Entretien avec…Laurence Sarfati

Un bon nombre d’entre vous ont entendu parler de cette lutte menée par les habitants de la Roya pour sauver leur ligne de chemin de fer menacée aujourd’hui.

 

Nous avons décidé de rencontrer une des figures de la vallée qui oeuvre au sein du comité de défense de cette ligne. Laurence Sarfati nous a gentiment  reçu à Tende afin de répondre à nos questions.

 

Robert Marie MERCIER: Bonjour Laurence. Heureux de vous revoir, chez vous, à Tende, pour parler de votre combat afin que la vallée de la Roya ne soit pas coupée du monde.

Laurence SARFATI: Bonjour, nous sommes toujours contents quand ceux d’en bas s’intéressent à nos villages et à nos vallées.

 

R.M.M: Nous avons appris qu’une manifestation allait avoir lieu le samedi 20 septembre 2014 sur la place Masséna  à Nice à 14H00 pour la sauvegarde de la ligne de chemin de fer Nice-Cuneo. Pourquoi une telle manifestation ? Cette ligne est elle vraiment toujours menacée ?

L.S: Comme vous vous le savez depuis aussi longtemps que vous soutenez notre lutte (c’est à dire la troisième année avec une année qui a vraiment fait peur, l’année 2013, durant laquelle l’Italie avait prévu la fermeture totale de la Vintimille Cuneo) cette ligne n’est qu’en sursis. Nous n’avons aucune certitude sur l’avenir de celle-ci.

sauvons notre ligne de chemin de fer

sauvons notre ligne de chemin de fer

R.M.M: Pouvez vous nous dire tout ce que représente cette ligne pour les gens de la vallée de la Roya ?

L.S: Pour les gens de la vallée elle est véritablement une ligne de vie. Elle permet à nos enfants d’ailler et venir pour leurs études, elle permet aux salariés, ne travaillant pas forcément sur leur commune, de se rendre au travail, elle permet les échanges de toutes sortes à l’intérieur de notre vallée et, aussi, avec les autres vallées françaises ou Italiennes qui nous entourent, elle permet aux visiteurs et vacanciers de venir chez nous et de séjourner et visiter notre vallée si riche au niveau historique et culturel, elle permet, enfin, à la vie de circuler. C’est pourquoi, ici, nous l’appelons notre ligne de Vie.

la route du sel

la route du sel

R.M.M : Mais dépasse-t-elle vraiment le cadre de la vallée ?

L.S: Bien sûr, elle dépasse ce cadre là, parce que les échanges entre les deux « capitales historiques » Nice et Turin ont toujours existé. Bien avant la ligne actuelle, elle fût une ligne internationale qui a, ensuite, été morcelée pour finir par devenir régionale. Mais, dans la pratique, les gens utilisent toujours cette ligne Nice/Turin et Ventimiglia/Torino. Avec beaucoup de mal, cependant, lors de ces 3 dernières années, vu le peu de cadences proposées. Il faut dire, aussi, que nous avons de nombreux échanges quotidiens entre la province de Cuneo et notre vallée ainsi que dans l’autre sens. Ces échanges ont des motivations scolaires, professionnelles et familiales, mais également des déplacements pour les loisirs, que ce soit l’accès à la mer l’été pour ceux du Nord ou l’accès aux pistes de Limone l’hiver pour ceux du Sud. Ces mouvements de population ont lieu dans tous les sens de l’Italie vers la France, de l’Italie du Nord vers l’Italie du Sud, de la France vers la France, de la France vers l’Italie.

 

R.M.M: En fait, historiquement, c’est un vrai lien avec le Piémont et la Ligurie ?

Nissa-Piemount-Liguria

Nissa-Piemount-Liguria

L.S: Effectivement, elle est située sur un axe historique: celui qui reliait Nice à Turin. Cette fameuse « route du sel » devenue « route Royale » par la suite qui était la voie la plus directe entre le deux villes. L’histoire de la ligne a commencé du coté Italien en 1904 car elle correspondait à un besoin réel. C’est pourquoi, cette ligne est inscrite dans la mémoire de notre vallée. Avant les trajets se faisaient par la « route du sel » qui était la seule voie reliant Nice à Turin: les échanges étaient fort nombreux et cela est resté le cas aujourd’hui. Les étudiants, qu’ils soient de nationalité italienne ou française, vont et viennent de par et d’autre de la « frontière », il en va de même pour les salariés. En ce qui concerne les vacanciers, il faut savoir que les gens qui vivent sur la côte (Française ou Italienne) ont bien souvent des maisons de famille dans les montagnes du Piémont. Ainsi, depuis que les gens se déplacent du Sud vers le Nord, les échanges ont toujours été nombreux et ont créé des liens pérennes. Cette ligne Nice-Vintimille-Cuneo a vécu déjà plus d’un siècle d’histoire et nous avons pour devoir de la préserver.

 

R.M.M: Vous avez évoqué un devoir de mémoire, tout à l’heure. Voulez vous parler des travailleurs qui ont payé de leur vie la construction de cette ligne difficile ?

L.S: Certainement mais pas seulement. La construction de cette ligne a été lente et difficile , tout cela a pris des années et a nécessité de véritables prouesses techniques de la part des ingénieurs et des ouvriers. Elle ne s’est pas faite d’une traite mais partie par partie, quasiment tout au pic et à la pioche, dans des conditions épouvantables. C’est ainsi que beaucoup d’ouvriers et de cheminots l’ont payé de leur vie……Ils étaient nos ancêtres. Mais aussi, de tout temps cette ligne a été victime d’enjeux économiques qui nous dépassent: les états ont toujours du se faire tirer l’oreille pour mettre la main au portefeuille. Nos anciens m’ont raconté comment certains trains passaient sur une ligne électrique alors que le train de la côte était au charbon. Mais ils m’ont raconté, aussi, comment les allemands, voyant qu’ils avaient perdu la guerre, décidèrent de bombarder tous nos viaduc et toutes nos gares à juste 2 mois de la fin de la guerre ! Ils m’ont raconté la lutte, les années suivantes, avec la mobilisation de tout un peuple pour défendre SA ligne et la victoire. Enfin, la remise en route jusqu’à aujourd’hui, où l’on doit tout recommencer.
Il n’est pas pensable, après cela, de fermer cette ligne sans cracher au visage de nos morts, de nos ancêtres, de nos anciens.

Tenda

Tenda

R.M.M: Si nous regardons bien, techniquement, cette ligne a peu d’équivalent ? Les œoeuvres d’art sont de véritables prouesses techniques.

L.S: Cette ligne Nissa -Vintimiglia-Cuneo présente un premier particularisme: elle est constituée d’un tronc qui monte jusqu’en Suisse et de deux jambes, une à Ventimiglia et l’autre à Nice. Elle a du faire face à un énorme dénivelé pour grimper e direction de la montagne. cela a été rendu possible par la création de plusieurs tunnels hélicoïdaux qui sont véritablement uniques au monde. Il n’ y a rien de plus difficile que de faire monter un train en altitude, ce qui a amené les ingénieurs de l’époque à prévoir plusieurs tunnels entre Breil sur Roya et Tende, tunnels qui ont la forme intérieur d’une vis: ils montent sur eux mêmes et font de même en redescendant. Rien que pour cela cette ligne est unique et doit être conservée.

Un lien indéfectible

Un lien indéfectible

R.M.M: Laurence, pensez vous que cette ligne doive être inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO ?

L.S: C’est la première action qui fut entreprise par notre comité parce que la plus longue à aboutir: nous avons fait la demande de classement à l’UNESCO au titre du patrimoine vivant parce que notre ligne traverse plusieurs vallées où l’on parle diverses langues, où l’on est confronté à des cultures différentes, des architectures variées…….et une ligne de chemin de fer unique au monde. Cette ligne est un pur chef d’œuvre en péril !

 

R.M.M: Ne pensez vous pas que cette ligne soit un véritable symbole de l’émergence d’une vraie région européenne dans Alpes ?

L.S: Les Alpes sont un massif montagneux qui, pour nous , peuples d’ici, ne représente pas une frontière. Elles sont, et l’Histoire en atteste, un permanent lieu d’échange et de partages pour toutes les populations qui vivent en deçà et au delà des lignes de crêtes. Notre ligne est ce lien entre nos peuples qui permet de croire que nous pourrons continuer à vivre ensemble et à communiquer. On a supprimé les frontières intérieures en Europe, encore faut il ne pas supprimer nos moyens de nous rencontrer.

Un outil pour les jeunes générations

Un outil pour les jeunes générations

R.M.M: Laurence, je vous remercie de m’avoir accordé du temps pour que nos lecteurs puissent comprendre les enjeux de votre combat. En espérant qu’ils viennent eux aussi défendre leur patrimoine bien mis à mal. Pour notre part, nous serons là, le samedi 20 septembre 2014, place Masséna à  Nice, à 14H00, pour vous soutenir.

L.S: Merci de nous ouvrir les pages de votre site, de nous soutenir car c’est d’un grand réconfort pour nous de se savoir soutenu et compris. A bientôt.

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