’hospice général de Charité. Les vieux Niçois se souviendront que l’endroit ou se trouve aujourd’hui Nice Etoile était le terrain de la Charité.  Ils eurent en charge la réception des pauvres infirmes, depuis l’an 1596, dans l’hôpital du même nom, que l’on appelait également Hôpital Saint Lazare, jusqu’à ce que, en 1792, les armées révolutionnaires françaises ne viennent envahir, provisoirement, le Comté et suppriment cette mission des pénitents bleus. Aujourd’hui, ce sont les moins nombreux et, en dehors de la conservation de leur chapelle de la Place Garibaldi, ils s’occupent, principalement, de catéchèse.


Enfin, les Pénitents Rouges, quant à eux,  s’occupèrent longtemps des orphelins et accueillirent les pèlerins: à côté de leur chapelle du Saint Suaire, il y avait des bâtiments qui servaient à cet accueil, bâtiments qui ont été repris par la Ville et ou a pris place l’accueil de nuit.  En dehors de ces missions, aujourd’hui abandonnées, les pénitents rouges ont eu la garde du Saint Suaire quand le Duc de Savoie, qui le détenait, ayant fui Chambéry, se réfugia à Nice en l’emmenant avec lui (depuis il est à Turin ou les « Savoie » l’avaient amené). Le rôle des pénitents rouges, de nos jours, consiste, suivant un indult accordé par la Pape, le 30 octobre 1984, à délivrer la messe tridentine en latin (ce que l’on appelle le rite traditionnel dit « Tridentin »). Ils célèbrent ainsi chaque 11 mai une cérémonie pour le Saint Suaire et chaque dimanche la messe est dite en latin.

Chaque confrérie de pénitent est attachée à une chapelle: Sainte Croix pour les blancs, de la Miséricorde pour les noirs, du Saint Sépulcre pour les bleus et Très sainte Trinité et du Saint Suaire pour les rouges, mais nous n’en parlerons pas ici: cela fera l’objet d’un prochain article, tant elles regorgent de chefs d’œuvre.

Nous signalerons juste pour illustration de nos propos précédents, une représentation de la vierge qui se trouve dans la chapelle des pénitents rouges. Nous vous disions que le Catholicisme était, à l’origine, une religion proprement européenne, un syncrétisme entre le paganisme de notre vieille Europe et le christianisme importé d’Orient, seule façon pour ce dernier de pouvoir s’implanter durablement à l’époque, une religion véritablement issue de Rome et non de Jérusalem (n’oublions pas quand même la « Sainte Eglise Apostolique et Romaine » qui lui conférait cette dimension Impériale). De la même façon se fit l’implantation des confréries de pénitents, qui allient le laïc et le religieux, dont le rôle était ressenti par les populations de notre Comté comme fondamentalement social. Une représentation de la vierge, qui trône dans la chapelle du Saint Suaire, représente une femme enceinte, ce qui est exceptionnel, dans l’iconographie ou la statuaire européenne (puisqu’il n’y a que dans cette forme de christianisme  particulier qu’est le catholicisme que l’on a des représentations imagées des personnages sacrés: nulle part, les religions du livre n’ont autorisé des représentations imagées des figures sacrées que ce soit le judaïsme, le christianisme ou l’islam). Cette vierge enceinte est véritablement la  représentation de Gaïa, la déesse mère, la terre nourricière, symbole important dans notre pays fidèle à toutes les périodes de son histoire, revendiquant à la fois le vieux fond païen venu de la nuit des temps en même temps que le Catholicisme qui  a marqué cette terre.         « A la nouostra istoria, sèmpre fedel »

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(*) l’Archiconfrérie de la Trés Sainte Trinité a été fondée à Rome en 1550  par Philippe Neri (qui a été sanctifié et est le Saint patron de ces pénitents rouges).

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