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ENTRETIEN AVEC…Sylvain CASAGRANDE (Lu Rauba Capèu)
Lu Rauba Capeu fan balà la Countéa de Nissa
La culture Bretonne a une vitalité étonnante, particulièrement par ses « fest-noz » et ses « fest-dez » dans lesquels des milliers de jeunes Bretons viennent danser chaque semaine. Nous avons la chance dans le Comté de Nice d’avoir un groupe tel « Lu Rauba Capéu » qui fait danser de nombreux jeunes (et moins jeunes) Niçois tout au long de l’année.
Robert Marie MERCIER: Sylvain Casagrande, bonjour. je suis très content de pouvoir vous rencontrer pour parler de culture Nissarde et que vous me fassiez mieux connaître votre groupe « Lu Rauba Capeu« , ce groupe qui fait danser tout le Comté de Nice depuis quelques années déjà.
Sylvain CASAGRANDE: « Bouon jou, anen parlà frances couma co seraï maï facile per l’escriéure ».
RMM: Pouvez vous nous parler, d’abord, des membres du groupe et de leur histoire ?
SC: Alors, les membres du groupe: nous sommes quatre dans « Lu Rauba Capeu ». Il y a Jean Clerissi, « Jeannot », le batteur du groupe, celui sur qui s’appuie véritablement la rythmique de notre groupe…et la rythmique c’est important. Jeannot a déjà joué dans un certain nombre de petites formations traditionnelles, pas forcément du Comté de Nice et il fait partie d’un groupe de fifres et tambours de Venanson, « Li Murès ». Dans le « civil » il est ingénieur en télécommunications. Ensuite, il y a Xavier Borriglione, qui lui aussi est, à la base, ingénieur en télécommunications (c’est par leur boulot qu’ils se sont connus): je disais à la base, car, Xavier a maintenant abandonné sa profession d’origine pour se consacrer à ses passions, les métiers du spectacle et la sophrologie. Pour ce qu’il est convenu d’appeler les « métiers du spectacle », il n’est pas que le fifre de « Lu Rauba Capeu », mais aussi le fifre de « Nux Vomica ». Il gère et il joue dans une groupe de fifres et tambours de Lantosque, « Lou Mourtaïre ». Il a, au départ, une formation classique de haut niveau (grand prix de conservatoire) en flute traversière: il a ensuite bifurqué vers le fifre, instrument privilégié dans notre Comté. Il s’est intéressé aux musiques de transmissions orales, sans partitions. Et, il mène un spectacle de conteur moderne: un « one man show » humaniste et humoristique de la Vésubie. De nous tous, c’est celui qui a, le plus, la mentalité saltimbanque, artiste. Enfin, il y a les deux frères Casagrande, deux accordéonistes, mon frère Renaud et moi.
RMM: Anciennement, « L’as pagat lou capèu? »
SC: C’est plus complexe. Bon, reprenons au début. Nous avons commencé à jouer de l’accordéon diatonique au CEDAC de Cimiez. Au départ, ce fut assez informel: il s’agissait de se réunir pour jouer à deux ou trois pour des « baléti » et nous avons fondé l’association « L’as pagat lou capéu ? », association qui existe d’ailleurs toujours. Mais ce groupe ou nous avons été jusqu’à 6 a connu diverses vicissitudes (séparations, départs, etc.) Jusqu’au jour ou mon frère et moi nous nous sommes retrouvés seuls et nous nous sommes posé la question de savoir ce que l’on allait faire à l’avenir. On a cherché qui pourrait s’adjoindre à nous pour faire quelque chose de plus structuré et proposer un style tout à fait nouveau. C’est à ce moment là que nous avons rencontré Xavier qui nous a fait connaitre ensuite Jeannot. Mais, comment appeler ce nouveau groupe ? On avait un problème au niveau du nom parce qu’on voulait fonder quelque chose de nouveau et non pas reprendre « L’as pagat lou capéu ? » en y adjoignant deux nouveaux musiciens (Xavier et Jeannot)…non, ce n’étaient pas des pièces rapportées, mais bien, des membres à part entière d’un nouveau groupe. On a donc bien créé à quatre le nouveau groupe « Lu Rauba Capéu », groupe qui est géré par l’association déposée « L’as pagat lou capéu ? ».
RMM: on peut dire que vous jouez toujours du chapeau.
SC: Oui, cela faisait aussi la relation avec l’ancien groupe pour nous identifier et il est vrai que nous avons l’habitude de nous promener tous avec la « bacha » ou le « capéu ».
RMM: A quelle date peut on situer véritablement la naissance du groupe ?
SC: en fait, on peut dater précisément le démarrage du groupe à l’automne 2006. A cette époque on aurait pu partir sur un petit projet, mais, j’avais été contacté peu avant par « Lou Dalfin » des vallées occitanes du Piémont qui m’avaient dit: « il faudrait que vous veniez jouer à la fête de « Lou Dalfin » pour représenter l’autre partie du Comté de Nice et donc jouer de la musique Niçoise. » Et, trois semaines avant cette fête, on s’est retrouvés chez Jean pour une répèt’ improvisée à la suite de laquelle on a décidé de participer à la fête Piémontaise et comme nous n’avions pas de nom, on s’est appelé, pour la circonstance, « l’as pagat lou baudou ? » Et notre première représentation a eu lieu fin octobre 2006. Ce fut l’acte de fondation. Mais comme on avait vu que çà marchait entre nous, on s’est dit: « ce serait bête de ne s’en tenir qu’à la fête de « Lou Dalfin » et de s’arrêter là. » Vu que lors de ce spectacle nous étions tous les quatre à fond dans le truc, on a décidé de pousser plus loin cette expérience. Et, ça fait maintenant quatre ans que « Lu Rauba Capéu » sont présents sur les scènes du pays.
RMM: Bon, une fois votre groupe constitué, il vous a sans doute fallu monter un répertoire. Et, est ce que l’aspect danse a fait immédiatement partie de l’identité du groupe ?
SC: Au niveau de la danse c’est autre chose. Pour ce qui est du répertoire, Renaud et moi, on naviguait dans le répertoire trad’, mais ce qui nous gênait c’est que ce répertoire traditionnel partait dans tout les sens et englobait tout et n’importe quoi. En fait, toutes les musiques des pays enracinés se retrouvaient dans ce répertoire et débordaient largement le cadre de notre culture. Et, nous trouvions que c’était nul et pas satisfaisant au niveau culturel. Et, comme Renaud avait déjà composé plusieurs morceaux que l’on pouvaient, puisqu’écrite par un enfant du pays, considérer comme des musique d’ici, notre créneau était tout trouvé. En plus, Jeannot et Xavier amenaient, de leur côté, pleins d’airs de la Vésubie. C’était vraiment ce que nous voulions: jouer de la musique de chez nous. et quand on nous demande ce que l’on joue, je réponds de la musique du Comté de Nice et du Piémont. En fait, nous avons au répertoire des musiques traditionnelles du Comté que nous jouons de la manière la plus authentique, des airs anciens du pays que nous avons revisité d’une manière assez moderne et enfin des compositions de mon frère, Renaud.
RMM: Au niveau musical c’est donc Renaud qui compose.
SC: Oui, beaucoup de compositions sont créées par lui.
RMM: Si Renaud fait la musique, qui écrit les paroles ?
SC: Très peu pour moi? Je n’écris pas ou peu. Je ne me revendique pas poète du tout. J’ai écrit quelques textes et j’en ai en préparation pour le prochain album. Mais, au niveau des paroles, nous avons Xavier qui écrit. Et pour certaines chansons, nous avons traduit à plusieurs les paroles en Niçois.
RMM: Ceci nous semble important, car, si nous revendiquons notre répertoire musical traditionnel, il faut, pour qu’une culture vive au présent, que l’on sorte des nouveautés adaptées à l’air du temps.
SC: Oui, c’est vrai et c’est pourquoi nous sommes content d’avoir Xavier parmi nous car il n’est pas du tout dogmatique dans ce domaine et se permet d’écrire aussi bien en Nissart qu’en français. Moi, je m’y refuse, sans savoir pourquoi vraiment. mais, je pense qu’il a raison d’écrire aussi en français pour permettre à un plus large public de nous comprendre.
RMM: Je rejoins tout à fait ce point de vue. Car, il y a un nombre important de gens qui veulent défendre la « nouostra cultura » mais qui ne parlent pas la langue Niçoise (il faut dire que des générations entières ont été sacrifiés à la francisation à outrance) et si nous nous coupons de ces gens là par un intégrisme linguistique, nous nous privons de forces vives pour notre combat. D’ailleurs, je cite souvent cet exemple: si les Irlandais avaient attendu de tous parler Gaëlique pour faire leur révolution, ils seraient encore anglais.
SC: Oui c’est vrai que nous devons intégrer cet aspect des choses.
RMM: D’autant que nous sommes un pays, « lou Païs Nissart » qui a la particularité historique d’avoir eu plusieurs langues parlées sur son territoire ( Le Niçois- très différents d’une vallée à l’autre et différents du bord de mer à la montagne, le français amené par les Savoyards et l’Italien par les Piémontais…sans compter les apports Provençaux).
SC: Alors là, je peux vous dire, en tant que linguiste, car c’est mon domaine, que l’idée utopique d’une langue niçoise uniforme est battue en brèche par la réalité: il y a autant de dialecte local qu’il y a de villages et de vallées et il peut y avoir des différences significatives entre eux.
RMM: C’est vrai que c’est une caractéristique du Comté de Nice qui est et a toujours été , il faut le rappeler, un lieu de passage important. Cela dit, il faut être pragmatique et se fixer une ligne commune, dans la mesure ou toute nation qui se crée, adopte une langue commune (cela a été vrai pour l’Italie en 1861 qui a choisi le Florentin et aussi pour Israël qui a recréé un hébreu moderne assimilé en trois générations).
SC: C’est vrai, mais c’est un peu difficile. Pour en revenir à ce que vous me disiez tout à l’heure à propos de l’environnement de « Lu Rauba Capeu » qui se caractérise par la présence de danseurs à chaque représentation, il s’agit d’une histoire qui concerne plus spécifiquement Renaud et moi même. Cela remonte à l’époque de notre précédent groupe quand nous allions jouer dans un « pub », aujourd’hui disparu, à Nice: il y avait souvent une bande de copains qui aimaient ce que nous faisions, des jeunes qui venaient tâter leurs premières soirées avec de la bière, et qui trouvaient que c’était assez dansant. On leur a dit qu’il existait des danses sur ces musiques et cela les a intéressé d’apprendre ces danses plutôt que de continuer à sauter et crier sur les airs que nous jouions. On a décidé d’organiser une petite fête à la maison (mon frère avait l’habitude d’organiser des boums entre ados) et on leur a dit, il n’y aura que des danses. Il y avait au départ une dizaine de copains qui ont participé: certains n’ont pas été intéressés et ne sont pas revenus, mais d’autres ont accroché et on même fait venir des copains, et on a fini par se retrouver, lors de ces fêtes à la maison , avec une vingtaine de copains bien accroché qui dansaient tous. Et quand nous faisions des « balèti », ils nous suivaient. Puis, ils ont continué quand nous avons créé « Lu Rauba Capéu ». En fait, cela est très intéressant. Si les gens viennent au spectacle simplement pour nous écouter sans rien faire d’autre, ils écoutent et c’est tout, c’est passif. Si quand nous jouons, il y a un ou deux couples qui dansent, cela fera décalé et surprenant (mais pas dans le bon sens du terme). En revanche, si quand nous jouons, et ce, quel que soit le nombre de personnes présentes, il y a 10, 15 , 20 personnes qui se mettent à danser ensemble, cela a un effet d’entrainement et l’attention se porte sur ces gens. Et c’est cela que nous voulons: que le spectacle ne soit plus uniquement sur scène mais également dans le public, car il y a, alors, un véritable partage. Ce qu’on veut c’est la fête.
RMM: Je vous rejoins totalement sur l’idée de partage, car ce type de danse est très convivial et amène le partage, totalement à l’inverse des danses modernes ou les gens se séparent et ne dansent pas ensemble mais à côté.
SC: Oui, c’est vrai et cela m’amène à faire une constatation supplémentaire: dans notre public danseur, nous avons un gros gros trou dans les tranches d’âge entre 30 et 50 ans. Si vous allez dans une soirée, il va y avoir 45% du public qui a plus de 50 ans, 45% qui a moins de 30 ans et seulement 10% entre 30 et 50. Et, en général, c’est dans ces 10% que l’on trouve ceux qui font n’importe quoi et qui ne s’intègrent pas au groupe. Et la différence entre ces danses et les danses plus modernes, celles que l’on pratiquent en boites de nuit, si tant est que cela soit de la danse, en fait du « boulegage », on remue sur de la musique, il n’y rien de chorégraphié, est que nos danses se font en couple ou en groupe: on sent l’autre, on tient l’autre, c’est charnel…on ressent quelque chose de fort (et cela n’a rien à voir avec le fait de se plaire ou pas). Quant aux danses de groupe, si tu ne fais pas comme le groupe tu te fais jeter, le groupe te rejette: et ça c’est important car ça marque l’aspect communautaire. Et celui qui fait n’importe quoi, qui n’adhère pas aux valeurs du groupe il se fait rejeter rapidement et se retrouve seul. Il y a bien quelques danses (nous en faisons peu, à vrai dire) ou les partenaires ne se touchent pas et que l’on danse seul, mais, il y a alors une chorégraphie précise et tout le monde danse dans le même mouvement, tout le monde est pris dans ce mouvement. D’ailleurs, un phénomène intéressant: si des personnes qui ne savent pas vraiment danser vont en boite de nuit, elles vont passer sa soirée le cul sur une chaise à siroter dans leur coin. Si ces personnes se retrouvent dans une de nos soirées, il y en a une grande partie, une très grande partie qui se lève et ils vont danser car là, ça les intéresse plus de partager avec d’autres, sans être seul à remuer comme un con au milieu d’une piste: là, tu es pris dans un groupe, dans un mouvement et tu as envie de faire partie de ce groupe. je peux vous dire que ce qui m’éclate c’est d’aller à la « festa dou Delfin » dans le Piémont, car là bas il n’y a pas 20 ou 30 personnes qui dansent ensemble, ce sont 2000 personnes qui font ensemble la même chose, le même mouvement: vous voyez, ces gens, vous ne les connaissez pas, vous ne savez pas qui ils sont, mais vous avez l’impression que ce sont vos frères. En fait, pour conclure sur ce chapitre: il n’y a pas de communauté humaine à l’état naturel qui n’ait pas de danse. Depuis la nuit des temps, les tribus de nos ancêtres avaient un rituel humain que l’on peut apparenter à la danse.
RMM: Je vous rejoins totalement, à tel point que les animateurs d’aujourd’hui que ce soit en boite ou à la télé, ne disent plus dansez et applaudissez, mais bougez et faites du bruit. Une petite remarque: on s’aperçoit que ce besoin de s’exprimer par le mouvement pour exprimer sa culture par le biais de la danse ou de la musique est un besoin fondamental des peuples. A tel point que, de nos jours, dans cette société atomisée et destructurée, on voit les individus éprouver le besoin de s’exprimer par des « flash-mob », ces chorégraphies qui paraissent spontanées et qui sont un moyen de s’exprimer ensemble. Et, j’ajouterai qu’on ne peut faire n’importe quoi: dans la danse, comme dans la langue ou la musique, on ne peut faire n’importe quoi, il y a des codifications, codifications qui sont des marqueurs d’une culture.
SC: Oui, pas plus que je ne crois à un aspect artificiel de la danse. Dès qu’un être humain est en groupe, on s’aperçoit que la danse est un phénomène naturel: par exemple, lorsque vous êtes en présence de « tout petits » et que vous mettez de la musique, et bien, ces « tout petits » se mettent à danser. Et, il est dommage que de nos jours, on méprise ce moyen de communication, voire on le déstructure jusqu’à en faire n’importe quoi. Et, ce que la société moderne appelle danse et qui n’est souvent qu’une gesticulation (les danses de boites de nuit), qui, de plus, isole le danseur puisqu’elle se pratique seul entraîne un autre phénomène: le fait que l’on se sente jugé dès que l’on danse seul au milieu de la piste et cela est totalement inhibiteur…et ce phénomène est très majoritairement masculin. Si on ne se sent pas à l’aise sur tel rythme et que l’on ne sait pas quoi faire en bougeant tout seul devant les autres, très rapidement on est coincé et cela fait que beaucoup de mec’ te disent: « moi, je ne danserai jamais, c’est pas mon truc ». les filles sont moins coincée de ce point de vue là.
RMM: Oui, c’est très vrai et l’exemple que vous donniez des enfants qui se mettaient à danser en entendant de la musique le confirme: l’enfant en bas âge n’a pas encore toutes ces inhibitions.
SC: Tout à fait, alors que lorsqu’on en vient à nos danses qui se pratiquent à plusieurs (au moins deux), vous ne sentez pas ce jugement, parce que la personne qui danse cent fois mieux que vous, ne vous juge pas mais, au contraire, vous montre les pas de la danse et vous guide. Le bon danseur ne vous diras pas: « mais qu’est ce que tu fais là ». Au contraire, il viendra vous montrer les pas et vous aider. Vous ne verrez jamais dans une boite quelqu’un venir au secours de celui qui est gauche et ne sait pas remuer…et pour cause, dans ce genre de « musique », il n’y a rien à montrer.
Thanks
Une interview au top !
Pour avoir déjà dansé plusieurs fois grâce aux Rauba Capeu, je peux témoigner de l’ambiance bon enfant qui règne à chaque fois.
VIVA !
J’ai passé 8 mois à Nice, cette si belle ville, et j’ai eu l’occasion de participer à un balèti avec nos amis rauba capéu: je me suis régalé! Petit concert avec lou Dalfin également avec rauba capéu en dubertura: mascaire!
Issa NISSA!