Pour la défense des Langues et Cultures Européennes Menacées…

Le Monde s’appauvrit, l’Europe s’appauvrit, les Nations s’appauvrissent de plus en plus avec le monde moderne

Ce qui fait (faisait ?) la richesse du monde était sa diversité. Aujourd’hui, nous pouvons constater que cette diversité est bien mise à mal dans tous les domaines (linguistique, culturel, biologique,etc.) Quand une culture disparaît, c’est toute l’humanité qui s’appauvrit. Dernièrement a eu lieu à Nice le 25° congrès de l’ALCEM (Association pour les Langues et Cultures Européennes Menacées) auquel j’ai été invité et ai eu l’honneur de participer en présentant une communication « Langue, Histoire, Identité: un passeport pour l’avenir ». Je tenais à vous la présenter dans notre site et vous trouverez le texte complet de ma conférence ci-dessous.  En préambule, je vous livre une citation à méditer: 

« Rien ne serait plus contraire à la vérité que de voir dans l’affirmation de l’identité culturelle  de chaque nation, l’expression d’un chauvinisme replié sur soi-même. Il ne peut y avoir de pluralisme culturel que si toutes les nations recouvrent leur identité culturelle, admettent leurs spécificités réciproques et tirent profit de leurs identités enfin reconnues ». (M. Amadou Mahtar M’Bow – directeur général sénégalais de l’UNESCO)

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Langue, Histoire, Identité : un passeport pour l’avenir

Nous sommes bien au congrès de l’Association pour les Langues et Cultures Européennes Menacées dont le nom porte en lui-même l’essence des propos que je vais tenir devant vous.
Soyons clairs ! Effectivement nous sommes, aujourd’hui, face à une menace très grave qui tend à faire disparaitre toutes les formes de la biodiversité dans le monde. Et, il est évident que la langue et la culture en font partie. En préambule, il convient de dire que la Culture, dans sa plus grande acceptation est l’ensemble des éléments qui caractérisent un groupe humain, un peuple. Et la langue, justement, fait aussi partie de la culture au sens large.
Un constat s’impose à nous, à présent, comme une évidence : nous vivons à l’ère du « mondialisme », une dénomination qui cache, en fait ,la réalité, à savoir une standardisation volontaire et planifiée du monde, standardisation nécessaire à l’expansion du « Marché » planétaire que le « rouleau compresseur » de l’économie veut mettre en place partout, réduisant l’être humain à un simple consommateur interchangeable en tout lieu et tout temps. Ainsi, le véritable danger est que nous devenions non plus des sujets de notre destin mais des objets d’un avenir décidé par des économistes totalement déracinés.
La défense de nos langues et de nos cultures est l’expression d’une volonté forte pour conserver notre identité, cette identité qui est le gage de la diversité du monde, et, par là même, de sa richesse, Dans le même temps, c’est un choix de société qui préserve les liens de l’individu avec son passé (sa tradition), son présent (sa communauté) et son futur (sa descendance). N’oublions pas que nous sommes, à la fois, des héritiers et des transmetteurs. Nietzsche disait d’ailleurs, à ce propos: « l’homme de l’avenir sera celui qui a la mémoire la plus longue ».

C’est un sentiment profondément humain que ce penchant à vouloir savoir d’où l’on vient afin de pouvoir se construire une identité et se projeter dans l’avenir. Car l’être humain n’est pas un pion interchangeable au sein du groupe qui l’entoure, il n’est pas un individu déterminé à l’identique comme cela peut-être le cas dans une fourmilière où chaque fourmi n’est que le produit du déterminisme biologique qui fait que chacune d’entre elles est programmée, dès sa naissance, pour remplir son rôle dans le groupe en effectuant des gestes et des tâches reproductibles à l’infini toute sa vie durant. L’être humain, en revanche est un animal culturel ; ce qui veut dire qu’il peut dépasser le stade de nature par la culture et ainsi forger des communautés dont les individus qui les composent se construisent des référents communs, référents qui assurent la pérennité du même groupe. Dans le même temps, l’individu n’existe réciproquement que par le groupe qui lui assure une forme de protection. Chaque individu du groupe s’identifie à celui-ci et aux autres membres de la communauté. Ainsi quand un membre de celle-ci est attaqué, chaque membre se sent attaqué et induit une défense commune. Pensez que l’Homme (vous savez celui dont on parle dans les droits de l’Homme) est un être désincarné est une erreur profonde car on ne peut sortir un individu de son milieu sans que ne se crée un déséquilibre préjudiciable pour celui-ci (un peu comme une plante que l’on sort de son milieu naturel).
Ainsi, priver un peuple de sa culture, de ses traditions, de sa langue finit par fragiliser chacun de ceux qui le compose par manque de repères et les placent en situation périlleuse face aux agressions du monde moderne. Notre force est de pouvoir nous replonger dans nos racines et de profiter de la force du groupe (car on observe que les groupes homogènes sont un élément fort et déterminant de la protection des éléments de ces groupes). Je voudrais, ici, prendre un exemple, paradoxal somme toute, qu’est la devise de la Belgique « L’union fait la force ».pour illustrer mes propos. Cette devise porte en elle-même ce que j’expliquai juste avant quant à la force du groupe. En revanche, elle s’applique à un pays relativement récent dans l’histoire (pensez qu’au moment de la révolution belge de 1830, le Comté de Nice faisait toujours partie des Etats de la Maison de Savoie), Cet état va naitre en plein XIX° siècle, au moment de l’émergence des « Etats-nations » et de la révolution industrielle. Et, malheureusement, ces « Etats-Nations » pour exister ont souvent eu besoin d’étouffer les cultures locales pour imposer une culture unique. Les états modernes qui intègrent des pays de différentes langues et cultures adoptent différentes formes d’administration. Je distinguerai déjà, les états qui se sont constitués par adhésion de ceux qui se sont constitués par conquêtes et annexion. Parmi les pays qui se sont constitués par adhésion, nous avons l’exemple le plus accompli, la Suisse, qui est véritablement un état fédéral (comme l’étaient les Empires avant la révolution française : ensuite nous somme passé à l’impérialisme qui est véritablement tout le contraire), état fédéral qui respecte chaque langue et chaque culture par une répartition harmonieuse des pouvoirs. L’autre exemple est celui de l’Allemagne fédérale qui laisse de grands pouvoirs à ses Länder. D’autres pays, en Europe, tels l’Italie et l’Espagne accordent quelque autonomie à certains de leurs territoires. Et, malheureusement pour nous, l’état français, qui ne s’est constitué, tout au long de son histoire, que par la conquête et l’annexion, est le plus fortement centralisé dans sa structure, et sa mentalité jacobine, ne laissant aucune autonomie aux différents pays qui la compose. Pour en revenir à la Belgique, constituée principalement de 3 grandes communauté linguistique (Francophone, Néerlandophone et Germanophone), celle-ci fait mentir sa devise à cause des forces centrifuges qui la traverse et c’est en cela que je parlais de paradoxe. Je ferai, ici, une petite remarque en signalant qu’aujourd’hui, ce sont les petits pays qui s’en sortent mieux que les grands, et surtout de façon plus harmonieuse.
Or, pour reprendre le fil de cette communication, dans notre monde moderne, la tendance est à vouloir façonner des individus sans attaches culturelles qui seraient des clones interchangeables et modelable à souhait afin qu’ils se plient au bon vouloir du Marché mondial, c’est-à-dire parler un seul « volapük », manger et boire les mêmes produits manufacturés, s’habiller de la même façon, vivre dans les mêmes petites « cellules préfabriquées », et n’avoir de choix que celui qu’on lui propose.
Alors oui, c’est un véritable choix de société auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Ce n’est pas être passéiste, nostalgique ou réactionnaire que de défendre sa culture et sa langue. C’est véritablement un acte de légitime défense. Il ne faut tout de même pas oublier, en ce qui concerne notre pays niçois, que c’est une volonté politique qui a privé des générations de niçois de l’usage de notre langue. Il est évident que seule une volonté politique inverse pourra nous permettre de restaurer l’utilisation de notre langue au quotidien. Et, pour cela, face à des institutions qui restent dans une logique assimilationniste des peuples sous sa tutelle, il conviendra de créer les conditions pour infléchir la politique linguistique de l’hexagone en développant des groupes de pression suffisamment puissants pour être entendus.
Si demain, nous ne voulons pas devenir des « clones » ne maitrisant plus leur destin, notre combat pour que notre histoire, notre langue et notre identité ne disparaissent pas devient essentiel et représente, effectivement, un passeport pour notre avenir et celui de nos enfants.

Robert-Marie MERCIER
Président de l’association « Racines du pays Niçois » et Vice-président de « l’Alliance Européenne des Langues Régionales »

 

L’Europe ne peut être forte que par l’existence affirmée  des cultures de tous les peuples qui en font partie.  (Robert-Marie Mercier)

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